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Netflix, dans les coulisses de l'innovation

La foudre s’abat sur Barcelone. 30 secondes de marche pour rejoindre le taxi qui nous emmène en banlieue et nous voilà déjà trempés, suintant sur l’intérieur cuir immaculé. En route pour rencontrer Todd Yellin, vice-président responsable de l’innovation chez Netflix.

Dans un salon comme le MWC, où les exposants se comptent par centaines, il faut parfois savoir faire un pas radical pour se démarquer. Louer un loft en marge de la ville et y installer l’univers de sa marque est l’un des moyens les plus efficaces. Netflix a très bien incarné son propre personnage et le salon dans lequel nous entrons ressemble à peu près à ce que vous pouvez voir sur la page d’accueil du site. Ou sur dans la reconstitution d’une publicité.

La compagnie américaine a choisi de venir au MWC, non pas pour parler de ses services et vendre sa communication traditionnelle, mais pour présenter aux journalistes la face cachée de l’innovation maison, autrement dit, les processus internes qui dirigent la face visible de Netflix : ce que vous voyez sur votre PS3, votre Apple TV, votre ordinateur ou votre tablette. Ce n’est pas un commercial, mais Todd Yellin qui nous reçoit, le vice-président de Netflix responsable de l’innovation. Yellin connaît le monde de la vidéo : il est lui-même producteur et réalisateur de documentaires et a écrit et tourné le film Brother’s Shadow. En poste depuis 2006, il s’occupe à temps plein de l’innovation de la société et sa mission pourrait se résumer en une phrase : faire en sorte que les clients de Netflix regardent toujours plus Netflix.

Maintenant que le service s’est lancé en France, il n’est pas nécessaire de le présenter de nouveau. Et pourtant, c’est sur son côté intrinsèquement novateur que la discussion embraye : même si les technophiles connaissent l’offre depuis longtemps, la télévision par internet reste un concept obscur pour la plupart des gens. En France, beaucoup de personnes interrogées sur le terme pensent qu’il s’agit simplement d’une manière de regarder de courtes vidéos de trois minutes en basse qualité, sur des services comme Youtube ou Dailymotion. Le grand public ne s’est pas encore fait à l’idée qu’il s’agit d’une véritable forme de télévision, nouvelle, perturbante, mais qui, vu sa croissance, a des chances de devenir le mode de consommation majoritaire pour la vidéo à l’échelle globale. Il n’y a qu’à voir le marché actuel : toutes les chaînes traditionnelles tentent d’ajouter ce segment à leur offre.

Quand on est responsable de l’innovation dans une compagnie qui n’est pas encore mainstream, les challenges sont donc conséquents. D’abord, et Yellin insistera beaucoup sur ce point, l’innovation sur Netflix est une innovation empirique. La firme pratique ce que l’on appelle en anglais le A/B testing, c’est-à-dire le test d’une nouveauté chez un panel d’utilisateurs réduit. Quand vous parcourez Netflix aujourd’hui, vous n’êtes peut-être pas sur la même version que votre voisin qui aura reçu le test en cours. Tout est transparent et Netflix ne communique pas sur ces expérimentations : chaque utilisateur croit qu’il utilise la seule version de Netflix disponible. D’ailleurs, il n’a pas le choix.

 

Selon les retours, une nouveauté pourra donc être déployée ou balayée d’un revers de la main, sans avoir gêné la masse des clients qui continuera à avoir le même service. Cette technique de test leur permet entre autres d’éviter la fureur des utilisateurs quand ils reçoivent en masse une nouvelle interface par exemple, puisque même si la nouveauté effraie souvent, un produit testé et couronné de succès chez un échantillon suffisamment grand a toutes les chances de convaincre le plus grand nombre.

Les tweets de protestation, la manifestation la plus visible sur les réseaux sociaux, ne durent, d’après Yellin, pas plus de deux ou trois jours avant que les gens ne s’habituent au nouveau produit… et finissent par le trouver meilleur. Pour l’anecdote, le journaliste allemand qui nous précédait dans cette même pièce avait commencé par clamer que la nouvelle interface qu’on lui présentait était moins bonne que la précédente, pour finir par s’y habituer en 30 minutes et reconnaître qu’il avait eu tort.

 

La poésie de l’interface

Et si nous avons beaucoup parlé de l’interface utilisateur, c’est qu’elle est au centre des préoccupations des équipes qui se consacrent à l’innovation. En moyenne, un utilisateur de Netflix sur l’interface actuelle passe entre 60 et 120 secondes à parcourir les différentes catégories avant de choisir quel film ou quelle série regarder. Pour Todd Yellin, c’est encore trop. La recherche derrière Netflix est donc la combinaison d’une mise en page efficace pour accéder au contenu et de puissants algorithmes qui veillent à vous présenter le plus vite possible les vidéos que vous êtes susceptibles d’apprécier.

C’est pour cela que, de manière assez simple, vous avez aujourd’hui une interface horizontale, fondée sur des lignes de produit : elles sont disposées de manière différente selon les préférences des utilisateurs et les données qu’ils transmettent au Grand Ordinateur. La précision va encore plus loin : sur chaque ligne, chaque item est indépendant et personne ne verra le même film au même endroit. Plus vous regardez Netflix et plus le logiciel affine sa connaissance sur vos goûts et saura par exemple que vous préférez l’humour british aux buddy movies américains un peu gras.

