Galaxy S III : la Guerre Froide entre Samsung et Google

 

L’événement Samsung est passé, vous savez désormais tous ce qu’est le Galaxy S III, le futur téléphone haut de gamme de Samsung, un bijou d’Androphone, peut-être pas aussi utopiste que nous le décrivions il y a un mois, mais quand même extrêmement séduisant pour les technophiles que nous sommes. Samsung a fait un pas de plus vers le grand public tout en continuant de contenter sa clientèle plus expérimentée avec un smartphone sans réel compromis, du moins sur le papier.

Vous aurez évidemment un test complet sur FrAndroid de ce nouveau bijou haut de gamme, mais s’il y a bien une chose que beaucoup ont remarqué lors de la conférence, votre serviteur inclus, c’est que jamais Samsung n’a mentionné Google ou Android. Pire, le géant coréen semble avoir fait exactement tout ce qui était en son possible pour se démarquer non seulement de la concurrence, mais aussi et surtout de Google. Petite chronique rétrospective d’un amour impossible.

Retournons en 2010. Android est en pleine croissance, les modèles se suivent et ne se ressemblent pas et Samsung sort pendant l’été le premier Androphone qui lui permettra de se créer une place de rêve sur le marché de la téléphonie intelligente, écartant d’un revers de la main nonchalant toute la concurrence : le Galaxy S débarquait chez les opérateurs à prix cassé. Oh, il n’était pas sans défaut, beaucoup ont eu de nombreux problèmes avec leur GPS par exemple, mais Samsung tenait là un smartphone accessible qui, comme le Desire de son concurrent direct, allait se vendre par cartons pleins.

Cette même année, c’est d’ailleurs HTC qui a été écarté de la gamme Nexus, laissant sa place à Samsung pour un Nexus S en demi-teinte, une sorte de modèle de clôture pour 2010 qui n’était définitivement pas aux standards de 2011 qui s’annonçait. En février, au MWC, peut-être le salon barcelonais qui a donné toute son ampleur à Android, sur les stands du constructeur coréen naissait le Messie de la téléphonie au droid vert. Le Galaxy S II était là, et il allait faire très, très mal.

BFF

C’est bien simple, jamais dans l’histoire d’Android un smartphone ne s’est aussi bien vendu que le fer de lance de 2011 de Samsung. Grâce à son interface entièrement repensée pour le grand public et parfaitement fluide, des services Samsung via les Hubs, le décodage du 1080p high-profile, le magnifique écran, l’appareil photo incroyable pour l’époque, et bien entendu, des caractéristiques techniques qui sont toujours excellentes aujourd’hui, le deuxième Galaxy devenait le smartphone à avoir, aussi bien pour le grand public que pour les passionnés – rappelez-vous par exemple que Samsung avait offert des Galaxy S II aux équipes de développement de Cyanogen, histoire que la ROM soit compatible plus tôt.

Et malgré le contraste entre le smartphone de Samsung et celui de Samsung pour Google, aussi bien du côté de la qualité que du côté des ventes,  c’est encore le coréen que le géant de la recherche a choisi pour son troisième Nexus, qui a emprunté à la célèbre gamme son nom. Encore une fois, le Galaxy Nexus était un smartphone qui clôturait une ère. Sorti en fin d’année, il était pensé comme le support d’une nouvelle version d’Android… oui certes, mais il n’était malgré tout pas assez innovant et pas suffisamment accessible pour s’imposer comme la relève du SII sur le marché Android grand public.

Vous m’en mettrez quelques millions, c’est pour consommer tout de suite.

Mais si l’on s’attarde sur l’actualité discrète plutôt que sur les gros titres, c’est aussi au cours de cette année 2011 qu’un orage s’est déplacé sur les têtes de Samsung et de Google, pourtant tous les deux au paradis des dollars, l’un avec ses smartphones, l’autre avec son système permettant d’afficher des pubs dans chaque poche. En 2011, Samsung a commencé à jouer sur le terrain de Google, d’abord en douce, avec une reconnaissance vocale maison, puis de front, avec un logiciel de chat – le tristement inconnu Chat On – pour finir en beauté avec un véritable bras d’honneur à la stratégie commerciale de son partenaire : Samsung AdHub, un service de régie publicitaire, rien de moins.

En parallèle, Samsung a lancé son Galaxy Note avec un marché d’applications alternatif, le S-Choice, qui s’étendra sûrement à la gamme d’ici peu. Là, Samsung peut afficher ses bannières, Samsung peut couper le billet vert sous les pieds de Google. Mais sur Android, c’est Sammy qui a le pouvoir, Sammy vend du smartphone par cartons entiers, Sammy est le leader mondial. Alors même si Sammy rate parfois ses coups, comme avec Chat On, Sammy s’en sort toujours.

Samsung Galaxy Note

Un prétexte pour un marché d’application alternatif ? « Moi moi moi » – le S-Pen.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, il n’est même pas sûr que le rapport ne soit pas déjà inversé : qui a besoin de qui ? Samsung d’Android ou Google de Samsung ? Quelle que soit la réponse, la conférence du trois mai avait des airs de fin d’une époque. Ce soir, Samsung s’est élevé au-dessus de la galaxie Android et n’a plus qu’un concurrent en tête : Apple. Et le père Sam compte bien mener cette guerre tout seul.

D’abord, il ne fallait pas être fin observateur pour noter que toute référence à Google ou à Android avait disparu de la présentation. On se souvient des conférences de presse il y a un an ou deux, Android était à cette époque un argument de vente, on nous mettait des logos partout et on nous vantait la synchronisation avec les Google Apps, par exemple. Ce soir, rien, pas un mot, comme si l’OS s’était complètement effacé derrière le constructeur.

