Bilan 2013 : la mobilité se repose-t-elle sur ses lauriers ?

 

A-t-on bien estimé la portée de la superstition ? Rappelons-nous un instant : il y a un peu plus d’un an seulement, toutes les télévisions de France et des centaines de journalistes du monde entier se massaient dans un petit village sans prétention et sans histoire fantastique – hormis le fait qu’il était le dernier rempart avant la Fin du Monde. Nous étions un 21 décembre et la voie supersitieuse allait réduire le monde en poussière, l’alternative rationnelle, elle, laisserait l’Humanité suivre tranquillement son cours. Un an est passé depuis cette date désormais oubliée et l’on ne peut pas dire que, dans le monde des technologies grand public, l’année a été surprenante.  Alors quoi ? Les constructeurs avaient-ils arrêté la R&D dans un inévitable fatalisme apocalyptique ? Tentons un bilan non exhaustif pour en juger.

Bilan 2013

Que dire des salons technologiques de 2013, si ce n’est qu’ils ont été égaux à eux-mêmes ? En janvier, c’était l’avion pour Las Vegas et son CES, quelques semaines plus tard, l’envol pour Barcelone et son MWC. Comme c’est désormais la coutume, les constructeurs ont joué des rumeurs et ont annoncé leurs produits avant l’ouverture des salons. Des produits d’ailleurs sans grande saveur : qui s’en souviendrait sans creuser les archives du web, plus profondes et complexes que celles de la mémoire humaine ? Et pour cause, ils n’ont pas véritablement marqué. Alors certes, l’Xperia Z de Sony a ouvert le bal des appareils équipés d’écrans définis en 1080p full HD et a redonné à l’image de la marque un sceau qualitatif trop oublié les années précédentes. Mais, moins qu’une révolution, ce fut une évolution : une continuité logique du marché du smartphone Android et non un nouveau bond qualitatif.

Salons de 2013 : paysages moroses

Comme Apple avant eux, HTC et Samsung se sont démarqués cette année des salons, qui sonnent très certainement leurs dernières années comme rencontres de référence pour les professionnels du marché des nouvelles technologies. Les deux firmes ont présenté leurs poulains haut de gamme dans des événements dédiés. HTC a tenté le saut qualitatif avec un One aux petits oignons, et le saut vers l’originalité avec un appareil photo dit « UltraPixel » qui, même s’il promettait beaucoup sur le papier, n’a pas vraiment bouleversé la photographie mobile. Samsung, qu’en dire ? Rien, si ce n’est que, comme depuis plusieurs années maintenant, la firme a fait ce que l’on attendait d’elle, rien de plus, rien de moins. Un smartphone haut de gamme sans compromis, moulé dans un écrin de plastique grossier et équipé d’une foultitude de gadgets parfaitement inutiles – quand ils fonctionnent. Des millions d’unités vendues, un marché largement écrasé.

Le reste de l’année ? La succession habituelle des déclinaisons, Mini, Max, 4G, Advance et consorts…

Alors, deux paragraphes et déjà complètement out, l’année 2013 ? Pas tant que ça, mais il faut creuser. D’abord, évidemment, il y a les objets connectés. Ces appareils n’entrent pas clairement dans la mobilité au sens strict du terme, mais ils s’y apparentent fortement. Nous avions consacré un édito complet à la question il y a peu et ses interrogations finales restent toujours d’actualité : aujourd’hui, les objets connectés sont majoritairement des appareils de mesure et non des appareils de contrôle. La domotique seule échappe à cette règle : partout ailleurs, on mesure la respiration, l’humidité, le courant électrique, la pollution, on filme à distance, on fait des relevés par-ci, des statistiques par-là. Les objets connectés sont aujourd’hui des appareils qui servent à prendre le pouls de nos habitude et non encore à donner un nouveau souffle. En 2014 pourtant, le marché s’ouvre et se profile : santé, automobile, urbanisme… ce sont des secteurs aussi divers que variés qui se lanceront dans l’aventure à n’en pas douter.

