Google[x] : le Google du futur se dessine dans un laboratoire

 

Siège 23F dans l’Airbus en route vers Austin. Une montre à votre poignet indique que vous avez atteint l’altitude de croisière et qu’une sortie dans le vide provoquerait à la fois un grand vertige et une perte de conscience soudaine. En levant la tête, vous apercevez au travers de la carcasse transparente de l’avion (une nouveauté de 2035) un ballon flotter quelques centaines de mètres au-dessus de votre trajectoire. Il s’agit de votre hotspot drone Wi-Fi pour le voyage, et un énorme G a été peint sur sa toile bombée.

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Cette vision qui n’est pas d’actualité pourrait ne pas être si éloignée de ce que l’on pourra accomplir dans quelques années, grâce aux ballons stratosphériques de Google, le fameux Project Loons. Cet ensemble de ballons censés projeter une connexion à internet au-dessus des aires de la planète les moins bien desservies connaîtra sans aucun doute des évolutions et des révolutions dans les laboratoires secrets de Google, savamment nommé Google[x].

Ce projet tentaculaire de R&D propulsé par Google depuis la création de leur division « voiture intelligente » s’appuie sur une stratégie à long terme que l’on commence à percevoir chez les grandes entreprises technologiques actuelles et qui vise à briser la frontière entre la petite technologie du quotidien et les grands pas vers l’inconnu, ces moonshots.

On le sait : les gadgets chéris et adulés par le grand public ont longtemps profité des avancées de la recherche civile — comme la conquête spatiale — ou de la recherche militaire. Et peut-être existe-t-il un créneau intermédiaire qui ferait avancer les choses plus vite, trop gros pour être seulement commercial et trop expérimental pour entrer dans les budgets d’un état, sur lequel une compagnie comme Google pourrait se positionner. Pour faire entrer dans un nouveau cercle vertueux ?

 

Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer Google

Car de Google, beaucoup aujourd’hui sont des clients contraints. J’utilise leurs produits comme tout le monde : Gmail est toujours, pour mon usage, l’un des clients mails en ligne les plus puissants et les mieux fichus, Agenda est hyper pratique et Google Drive, avec sa suite bureautique en ligne a pris le pas sur le légendaire Office qui ne s’est pas ouvert depuis bien longtemps maintenant. Cela dit, année après année, Google a perdu de son côté chevaleresque en trahissant plusieurs fois ses principes et ses utilisateurs, usant de méthodes peu habiles pour pousser ses produits (Youtube, Google+…) — et ses erreurs. Pendant un temps, beaucoup sont allés jusqu’à envisager de se séparer de tout produit Google, des tutoriels fleurissant sur le web pour procéder à une dé-Googleisation comme s’il s’agissait du chemin de la vertu. En réalisant à quel point c’était une tâche complexe, j’ai préféré abandonner, avec la sensation peu plaisante d’avoir été pris dans un piège numérique posé sur mon chemin il y a une dizaine d’années.

Et pourtant, depuis un an à peu près, cette aura peu élogieuse a commencé à s’embellir, par soubresauts, par un domaine riverain mais très éloigné du Google grand public que l’on connaît.

Petit à petit, le Big Google, ce monstre effrayant qui en sait plus sur vous que vous a commencé à montrer qu’il savait être bon, comme le disait son vieux slogan, grâce à Google[x] et d’autres projets très éloignés du grand public. Cela a débuté dès les premières expérimentations autour de la voiture autonome, mais ce n’est qu’en 2014 que Google a fait une véritable campagne d’information au sujet de ses recherches et a présenté des tas de projets tous plus ambitieux les uns que les autres. Le smartphone dans votre poche ne vous impressionne guère plus, tant les modèles, aujourd’hui, se ressemblent ? Et si un smartphone devenait les yeux et le cerveau de petits robots autonomes, se déplaçant dans la Station Spatiale Internationale pour assister les astronautes dans leurs recherches ? Google est déjà en train d’y penser, en associant son Projet Tango, un appareil capable de numériser l’espace qu’il perçoit grâce à sa caméra, au projet Spheres de la Nasa.

Projet Spheres de la Nasa
Projet Spheres de la Nasa

Si vous vouliez créer un laboratoire de recherche expérimentale sur des sujets ayant rapport aux nouvelles technologies, vous auriez bien du mal à trouver les subventions nécessaires et les équipes de chercheurs et d’ingénieurs pour vous suivre. En devenant la référence qu’elle est aujourd’hui, une entité puissante aussi bien technologiquement, que politiquement et culturellement, Google s’est donné, petit à petit, Google Ad après Google Ad, les moyens d’accomplir de grandes choses. Avec un fonds presque illimité et les cerveaux parmi les plus brillants du monde, la firme de Mountain View se trouve maintenant dans la position idéale pour innover : elle a l’argent et les idées. Et quand on regarde ce que sont les « Projets X », on se dit que les montres connectées, dernier produit grand public à la mode, sont tout de même de biens petites choses.

