Quand les éditeurs consoles et PC s’invitent sur le Play Store

 

Après l’histoire du jeu mobile, voici un dossier dédié aux comportements des éditeurs consoles et PC avec le marché du jeu mobile. De plus en plus intéressés et présents sur nos smartphones, ils leur ont fallu quelques essais et années pour comprendre que le jeu sur smartphone avait ses propres codes et que ces derniers pouvaient évoluer.

Il y a quelques mois, je vous proposais de revenir sur l’histoire du jeu sur mobile. Un point qui mérite aujourd’hui d’être traité plus en profondeur est l’arrivée en force des éditeurs de consoles et PC et surtout, leur appropriation de ce marché en constante évolution. Voyons comment les traditionnels éditeurs de jeux vidéo ont réussi ou échoué pour s’emparer du jeu mobile et quels sont les tendances et peut-être nouveaux modèles qui se dessinent.

Un marché ambitieux

Nous vous en parlions dans notre dossier consacré à l’évolution du jeu mobile, ces derniers temps de plus en plus d’éditeurs de jeux vidéo dits classiques (PC/consoles) s’intéressent et publient des titres sur smartphone. Entre les rééditions de jeux historiques des éditeurs profitant de la mode du retrogaming, quelques adaptations et des inédits parfois bien ou mal inspirés, le jeu mobile est de plus en plus ambitieux notamment grâce à ceux qui ont déjà marqué l’histoire vidéoludique sur des plateformes plus traditionnelles de types consoles et ordinateurs.

Secret of Mana

Il faut dire que s’ils sont de plus en plus nombreux, c’est aussi parce que le marché du jeu mobile est très prolifique depuis quelques années. L’année 2016 aura été plus que bénéfique puisque le jeu mobile enregistre 40,6 milliards de dollars de bénéfices, soit un record depuis l’existence de ce marché ! Le bilan annuel de l’industrie du jeu vidéo en général est très positif puisqu’il atteint 91 milliards de dollars en 2016, avec en tête le jeu mobile bien au-dessus des 35,8 milliards pour le PC ou les 6,6 milliards des plateformes consoles.

Et si l’argent récolté doit beaucoup à des jeux mobiles suivant la politique des free-to-play et le plus récent modèle des freemium, de nouveaux acteurs et formes économiques viennent se greffer à ce marché si attractif. Les éditeurs plus traditionnels sont désormais de plus en plus intéressés, et il est de plus en plus facile de trouver de grosses licences vidéoludiques et autres grands noms du jeu vidéo sur le Play Store ou l’App Store.

Les premiers pas des éditeurs console et PC

Les éditeurs classiques sont en réalité présents depuis déjà de nombreuses années. Moins nombreux, ils éditaient des portages de leurs licences à succès sans forcément prendre en compte les réalités d’une plateforme mobile, avec un tarif parfois assez élevé et obligatoire. Bref, à l’opposé de ce que la plupart des studios démarrant sur mobile proposaient et à raison, le free-to-play autrement dit l’accès gratuit à un jeu avec des micropaiements in game.

Certains éditeurs mobiles ont par ailleurs servi de pied d’entrée à des éditeurs consoles et PC. Gameloft, dans les années 90, a adapté des jeux de la maison mère Ubisoft. Nous vous en parlions dans un dossier, on retrouvait par exemple le fameux Prince of Persia. Plus tard Electronics Arts a aussi profité de son catalogue pour se faire une petite place, comme avec Tetris, Need for speed, Les Sims et même Dead Space. L’éditeur a même depuis deux ans vu que le marché des appareils mobiles avait un grand avenir pour le secteur du jeu vidéo.

Mais outre le modèle économique appliqué, les éditeurs plus traditionnels ont aussi fait des erreurs sur les jeux eux-mêmes. Les portages ont été nombreux, et beaucoup d’entre eux sont sortis sur le Play Store tel quel, sans prise en compte du support. Résultat : des titres inadaptés au mobile. Souvenez-vous de GTA III sous Android ou iOS… Un jeu passionnant mais non adapté par ses longues cinématiques et missions.

Car un jeu mobile a ses propres codes et ces derniers diffèrent totalement avec ceux des jeux sur PC ou consoles. Sur mobile, il est nécessaire de prendre en compte les commandes pour jouer, mais aussi les conditions de jeux. Pourquoi jouons-nous sur notre mobile ? Pour patienter pendant nos trajets, dans une file d’attente ou en attendant quelqu’un, etc. Il est donc impératif de privilégier les sessions courtes et délimitées notamment par des niveaux.

