« Nous avons pris le mauvais chemin » : le père du Web regrette ce qu’il est devenu aujourd’hui

 
Dans une tribune, Tim Berners-Lee explique que le Web s’est perdu en chemin, qu’il n’est plus libre et qu’il a transformé les utilisateurs en produits. Sa solution : Solid.
Tim Berners-Lee // Source : CERN

Dans une tribune publiée par le journal britannique The Guardian, Sir Tim Berners-Lee, l’inventeur du World Wide Web, dresse un constat amer de l’état actuel de sa création. Il estime que l’idéal d’un espace ouvert et collaboratif a été dévoyé par une poignée de plateformes géantes où les utilisateurs ne sont plus des clients, mais sont devenus le produit.

La vision originelle : un web libre et pour tous

C’est en 1989, alors qu’il travaillait au CERN (l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire), que Tim Berners-Lee a posé les bases du Web en inventant des standards comme le HTTP et les URL.

Son idée était de combiner deux technologies existantes : l’Internet et l’hypertexte, qui permet d’ajouter des liens cliquables dans des documents. Il était convaincu que cela permettrait de « libérer la créativité et la collaboration à l’échelle mondiale ».

Pour que sa vision d’un espace universel où l’on pourrait tout trouver se réalise, « il fallait que ce soit gratuit. C’est pourquoi, en 1993, j’ai convaincu mes responsables du CERN de faire don de la propriété intellectuelle du Web, le plaçant ainsi dans le domaine public ».

« Nous avons pris le mauvais chemin »

C’est par cette phrase choc que Tim Berners-Lee résume son regret. « Quelque part entre la première version du web et sa réincarnation dans l’âge des réseaux sociaux, nous avons pris le mauvais chemin », écrit-il. Il critique vivement le modèle économique dominant, où les grandes plateformes exploitent les données personnelles des utilisateurs pour les revendre à des courtiers ou les céder à des gouvernements :

« Sur de nombreuses plateformes, nous ne sommes plus les clients, mais le produit. Nos données, même anonymisées, sont vendues à des acteurs que nous n’avions pas l’intention de cibler, qui peuvent ensuite nous cibler avec du contenu et de la publicité. Cela inclut des contenus délibérément préjudiciables qui conduisent à la violence dans le monde réel, propagent de fausses informations, nuisent à notre bien-être psychologique et cherchent à saper la cohésion sociale. »

Le début du Web // Source : CERN

Il dénonce également les algorithmes « conçus pour être addictifs » et qui sont « dommageables pour la santé mentale de nos adolescents ». Pour lui, cette situation est à l’opposé de sa vision initiale d’un web libre, qu’il avait volontairement placé dans le domaine public pour qu’il puisse appartenir à tout le monde.

Solid : sa solution pour reprendre le contrôle de nos données

Face à ce constat, Tim Berners-Lee ne se contente pas de critiquer et met en avant une solution technique qu’il a mise au point il y a dix ans au MIT : Solid. Il s’agit d’un standard open-source qui vise à redonner aux individus le contrôle total de leurs données.

Le principe est simple : au lieu que vos données soient stockées dans d’innombrables silos appartenant aux éditeurs de services (Facebook, YouTube, etc.), elles sont regroupées en un seul endroit, un « pod » de données personnel que vous seul contrôlez.

« Vous générez toutes ces données : vos actions, vos choix, votre corps, vos préférences, vos décisions. Vous devez en être propriétaire. Vous devez en être responsabilisé », écrit ainsi l’informaticien.

Avec Solid, les applications doivent demander à l’internaute la permission d’accéder à des informations spécifiques, une permission qu’il est libre d’accorder ou de refuser.

La solution de Tim Berners-Lee // Source : Solid

Un avertissement pour l’ère de l’IA

Et Tim Berners-Lee utilise les leçons tirées de l’ère des réseaux sociaux pour lancer un avertissement sur l’intelligence artificielle. Il craint que le même modèle de monopole et de contrôle des données ne se répète. Pour éviter cela, il appelle les gouvernements à agir de toute urgence.

Il propose la création d’un organisme de recherche international sur l’IA, non lucratif et sur le modèle du CERN. Selon lui, seule une collaboration internationale de ce type peut garantir que l’IA soit développée pour le bien de la société, et non pour le seul profit de quelques entreprises technologiques. « Nous pouvons redonner du pouvoir aux individus et reconquérir le Web. Il n’est pas trop tard », achève-t-il.


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