nokia

Si l’on reste pourtant dans la mobilité stricte, on verrait alors simplement deux angles pour trouver du neuf vraiment neuf, et il faudrait aller plutôt voir, cette année, du côté des constructeurs en-dehors d’Android et de Google en général, en tant qu’entreprise. D’un côté, il y aurait Nokia avec ses Windows Phone. La compagnie a tant monopolisé le secteur de la mobilité propulsée par Microsoft qu’elle en est devenue petit à petit synonyme – d’abord symboliquement, puis, récemment, de manière officielle, par le rapprochement des deux firmes. Nokia fait des tentatives  du côté de la photographie ou des services. Les capteurs de 20 mégapixels, quand ce ne sont pas ceux de 40, en sont une preuve. Here Maps, l’application qui permet d’utiliser la localisation par GPS sans connexion à Internet, en est une autre. Elles sont le signe que le constructeur a encore des arguments sur le marché… même s’il reste freiné par un Windows Phone 8 stagnant depuis sa sortie, toujours dépourvu de fonctions aussi essentielles qu’un centre de notification ou d’une numérotation intelligente.

L’autre étalon est pommesque, difficile d’en douter. L’iPhone 5S, lui non plus, ne révolutionne pas la mobilité, mais tente beaucoup de choses et en réussit autant. Capteur d’empreintes digitales, processeur 64 bits, double flash calibré pour reproduire une lumière naturelle, enregistrement de vidéo à 120 images par seconde… et bien entendu, iOS7, l’entrée tant attendue d’Apple dans le monde de la modernité numérique, qui abandonne enfin le skeuomorphisme naïf des premières heures. Alors oui, Apple n’a pas eu tout bon : l’iPhone 5C n’a pas été le carton envisagé. Mais si les chiffres de vente de l’iPhone 5C semblent peu peser sur le marché, le positionnement d’Apple par rapport à la concurrence reste intéressant (même s’il peut être donc économiquement mauvais) : il est loin de la mode. Quelle mode ? Il faudrait plutôt user d’un pluriel : quelles modes ? Eh oui, deux tendances ont rythmé l’année 2013 de manière générale : d’une part, celle des phablettes, qui continue à être l’un des mots les plus laids de notre langue ; d’autre part, celle des appareils low-cost-mais-que-par-le-prix. 

Galaxy Note : de la plus grosse à la plus petite des phablettes

Nul besoin de faire un dessin pour caractériser la première de ces catégories : la phablette, ce smartphone colossal, a pris son envol, lancée sur le marché grand public par Samsung il y a deux ans avec son Galaxy Note. Comme souvent quand les humains sont impliqués, les constructeurs ont joué à se comparer les tailles et ont redoublé d’efficacité pour déterminer qui allait être celui qui aurait la plus grosse à la fin de l’année. Difficile de faire mieux qu’Asus, peut-être, qui, avec son Fonepad, a sorti un smartphone à l’apparence d’une tablette de 7 pouces. Le mauvais Galaxy Mega, dans sa plus grande version, avait aussi des arguments… de taille. Même Nokia s’y est mis avec Windows Phone et ses deux derniers Lumia : le 1520, notamment, est un colosse qui ne tiendrait pas dans la plupart des paluches. Une tendance donc, qui a fait passer en un an le premier Galaxy Note du « plus gros smartphone jamais construit » à la plus petite phablette du marché. Pour autant l’évolution de l’espèce n’a pas fait augmenter la taille de nos membres en si peu de temps et il y a fort à parier que la course au gigantisme cessera en 2014, les limites de la décence ayant été atteintes.

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L’un des derniers FonePad d’Asus…

Du côté du low-cost pour des appareils de qualité, c’est tout de suite plus intéressant. La presse s’est persuadée pendant quelques longs mois que l’iPhone 5C serait un de ces appareils coûtant moins de 300, voire 200 euros. Il n’en fut rien : ce secteur reste dominé par les appareils tournant sous Android. Et encore une fois, les chemins sont doubles. Le premier qui s’ouvre est celui de la R&D et de l’industrialisation effectuées en Chine, le SAV déporté ailleurs. C’est précisément le cas de Wiko, qui a joué un remarquable coup de comm’ en faisant croire à tout le monde que ses smartphones étaient de fabrication française, excitant la tendance au Made in France, à la mode elle-aussi. Évidemment, il n’en n’est rien, et tout si ce n’est la marque est chinois dans Wiko – il fallait aller simplement sur le site officiel pour s’en apercevoir. L’autre branche du low-cost, c’est Google qui peut l’assumer et le cas est encore plus complexe – et donc intéressant.