En clair, gardons à l’esprit que si la conception de jeux consoles ou PC est maîtrisée par certains, ces mêmes équipes ne sont pas forcément à même de faire de très bons jeux mobiles. Beaucoup l’ont appris à leurs dépends et finalement, certains ont eu raison de revoir leur copie ou de rester observateurs pour en tirer des conclusions et ainsi se lancer sans trop prendre de risque.

Un marché totalement différent

Avec le téléchargement lent et des jeux pas toujours optimisés sur mobile, il aura fallu attendre l’arrivée de la 3D, le smartphone et enfin l’internet en haut débit pour que le micromarché décolle. Internet a aussi démocratisé le dématérialisé sur l’ensemble des plateformes et l’accès au tout gratuit comme l’a rappelé avec justesse Emmanuel Forsans, l’actuel président de l’AFJV : « Après une première génération de jeux gratuits dans les années 2000, le plus souvent très basiques, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération de jeux, beaucoup plus avancés, qui séduisent massivement les joueurs en les détournant des productions traditionnelles ». Le jeu mobile en fait bel et bien évidemment partie.

C’est bien le changement de stratégie des éditeurs historiques qui a aussi permis leur plus grande visibilité, attirant d’autres éditeurs grâce à leurs success stories sur mobile. Aujourd’hui, le modèle freemium ayant le vent en poupe combiné à des marques historiques, le succès est presque garanti sur les stores mobiles, ou du moins, au nombre de téléchargements. La croissance de ce modèle attire les éditeurs de tous horizons et de plus en plus ceux habitués au marché PC/Consoles. Et comme les stores connaissent une flopée de très nombreux titres, il est nécessaire de faire la différence et de maîtriser ses produits pour sortir son épingle du jeu. Quoi de mieux que l’expérience de conception et de marketing des plus grands, qui ont réussi à survivre et même prospérer au fil des décennies, et qui ont bien entendu observé les mécaniques de ce marché spécifique. Car il ne faut pas oublier que la concurrence est rude, même pour ceux à qui la réussite sourit. Car si on remarque la formation d’une bulle, il y a aussi des échecs parfois cuisants. L’éditeur d’Angry Birds, Rovio, en a déjà fait les frais puisqu’un tiers de ses employés ont dû prendre la direction de la porte, le studio n’ayant pas réussi à provoquer un second succès.

Certaines sociétés se lancent d’elles-mêmes sur ce marché, d’autres rachètent des studios à succès. Pour citer un exemple marquant, rappelons-nous du rachat de King, l’éditeur du très prolifique Candy Crush, par le géant Activision Blizzard. Ce dernier possède les grosses licences que sont World of Warcraft, Call of Duty ou encore Overwatch pour ne citer qu’elles. Ubisoft, après avoir longtemps bénéficié de Gameloft, s’est aussi payé le studio Ketchapp, spécialiste de jeux Android et iOS et à l’origine entre autres 2048.

En tirant les leçons du passé, les éditeurs ont assimilé que le jeu mobile devait être considéré autrement. Et c’est de cette manière que nous avons eu le droit à plein de runner et puzzle games, les deux genres sur-représentés du jeu mobile, estampillés Sonic, Marvel, Lara Croft, Unchartead et même Super Mario. Une facilité ? En tout cas, un pari prudent pour se frayer un chemin dans le marché du jeu mobile.

Nintendo, la carte de la prudence

Prenons quelques exemples de gros éditeurs qui sont venus profiter de ce marché en pleine croissance. Nintendo a longtemps refusé de s’y essayer, et l’a même rappelé il y trois ans de cela. « Nous n’avons pas l’intention de développer nos jeux sur smartphones », c’est ce que prônait fermement Philippe Lavoué, directeur général adjoint de Nintendo France, au Figaro. Mais deux ans plus tard, en 2016, Nintendo revient sur ses propos en affirmant vouloir éditer deux voire trois jeux par an. La société se lance avec une première application sociale mettant en scène les mascottes de la marque, les Mii. Histoire de tester un peu les utilisateurs. Quoi qu’on en dise, Miitomo a été un succès avec un million de téléchargements en l’espace de quelques jours seulement. Bon, l’appli a vite été délaissée par manque d’intérêt passé la surprise, mais Nintendo s’est aussi envolé en bourse de 8%… Hum, est-ce que Pokemon GO, développé et édité certes par une autre société de Nintendo, a montré tout le potentiel d’une marque si populaire à travers le monde sur le marché ?