Et pourtant, cet agencement n’est toujours pas idéal. Si vous êtes un utilisateur de Netflix et de son concurrent illégal, Popcorn Time, vous saurez de quoi il en retourne : certaines versions du logiciel pirate sont plus ergonomiques et mieux fichues que Netflix. Et ça, Todd Yellin le sait. La compagnie doit procéder pas à pas pour améliorer l’accès à son contenu et la mise en avant de ses produits est un challenge quotidien. C’est pour cela que l’interface en cours de test se fonde sur un nouveau paradigme. On passe d’une inspiration « magasin de location de vidéo » à une inspiration tournée vers le cinéma.

Cela, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que le vidéoclub est un commerce qui n’existe plus, ancrant le service dans le passé — et dans un passé qui, en plus, n’a pas su négocier le tournant du numérique. Cette image ne colle pas, ni avec la mobilité, ni avec le web, ni avec la vision qu’a Netflix de la télévision.

Sur les tablettes, la nouvelle interface met donc le contenu en valeur en affichant des informations bien plus douces à l’utilisateur : des images au format large, des résumés plus aérés, plusieurs photos du film et une hiérarchisation du contenu. Le principal défaut de Netflix aujourd’hui, c’est qu’a priori, vous ne savez pas ce qu’il vous conseille, vous ne savez même pas qu’il vous conseille. La maquette ne vous aide pas, en ne proposant aucun gros titre, aucune mise en avant. Alors vous passez de longues minutes à chercher ce que vous souhaitez regarder, regrettant le bon vieux temps où il n’y avait que 7 sept chaînes à zapper à la télé.

Car tout le challenge, quand on propose de l’illimité et de l’abondant, c’est d’avoir un système de recommandation valable. Au fond, personne n’a jamais rêvé de se retrouver dans un canapé à trier un catalogue de films. Sur ordinateur, cette réflexion est aussi au centre de la future version de la maquette : comme sur tablette, les contenus semblent maintenant mouvants et ne sont plus figés. Les affiches de film se déploient au lieu d’ouvrir de nouvelles pages. D’ailleurs, tout le concept de « page » a été revu, hérité de l’organisation primaire d’un site web et non d’un service moderne. « Une page web, une page d’accueil, cela n’a aucun sens pour nous », affirme Yellin. Les changements que nous voyons ne sont pas radicaux, mais redonnent du souffle à la plateforme, un air de jeunesse qui l’avait quitté depuis quelques mois.

Quoi qu’il en soit, ce seront les utilisateurs qui trancheront : s’ils regardent plus Netflix sur la nouvelle version qu’ils ne le faisaient sur l’ancienne, la nouvelle triomphera. Mieux fonctionner en pratique ou mourir : voilà la seule alternative laissée aux idées innovantes chez Netflix.

 

La question du contenu

Et bien évidemment, toute cette poésie de la mise en page nous conduit encore et toujours à parler contenu. Évidemment, ce n’est pas parce que l’on aime pas son interface que l’on ne s’abonne pas à Netflix : a priori, c’est parce que le prix demandé pour le service offert ne semble pas légitime. C’est un point noir aujourd’hui en France où l’on peine à avoir les séries qui ont fait le succès de la chaîne comme House of Cards, achetée par Canal +. Ici, le temps du cinéma est régi par des lois que Netflix ne peut pas dépasser. Alors quand il peut, Netflix contourne.

L’ambition de la société sur quelques années, c’est, d’après Yellin, de produire suffisamment de contenu pour pouvoir sortir une nouvelle série ou un nouveau film toutes les deux semaines sur Netflix, dans le monde entier. Grâce à cela, le service compte résoudre le plus gros problème de sa plateforme, qui est de passer pour une archive de contenu que les autres chaînes n’ont pas voulu acheter. Et maintenant que le ver est dans la pomme sur pas mal de territoires, Netflix ne fera plus jamais l’erreur de vendre l’une de ses exclusivité à un concurrent.

L’autre argument, que les chaînes traditionnelles ne semblent pas comprendre, est la sortie immédiate de tous les épisodes d’une série en même temps, partout dans le monde. Todd Yellin considère que le feuilleton était adapté à la télévision classique mais n’a plus aucun sens dans un monde ultra-connecté ou l’immédiateté est reine. Sauf exception : la série Better Call Saul, le spin-off de Breaking Bad, a été achetée par AMC, qui diffuse les épisodes les uns après les autres. Ils sont donc diffusés sur le mode hebdo' de la chaîne sur Netflix, ce qui ne manque pas d’agacer les fans.

Ce changement dans le mode de diffusion a été opéré il y a deux ans et change complètement le concept de la série, qui n’est plus seulement une oeuvre diffusée de semaine en semaine, mais un mode d’expression du cinéma encore plus long qu’un long-métrage, qui permet par exemple de créer des personnages bien plus profonds et subtils que dans un film de 2 ou 3 heures.

C’est d’ailleurs cela, d’après Yellin, qui a attiré des grands noms du cinéma vers le format qu’ils tendaient à bouder : sous cette forme, les possibilités deviennent bien plus nombreuses et l’on ne pense plus à une série comme à un divertissement à long terme, mais bien comme un objet cinématographique à part entière. Quand on lui demande s’il pense qu’il perd des clients en ne divisant pas les séries, Yellin affirme qu’une compagnie qui penserait comme ça, cherchant à retenir son utilisateur prisonnier d’un service, serait tout à la fois irresponsable et désespérée.

Dans trois ou quatre ans, conclut-il, Netflix pourrait arriver à ses fins : proposer le même service partout dans le monde avec des nouveautés deux fois par mois. Un concurrent dangereux pour la télévision classique qui peinera à trouver un modèle concurrentiel. Et peut-être, dans une autre mesure, pour le cinéma qui a encore aujourd’hui la chance d’être le rendez-vous privilégié des amateurs de film et le lieu d’expression des grands réalisateurs et acteurs.