Simplifions le marché à deux modèles pour les besoins de l’expérience : le Nexus 5 d’un côté, le Motorola Moto G de l’autre. L’un comme l’autre sont des appareils vendus neuf et sans abonnement à des prix très nettement inférieurs aux composants qu’ils affichent, par des marques solidement reconnues et installées – qui sont, en fait, une seule et même entité désormais. Certes, Google s’était déjà lancé dans cette voie l’année passée avec le Nexus 4, mais cette fois, on sent que la tendance se concrétise : essai transformé. Avec le Moto G, Google attaque en plus un secteur qui ne proposait pas d’appareil de ce genre : celui des machines  à moins de 200 euros avec de grandes qualités en termes de finition et d’équipement. Alors certes, on remarquera les composants de l’an passé, le recyclage de modèles déjà existants, autant du point de vue du design que de celui du matos, mais l’un dans l’autre cela permet d’obtenir un résultat encore jamais vu – sauf à regarder chez Wiko où chez d’autres industriels asiatiques proposant leurs produits en marque blanche. Cela est rendu possible, évidemment, par ce que Google peut gagner en contrepartie : sans royalties pour utiliser le système d’exploitation, avec du matériel maîtrisé en termes de production et des appareils qui n’ont pas nécessité force recherche pour être assemblés et conçus, même avec un prix bas, le bénéfice est total pour un géant publicitaire : il augmente à moindre frais sa base de données d’utilisateurs.

Adieu la vie privée ?

Comme il l’a été évoqué dans un précédent édito, il n’est pas inenvisageable que Google propose à terme des appareils gratuits ou presque – peut-être pas pour 2014 en revanche. Et tirer les prix vers le bas s’est accompagné d’un autre mouvement chez la firme de Mountain View : après avoir joué les chantres du logiciel libre et les chevaliers blancs face aux étalons maléfiques qu’étaient Apple et Microsoft dans l’esprit des gens, Google s’est petit à petit détourné très largement de cet horizon. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder ce qu’il reste dans l’Android actuel des belles promesses d’AOSP, la version open source d’Android : pas grand chose. Même les SMS peuvent être gérés désormais par une application propriétaire fournie par Google, Hangouts, elle-même reliée au réseau social Google +, lui-même connecté de plus en plus à Gmail. Voilà donc un double mouvement à suivre de près en 2014 : il est évident que, selon le dicton que l’on connaît maintenant bien, tout ce que Google perdra en client, au sens strict du terme, la firme le gagnera en produits à surveiller, vendre, utiliser, orienter, accoutumer. Ces produits, ce sont les utilisateurs.

Moto G

Répéter ces remarques à la fin de l’année 2013 a du sens : ce n’est que très récemment que l’affaire Prism a éclaté, notamment grâce aux révélations d’Edward Snowden. Pour le dire vite puisqu’il n’est pas question ici d’entrer dans les détails de ces questions, nous avons eu quelques preuves que la NSA surveillait massivement la population à l’aide de ses propres technologies et, vraisemblablement, d’une collaboration, peut-être involontaire, des grandes fermes de contenu et d’informations que sont les prestataires de service comme Amazon, Microsoft… ou Google. Et même dans le cas où l’on ferait confiance à ces compagnies pour ne pas avoir partagé ces données confidentielles avec les services de renseignement américains, au mieux pouvons-nous reconnaître que de telles révélations ont remis le respect de la vie privée au centre du débat et des préoccupations citoyennes. Vie privée, ce concept qui risque de devenir complètement abscons si cette voie d’un contrat d’espionnage volontaire du client à des fins publicitaires en échange de gratuité ou de quasi-gratuité est conservée. La lame du bas prix aura donc bien deux tranchants.

Phablettes reines à la grosse tête, Google attaquant le marché par le bas, Apple solidifiant sa prestation de qualité sans prendre le moindre risque, Nokia en bon outsider poussant le boulet Microsoft, du haut de gamme peu révolutionnaire et très peu d’événements marquants si ce n’est pour nous rappeler que notre intimité numérique n’a plus de sens :  oui, définitivement, l’année 2013 est à penser en demi-teintes et en nuances de gris. C’est à 2014 de surprendre.


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