Itinérance et mutualisation, tout sur le partage des réseaux mobiles en France

 

L’itinérance et la mutualisation des réseaux mobiles est une question d’actualité. Free Mobile profite d’un contrat d’itinérance avec Orange pour les réseaux 2G et 3G alors que SFR et Bouygues Telecom ont tous les deux conclu un contrat de mutualisation des réseaux 2G, 3G et 4G qui prévoit également une clause d’itinérance pour SFR. Mais que signifient exactement ces termes d’itinérance et de mutualisation ?

À l’occasion de son rapport sur les investissements mobiles, l’ARCEP est revenu un peu plus en détail sur ces deux termes. Dans les mois qui viennent, les deux contrats de mutualisation et d’itinérance en France vont être passés au crible par gendarme des télécoms et une consultation publique permettra de définir une réglementation plus précise. Nous vous proposons donc une virée dans l’univers de la mutualisation et de l’itinérance pour davantage comprendre les tenants et les aboutissants de type de partage.

itinérance-mutualisation

L’itinérance et la mutualisation sont des mécanismes permettant aux opérateurs mobiles de partager leurs réseaux, à différents niveaux. Si l’itinérance est l’accueil d’un opérateur sur le réseau d’un autre opérateur, la mutualisation est un peu plus complexe puisque plusieurs opérateurs partagent les mêmes infrastructures, voire parfois, les mêmes fréquences. Avant de commencer, rappelons l’architecture d’un réseau mobile : on trouve d’une part le cœur de réseau (les centres de données des opérateurs) qui relie les différents sites mobiles entre eux. Ces derniers sont constitués d’une infrastructure passive (comme le pylône qui porte l’antenne), mais aussi d’une infrastructure active (les équipements électroniques de la station de base) et enfin des antennes qui sont pilotées par l’infrastructure active.

 

Le partage des infrastructures passives pour la réduction des coûts

En France, les opérateurs procèdent à de nombreux accords de partage des infrastructures passives chaque année. Ils sont encouragés par le code des postes et des communications électroniques qui stipule, dans son article D98-6-1 que « l’opérateur fait en sorte, dans la mesure du possible, de partager les sites radioélectriques avec les autres utilisateurs de ces sites« .

Il existe deux grands types de partage de réseaux mobiles : le partage d’infrastructures passives et le partage d’infrastructures actives. Le premier consiste à mettre en commun les sites mobiles (pylônes, mats, clôtures, locaux techniques, etc.) sur lesquels on trouve les antennes et les servitudes (électricité, climatisation, sécurité, etc.). C’est le cas d’un opérateur ayant mis en place un pylône électrique en pleine campagne et qui accueille dessus les équipements des autres opérateurs. L’ARCEP donne quelques données chiffrées : on apprend ainsi que 56 % des supports 2G/3G/4G en France sont des pylônes, 31 % des toits-terrasses et 8 % des châteaux d’eau.

Ce type de partage favorise les impacts économiques et environnementaux positifs, en évitant de multiplier les pylônes disgracieux à la campagne et les mats sur les immeubles tout en diminuant le besoin d’investissement pour établir un réseau mobile. En revanche, les opérateurs doivent toujours mettre en place leurs propres antennes et leur infrastructure active sur ces lieux partagés, à moins de mettre en commun ces dernières, ce qui les fait basculer dans le partage des infrastructures actives.

partage inrastructure passive

 

Le partage des infrastructures actives pour l’itinérance et la mutualisation

Dans ce cas, plusieurs opérateurs se partagent les installations permettant de relier les antennes (et donc les téléphones connectés) au cœur de réseau et à Internet. En termes plus techniques, les opérateurs se partagent les équipements de station de base, des contrôleurs et des liens de transmission. Ce type de partage implique forcément le partage de l’installation passive (pylônes, mats, etc.) que nous avons abordé juste au-dessus. Le partage des installations actives est l’étape qui permet de mettre en place les contrats d’itinérance ou de mutualisation.