Nintendo, c’est le constructeur et éditeur japonais qui a su montrer à travers les décennies qu’avoir des licences fortes pouvait permettre à une société de traverser le temps. Après l’essai Miitomo, la firme de Kyoto s’est essayée à tous les modèles économiques existants et surtout, viables, sur mobile. Avec son premier jeu, Super Mario Bros, c’est la recette d’une licence à très fort potentiel, lié au genre le plus exploité à savoir le runner. Malgré ce mélange savoureux, le jeu est vendu beaucoup trop cher à presque 10 euros. Le nombre de téléchargements est ahurissant, mais le nombre d’achats pour avoir la version complète est lui bien moins impressionnant. Après cela, c’est au tour d’une licence un peu moins connue en Occident, Fire Emblem, d’imposer une très bonne adaptation mobile d’un tactical RPG suivant le modèle du free-to-play, et sans abus s’il vous plaît. Une vraie réussite à la fois critique et commerciale, qui devrait nous donner une petite idée de la politique future de Nintendo. Nous en saurons davantage quand Animal Crossing et très certainement The Legend of Zelda pointeront le bout de leur nez.

D’autres éditeurs ont suivi cet engouement comme Sony, qui a annoncé avoir créé ForwardWorks, un studio entièrement dédié aux applications et jeux pour appareils mobiles. Pour l’heure, les premiers jeux (Wild Arms, Everybody’s Golf, Parappa the Rapper) sortent uniquement au Japon, mais il y a fort à parier que certaines licences vont, grâce à leur succès, franchir les frontières nippones. Comme Nintendo, il s’agit d’apporter ses propres licences sur le marché du mobile.

Plusieurs modèles à l’essai

Sega tire beaucoup sur la corde nostalgie en rééditant des jeux parfois mêmes déjà sortis, mais sous un modèle économique vieillissant, avec une nouvelle offre avec Sega Forever : accès gratuit avec pub ou achat unique à un prix raisonnable pour s’affranchir de la publicité. On retrouve Sonic The Hedgedog, Crazy Taxi, Phantasy Star II, etc. Un modèle particulier qui laisse le choix au joueur et qui pourrait être de plus en plus invoqué par les éditeurs.

Enfin nous pourrions parler aussi de Square Enix, un géant de plus en plus présent qui a déjà jonglé avec plusieurs types de contenus : de très bons jeux inédits comme Lara Croft GO ou Final Fantasy Brave Exvius, des adaptations ou recyclages, c’est vous qui voyez, de ses plus grands succès. L’entreprise a l’avantage en effet de tirer profit d’une ludothèque abondante et diversifiée. C’est pour cela que nous nous sommes retrouvés avec des portages sans réels apports et assez onéreux de certains épisodes de la saga Final Fantasy. Des méthodes discutables, mais qui ont rapporté. Square Enix a aussi joué sur les tendances en s’appropriant un genre qui fonctionne bien comme le tower defense, pour y accoler une marque à fort potentiel : Final Fantasy XV… un jeu pauvre, mais qui attire de très nombreux fans.

Le jeu mobile de demain

Avec le savoir-faire des éditeurs historiques bien décidés à se faire une place de choix tout en prenant garde aux mécaniques propres de ce marché qui offre tant de recettes, on peut imaginer que de nouvelles directions vont être prises.

Nous commençons déjà à voir que désormais le jeu mobile s’accompagne de grandes campagnes marketing. La publicité mettant en scène Arnold Schwarzenegger pour la campagne TV du jeu Mobile Strike ne vous aura sans doute pas échappé… Les codes de promotions des jeux PC/Consoles sont ainsi repris, un peu comme Robin et Williams pour The Legend of Zelda ou encore Alexandre Astier pour The World of Warcraft. De nouveaux modèles et tendances semblent encore se dessiner, comme cette politique du choix entre gratuit avec pub ou achat total sans pub, qui mériterait à elle seule un dossier dédié avec à l’appui différents avis des acteurs concernés, tant il est clair que c’est une nouvelle norme qui paraît émerger.

Les éditeurs à l’origine travaillant pour des plateformes plus traditionnelles se sont pliés au jeu du marché mobile, tout en faisant de plus en plus bénéficier ce dernier de ses savoir-faire notamment en terme de marketing et adhésion à une marque, un univers. C’est aujourd’hui un marché pris au sérieux par les plus anciens du secteur du jeu vidéo, et à part, avec ses propres codes. Il reste aussi à savoir dans quelle mesure la réalité virtuelle va prendre de l’importance dans le jeu mobile de demain… Non, c’était une blague.


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