 

Expérimenter, expérimenter, expérimenter

Prenons par exemple la division Sciences de la Vie du laboratoire, un espace tellement important pour Google qu’il est une institution à part entière. Pendant que les designers de Gmail ont mis plusieurs années à comprendre qu’un espace entre les boutons « Delete Forever » et « Not spam » n’était pas une si mauvaise idée pour éviter les clics accidentels de ses utilisateurs, les chercheurs de Google[x] s’occupaient à développer des nanoparticules injectées directement dans le corps pour détecter les cellules cancéreuses. Ces minuscules appareils recueilleront des données sur la santé de leur hôte et seront « appelées » par un objet connecté, comme un bracelet, pour rendre leurs rapports. Elles permettront de lutter efficacement et en amont contre des maladies qui deviennent vite difficilement curables une fois installées dans l’organisme.

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Et ces cellules intelligentes s’informeraient sur ce qu’est un « humain en bonne santé » pour comparer leurs résultats avec ce paradigme. Comment le déterminer ? Avec ce que Google sait faire de mieux : une base de données géante surnommée à juste titre la Baseline Study. En recueillant des échantillons de salive et de sang de plus de 10 000 volontaires sur 3 ans, Google espère connaître la structure profonde de ces milliers de personnes et en extraire un schéma de l’humain en bonne santé, sorte de pierre de rosette de la médecine que le Wall Street Journal n’a pas hésité à qualifier de « projet scientifique le plus grand et le plus ambitieux que Google ait pu considérer jusque-là ».

Pourtant, les autres projets ne sont pas moins impressionnants : la Google Car, malgré son look ridicule dévoilé il n’y a pas si longtemps est un rêve qui devient petit à petit réalité, préfigurant des trajets autoroutiers plus sûrs et moins sensibles aux erreurs humaines. En un largage massif de ballons émetteurs de connexion à Internet, Google pourrait en un rien de temps réduire la fracture numérique qui existe aujourd’hui entre les pays développés et les pays en voie de développement. Le Project Wing, ce drone de livraison autonome, pourrait désenclaver des lieux aujourd’hui encore difficilement accessibles par d’autres moyens que les airs, comme l’Outback australien qui a été choisi récemment pour les tests. Et que dire de Liftware, la cuillère qui sait se stabiliser par rapport aux contractions musculaires dont sont atteints les malades de Parkinson et qui les empêchent de se nourrir seuls ? Ou des lentilles de contact permettant de détecter le taux de glucose dans les larmes en temps réel et qui aideraient les diabétiques à garder le contrôle de leur santé ?

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Project Wing

Si, en lisant cette énumération, à aucun moment vous n’avez pensé quelque chose s’approchant d’un « pfff, futile », c’est qu’il y a une raison : Google abandonne systématiquement les projets fous qui ne permettent pas d’aider l’humanité à grande échelle. Un ascenseur pour l’espace ? Impraticable. Un jetpack grand public ? Inutile. Chaque pierre lancée dans la mare de l’avenir à Google[x] ne souhaite pas créer un besoin ou agrandir une disparité existante, mais bien aider les habitants de la Terre en résolvant de grands problèmes de la société numérique que Google a participé à créer, prenant le pas sur l’action — ou l’inaction — des pouvoirs publics.

 

Guéri pour de bon ?

Google n’est d’ailleurs pas seul sur cette pente qui mène de la technologie grand public au moonshot scientifique et sociétal : un ami me disait un jour qu’il était convaincu qu’on ne connaîtrait Bill Gates dans 500 ans que comme un homme ayant consacré sa vie et sa fortune à lutter contre des maladies endémiques, finissant par en éradiquer quelques unes. Les faits lui donneront peut-être raison, car face à cela, l’épisode Microsoft pourrait sombrer dans un recoin sombre de la grande histoire. Elon Musk, riche grâce à Paypal et bourré d’idées a promis de faire décoller l’humanité de sa planète et de lui faire perdre sa dépendance aux hydrocarbures. La réalité est que, pour Google et pour les autres, être une firme qui n’est qu’un produit de consommation n’est plus suffisant pour légitimer son existence auprès d’une jeune génération qui, quoi qu’on en dise, sera confrontée à des problèmes environnementaux et sanitaires bien plus graves et immédiats qu’aujourd’hui.

(…) être une firme qui n’est qu’un produit de consommation n’est plus suffisant pour légitimer son existence auprès d’une jeune génération (…)

En un sens, après avoir amassé argent et popularité, Google est peu à peu en train de passer à l’âge de raison, loin des luttes inter-fanboys, des fausses déclarations chevaleresques et des procès pour copie de design industriel, le tout dans un laboratoire au nom évocateur, un X à découvrir sur la carte au trésor du futur..

Et on ne saurait que trop suivre de près ce qui se construit dans l’ombre des annonces les plus populaire : c’est là et là seulement que, peut-être, se résoudront les véritables problèmes des décennies à venir et s’exprimera le véritable potentiel de ces firmes tentaculaires qui ont vu le jour grâce à l’informatique, mobile ou sédentaire.

 

 

Texte : Julien Cadot

Illustration : Ulrich Rozier


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