équipements actifs

 

L’itinérance : l’accueil d’un opérateur sur un réseau existant

En France, on trouve aussi un contrat d’itinérance entre SFR et Bouygues Telecom. Le premier est autorisé à utiliser les antennes 4G du second sur la bande 1800 MHz. C’est ce qui permet à SFR d’annoncer une couverture 4G de 58 % de la population alors que ses propres antennes couvrent 39 % de la population.

Distinguons désormais, au sein du partage des installations actives, l’itinérance de la mutualisation des réseaux. En cas d’itinérance, l’opérateur qui détient des installations actives accueille sur son réseau, avec ses propres fréquences et ses propres antennes, un autre opérateur. C’est le cas du contrat d’itinérance qui lie Orange à Free Mobile pour accueillir ce dernier sur la 2G (de manière réglementaire, imposée par l’ARCEP) et pour la 3G (de manière commerciale). Concrètement, les abonnés de Free Mobile peuvent se connecter sur une cellule Orange, en utilisant les fréquences 2G et 3G de l’opérateur historique, ses antennes et ses installations actives. En revanche, si une antenne 3G Free Mobile est à proximité, le téléphone passera par les fréquences, les antennes et les installations actives de Free. Dans les deux cas, c’est le logo Free Mobile qui s’affichera sur le téléphone même si des manipulations permettent de savoir sur quel réseau le téléphone est connecté. En 2G, Free Mobile ne disposera jamais d’un réseau propre, et les clients seront donc toujours sur des antennes Orange.

 

La mutualisation entre opérateurs

Le partage des installations actives permet également les opérations de mutualisation. Il existe deux types de mutualisation : la mutualisation des réseaux et la mutualisation des fréquences.

 

  • La mutualisation des réseaux

La mutualisation des réseaux consiste en la mise en commun des installations actives, sans mettre en commun les fréquences. Un opérateur va donc utiliser ses propres fréquences avec ses propres antennes sur les installations d’un autre opérateur. Sur les mêmes installations actives, on aura donc deux réseaux différents qui seront émis par l’intermédiaire de différentes antennes. Les clients des deux opérateurs accéderont au réseau de leur opérateur, contrairement à la mutualisation des fréquences que nous abordons juste après.

À terme, les 11 700 sites communs de SFR et Bouygues Telecom remplaceront les 18 000 sites des deux opérateurs. Les 7 000 sites « en trop » seront soit démantelés, soit revendus à Orange ou Free Mobile pour les aider à améliorer la couverture de leurs réseaux.

La mutualisation des réseaux a lieu en France par l’intermédiaire d’un contrat conclu entre Bouygues Telecom et SFR. Le but, à terme, est de mutualiser les deux réseaux 2G/3G/4G en France sur une surface qui représente 57 % de la population (sauf les zones denses, en grise sur la carte, comprenant 32 agglomérations de plus de 200 000 habitants). Comme on peut le voir sur la carte, le territoire est découpé en différentes zones géographiques : en bleu, les installations actives seront opérées par Bouygues Telecom et en rouge par SFR. L’objectif est de mutualiser au total 11 700 sites.

Bouygues Telecom a précisé avoir seulement réalisé 10 % de l’effort de mutualisation cette année avec SFR, mais compte réaliser 40 % du déploiement l’année prochaine, 75 % en 2017 et 100 % en 2018 / 2019. L’opérateur annonce des gains en couverture indoor de l’ordre de 20 %, mais certaines zones seront moins bien couvertes qu’actuellement.

Mutualisation Bouygues SFR

 

  • La mutualisation des fréquences

Dans le cas de la mutualisation des fréquences, nous avons affaire à la mutualisation la plus poussée. En effet, dans ce cas, les fréquences des différents opérateurs qui participent à la mutualisation sont utilisées indifféremment par les clients de ces différents opérateurs. Ces derniers accèdent aux services de leur opérateur, par l’intermédiaire des fréquences et des installations actives de leur opérateur ou de l’opérateur qui participe à la mutualisation. Ce type de mutualisation permet d’augmenter le débit en agrégeant différentes bandes de fréquences, tout en économisant de l’argent en termes d’investissement.