Flipboard sur Android, peut-être l’une des annonces les plus excitantes de la soirée

Enfin, quand on dit l’OS, c’est pour être gentil, parce que c’est en fait tout Google que Samsung a cherché à écraser ce soir. Vous souvenez-vous de la présentation du Galaxy Nexus ? Google avait montré un nouvel algorithme de reconnaissance vocale, concurrent direct de Siri dont plus personne n’entend parler aujourd’hui. Eh bien Samsung a son propre logiciel désormais, S-Voice, qui, d’après les premiers retours, est très satisfaisant. Il reconnaît la voix de son maître, répond aux ordres directs et fait à peu près tout ce que vous voudriez qu’un ami imaginaire fasse. Pour nous, ce n’est pas tant un « regardez, nous aussi on peut faire aussi bien qu’Apple » qu’un « Google n’est pas fichu de faire mieux qu’Apple, on va leur montrer qu’on peut sans eux ».

Et s’il n’y avait que ça… tenez, prenez par exemple l’annonce de Flipboard pour Android, qui sera pendant de longs mois une exclusivité Samsung. Qu’a sorti Google il y a quelques mois – et quelques semaines en France ? Oui, Google Currents, un concurrent de Flipboard, une des applications les plus populaires et les plus réussies jamais codées sur iOS. Le Coréen ne fait pas de copy-cat, non – et pourtant ce n’est pas ce qui l’a dérangé par le passé -, il va à la source et amène ce bijou à ses utilisateurs. Quand Flipboard sortira sur Android, Google Currents n’aura plus le moindre intérêt. Et ce petit tueur, c’est Samsung qui l’a engagé.

Il paraîtrait que le S Voice pourrait même reconnaître l’anglais de monsieur Shin

Continuons et détruisons dans la joie et la bonne humeur le dernier service de stockage à la mode, Google Drive. Encore une fois, Google a cherché à proposer sa version d’un service qui existait déjà : il était le challenger, pas tant d’Apple cette fois, mais du vénérable Dropbox. Grosso modo, Drive a surtout un avantage sur Dropbox : 5 Go d’espace de stockage gratuit, 25 Go chez le troisième, Skydrive, 10 fois moins ou presque chez la boîte bleue. Oh, pas pour les acheteurs du Galaxy S III qui se verront offrir 50 Go chez Dropbox. Encore une fois, c’est une épée dans le coeur d’un service Google – ce sont les smartphones Galaxy qu’achète le grand public, c’est le grand public aussi qui décide si un service vit ou meurt dans l’indifférence.

Vous en voulez encore ? Vous vous souvenez des directives de Google pour l’avenir de la téléphonie mobile ? En deux mots, pas de carte SD, c’est périssable, pas de bouton physique, c’est has-been. Samsung n’a jamais suivi ces recommandations sur ses propres modèles, parce que le Coréen sait ce que ses clients veulent, alors il continuera de faire ce que bon lui semble. Un bouton, c’est pratique pour le grand public. Une carte SD, ça plaît aux technophiles. Alors rien ne sert d’écouter et de suivre les consignes bêtement : quand on y pense, il se vendra peut-être plus de Galaxy S III en une journée que de Galaxy Nexus en un an, à quoi bon s’aligner ?

Entre HTC et Apple, mon coeur balance – Air connu

Allez, un dernier pour la route : vous vous souvenez des Google TV ? On peut reprendre le même raisonnement qu’à propos du S-Voice par rapport à Siri : Samsung sort lui aussi son petit boîtier qui permet de retransmettre via WiFi ce qu’il se passe sur votre smartphone. Qui a dit Apple TV ? Encore une fois, le Coréen n’invente rien, mais montre simplement à Google qu’ils peuvent faire des produits qui ont suffisamment de potentiel pour entrer en concurrence avec la Pomme, que eux peuvent rivaliser. Et comme ils ont la clientèle, eux, ils vont les vendre.

On pose alors franchement la question : que reste-t-il de Google, quand Samsung propose 90% des services du géant en mieux – que ce soit via un service maison ou un partenariat avec le leader ? Les Google Apps ? Samsung n’en n’a même pas dit un mot. Le Play Store ? Aucune mention non plus. Et jusqu’à quand sera-t-il là d’ailleurs ? Quand un constructeur tient le marché d’une poigne de fer, qu’il dispose de plusieurs millions de petites mains tapotant sur ses écrans, il a certes toujours besoin d’Android au sens d’une distribution Linux, mais n’a plus besoin de Google : regardez Amazon et sa success-story au doux nom de Kindle Fire.

On se demande comment ils appelleront leurs évangélistes… Genius est déjà pris. Samsung God ?

Samsung fait du service, Samsung emprunte à droite et à gauche, Samsung ne cherche même plus à innover outre mesure : il veut conquérir un marché tout seul, grâce à un portable qui, comme il n’a cessé de le répéter, était pensé pour les êtres humains. Apothéose de cette soirée qui montre très nettement que le géant ne se situe plus dans la Googlosphère : comme pour les produits Apple, les produits Samsung seront vendus dans des Samsung Store designs et chics. La gamme Galaxy n’a jamais aussi bien porté le sobriquet qu’on lui a ironiquement donné par le passé : l’iPhone sous Android est toujours plus une réalité en ce mois de mai 2012.

On ne sait pas ce qu’il adviendra de la relation entre les deux géants, mais il n’est pas difficile de voir que, année après année, leur amourette s’effrite. Ce soir, Samsung a montré dans les reflets glossy de son smartphone l’image d’un constructeur loin, très loin de Google et paradoxalement si proche d’Apple. Ce soir, Samsung a sorti ses propres armes, et il est fort probable que sa cible ne soit pas celle dans le collimateur des publicités parodiques du conquérant coréen…