Les téléphones fins ne font plus rêver

 

Le culte de la minceur n’est pas réservé aux revues de mode. Il touche le monde de la mobilité, où la course à la finesse établit de nouveaux records chaque semaine. Pour le bien de l’utilisateur final ? Pas si sûr.

Oppo R5

4,98 mm : voilà l’épaisseur d’un Oppo R5, officialisé cette semaine par une marque chinoise très en forme sur le terrain du design. Le nouveau recordman du genre n’est pas seul à tenter l’impossible pour nous faire confondre notre téléphone avec une feuille de papier. Quelques semaines plus tôt, Gionee, marque chinoise que l’on ne trouve qu’en import, présentait son Elife S5.1 épais de 5,15 mm, que l’on retrouvait ce mois-ci rebrandé sous le nom de Kazam Tornado 348. Des terminaux de 5,5 mm, on en avait également vu chez Thomson et chez la plupart des marques chinoises, qui ne sont pas seules à rivaliser d’ingéniosité pour placer un maximum d’éléments dans le boitier le plus compact possible. Ainsi le Galaxy Alpha ne dépasse-t-il pas les 6,7 mm d’épaisseur, le Huawei Ascend P6 mesure-t-il 6,18 mm d’épaisseur et l’iPhone 6, un record pour lui, 6,9 mm. Revenez quinze ans en arrière : un Nokia 3310 dépassait allègrement les 2 centimètres d’épaisseur mais, mais, mais il tenait dans la main.

Tornado 348
Le Tornado 348

L’iPhone 6 évoqué plus haut, ou plutôt sa version Plus (7,1 mm d’épaisseur) est emblématique de cette course à la finesse et des craintes qu’elle suscite. Sitôt les smartphones lancés, la polémique entrait en jeu : placé dans la poche d’un pantalon, le téléphone risquait de se plier, soit coincé entre votre hanche et votre cuisse, soit écrasé par votre postérieur. Et à plus de 700 euros la torsion, la blague n’a pas fait rire les premiers clients d’Apple. En réalité, peu de cas de pliage réel ont été recensés, quand l’affaire a bénéficié d’un écho médiatique sans précédent. La Pomme a voulu faire trop fin, si bien qu’elle n’est pas parvenue à produire un téléphone solide, quel scandale ! Avec la sortie des derniers iPad, la plaisanterie s’est prolongée, à force de parodies – plus ou moins drôles d’ailleurs – montrant qu’en y mettant toutes ses forces, on pouvait plier une tablette. Personne ne semble avoir testé l’opération avec une Xperia Tablet Z2 mais, avec ses 6,4 mm, gageons qu’elle réagirait, elle aussi, très mal à une telle pression.

Entre finesse et batterie, il faut choisir

Pourquoi un tel retentissement pour finalement bien peu de cas ? D’abord parce qu’une erreur de design sur un terminal onéreux n’est pas pardonnable, cela va sans dire. Mais il semble que ce ne soit pas la seule cause de cette disproportion. Elle semble surtout témoigner d’un fait : chercher à faire toujours plus fin n’est pas un gage de glamour ni de technicité et l’iAffaire semble avoir fait office de catalyseur des doutes des mobinautes. Apple et ses concurrents misent sur la finesse, mais les attentes de leurs clients sont peut-être ailleurs. En mai dernier, une étude de l’IFOP montrait que 54 % des utilisateurs souhaitaient voir s’améliorer l’autonomie de leurs objets mobiles, mais aussi que 34 % d’entre eux aimeraient que leurs terminaux offrent une meilleure résistance aux chocs et à l’eau. La course à la finesse se joue en parallèle de la miniaturisation des batteries et des optimisations logicielles, mais va un peu plus vite qu’elle, si bien que rares sont les smartphones ultra-fins qui ne font aucun compromis sur leur capacité de batterie. Le Galaxy Alpha embarque une batterie de 1860 mAh ; avec 2 mm d’épaisseur supplémentaires, sa capacité aurait été réellement augmentée. De même que les 2000 mAh de l’Oppo R5 : si le premier obtient une autonomie correcte (et le second sera certainement lui aussi convenable), le fameux cap de la journée d’utilisation reste difficile à franchir. Cela explique certainement le succès de la gamme Droid (le Droid Turbo et sa batterie de 3900 mAh sont très attendus aux USA) chez Motorola et de tout smartphone à l’autonomie prometteuse.

Motorola Droid Turbo evleaks

À force de rêver au design parfait, les constructeurs de smartphones semblent oublier que le succès ne se joue pas sur un millimètre de plus ou de moins. La course aux records de finesse, en vérité, ne concerne qu’eux. Elle se traduit sur les téléphones par des compromis qui les coupent de leur public. Oppo nous ressort l’antique adaptateur USB-Jack puisqu’il n’a plus la place d’inclure une prise casque à son R5. Le capteur photo d’un iPhone 6 dépasse de sa coque, celui du Galaxy Alpha également, on gagne quelques millimètres en passant d’un port micro-SIM à du nano-SIM et parfois, on supprime même l’emplacement micro-SD, comme c’est le cas chez Gionee. Les appareils recordmen dans le domaine de la finesse ont beau être des produits d’image, ils cherchent néanmoins à entraîner le reste du marché dans leur sillage.

Adaptateur Jack

Le cas de Motorola montre que ce la taille mannequin ne fait pas tout. Avec ses Moto G, Moto X et Moto E, il prouve qu’un centimètre d’épaisseur, pourvu que l’ergonomie et la prise en main soient travaillées – ici grâce à un dos bombé et des tranches assez fines – n’est pas en soi un frein à l’achat, surtout si cette épaisseur relative est couplée à un format d’écran relativement compact. C’est aussi là que la demande semble aller, même si l’offre manque encore : vers des téléphones plus petits, peut-être moins fins également, mais qui peuvent être utilisés à une main et rangés dans une poche sans danger. Il est encore loin, ce fantasme hérité des films de science-fiction, où un feuillet transparent permet de téléphoner et d’afficher une multitude d’informations. En attendant d’y parvenir, l’enjeu du présent est peut d’être de se saisir des innovations techniques, mais aussi d’en accepter les limites pour mieux optimiser ce dont on dispose. Entre record et confort, le choix me semble rapide.


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