partages

À notre connaissance, en France, aucun opérateur ne réalise actuellement une mutualisation des fréquences. En revanche, une telle possibilité a été prévue par Bouygues Telecom et SFR dans leur contrat de mutualisation. En effet, dans les zones de déploiement prioritaire (représentants 18 % de la population et 63 % de la surface du territoire métropolitain) Bouygues Telecom et SFR prévoient, dès 2016, de mutualiser leurs fréquences uniquement sur la bande 4G 800 MHz. Cette mutualisation concerne au total 900 sites partagés. Il faudra toutefois que les deux opérateurs en fassent la demande auprès de l’ARCEP.

 

Le cas des zones blanches

Enfin, les zones blanches – qui sont constituées d’environ 2200 centres-bourgs sans réseau mobile et des principaux axes routiers – sont concernées aussi bien par l’itinérance que la mutualisation. Ainsi, en 2G, on trouve l’itinérance locale, qui permet à un seul opérateur d’accueillir les clients de l’ensemble des opérateurs (les clients voient alors apparaître le nom de réseau F-Contact sur le téléphone), mais aussi la mutualisation des infrastructures passives.

En 3G, les quatre opérateurs ont prévu de mutualiser les infrastructures actives, mais d’utiliser leurs propres fréquences.  En 4G, on devrait trouver la mutualisation des réseaux voire des fréquences, avec notamment la bande 800 MHz, mais pour le moment, les opérateurs n’ont pas encore décidé des solutions pratiques à adopter pour le très haut débit mobile dans les zones blanches. Les opérateurs ont en tout cas l’obligation de couvrir ces zones en 4G au plus tard en 2027

programmes zones blanches

 

Le cas de la zone de déploiement prioritaire

Pour rappel, la zone de déploiement prioritaire (les zones en bleu foncé sur la carte) concerne les zones les moins denses du territoire métropolitain (63 % de la surface et 18 % de la population). Dans cette zone et en 4G, Free Mobile dispose d’un droit d’itinérance sur la bande 800 MHz de SFR, afin de pouvoir couvrir cette zone. Pour le moment, l’opérateur ne semble pas avoir effectué une demande en ce sens auprès de l’ARCEP et de SFR. On imagine que SFR a déjà du mal à couvrir lui même la zone de déploiement prioritaire en 4G.

Les trois autres opérateurs ont l’obligation de couvrir 40 % de la population de cette zone au 17 janvier 2017, 90 % au 17 janvier 2022 et 97,7 % au 17 janvier 2027. Free Mobile n’a pas cette obligation puisqu’il ne dispose pas de fréquences dans la bande 800 MHz.

Zones de déploiement prioritaire

 

L’importance de la mutualisation et de l’itinérance

Comme nous l’avons vu tout au long de ce dossier, l’itinérance et la mutualisation sont deux techniques importantes dans l’univers des télécoms. Elles permettent de mettre en commun les efforts des opérateurs mobiles sans remettre en cause la concurrence dans secteur lorsque la régulation se fait de manière efficace. C’est pour cette raison que l’ARCEP se penche sur ces deux sujets depuis cet été, puisque l’autorité dispose du droit de demander aux opérateurs de modifier les contrats d’itinérance ou de mutualisation pour réaliser les objectifs de régulation. Une nouvelle réglementation devrait apparaître en 2016 et pourrait bien obliger les quatre opérateurs à revoir certaines des clauses des contrats d’itinérance et de mutualisation. Des lignes directrices devraient être soumises à la consultation publique d’ici quelques semaines.

Comme le rappelle l’ARCEP, le cas de la France n’est pas isolé. En Europe, il existe de nombreux contrats de mutualisation : au Danemark, Telenor et Telia Sonera mutualisent depuis 2012 l’intégralité de leurs réseaux 2G/3G/4G grâce à la mutualisation d’équipements actifs avec mise en commun des fréquences ainsi qu’un accord d’itinérance entre Hi3G et TDC. On trouve ce même type de contrats en Suède et au Royaume-Uni avec de l’itinérance et de la mutualisation des fréquences.