Racheter Motorola, quel(s) intérêt(s) pour Lenovo ?

 

Un chèque de 2,91 milliards d’euros, et voici Motorola Mobility qui, sous réserve des validations d’usage, passe aux mains de Lenovo. L’affaire fait couler beaucoup d’encre côté Google, du fait que Mountain View a laissé partir sa récente acquisition pour une dizaine de milliards d’euros de moins qu’il ne l’avait payée. Il s’agit pour la firme de conserver les brevets qui lui importent, mais pour Lenovo, quels objectifs retenir ?

Lenovo

Objectif clamé haut et fort par Lenovo : « Faire », ou plutôt « Do ».

Lenovo reste encore méconnu en Europe, et notamment en France, où la marque chinoise est encore bien peu présente dans les rayonnages des revendeurs de PC. À l’échelle mondiale, il en va bien autrement, puisque malgré les protestations de ses concurrents directs – autant dire HP, leader historique du secteur – Lenovo s’est octroyé la place de premier constructeur d’ordinateurs. Sa notoriété (et ses bénéfices) passent notamment par sa gamme de PC ThinkPad, qui a décollé suite à des rachats d’envergure.

Revenons au commencement. En 1984 naît Lenovo en Chine. L’entreprise fondée par Liu Chuanzhi ne parlait pas à grand monde à l’époque, même si les idées ne lui manquaient pas : la firme s’est essayée à des solutions de prise en charge des idéogrammes chinois par les claviers d’ordinateurs, à des montres à affichage digital, avant de procéder à l’opération qui a signé son tournant. En 2005, elle acquiert en effet la division PC de l’historique IBM, pour la somme totale de 1,75 milliard de dollars. Avec une telle acquisition, Lenovo conjugue sa force de production à l’implantation internationale d’IBM : c’est le jackpot.

Thinkpad

 

Des PC aux smartphones

Dès 2012, Lenovo devient premier constructeur de PC au monde, quoi que l’information soit contredite selon les études. Lenovo lui-même ne prend pas de risque, se décrivant, dans son rapport financier 2012-2013, comme « l’un des deux fabricants de PC leaders au monde« . L’année précédente, il s’octroie une partie l’Allemand Medion, spécialisé dans les ordinateurs, mais aussi TV, appareils photo… et même les grille-pain. Fort de ses nouvelles conquêtes, Lenovo affichait ses ambitions : « Devenir une entreprise leader sur le marché des PC n’est qu’une étape dans le développement de Lenovo, qui souhaite également devenir un leader sur d’autres marchés« , déclarait Yang Yuanqing, le CEO de Lenovo, lors de la publication des résultats trimestriels de la marque, en novembre 2012 ; en un an, ses bénéfices trimestriels avaient bondi de 20 % à 303 millions de dollars, et sur l’année fiscale, à plus de 800 millions de dollars. À l’aune des faits d’hier, ce vœu pieux s’éclaire.

Les smartphones ne sont pas une toute nouvelle activité chez Lenovo. Le Chinois est présent sur tous les salons d’électronique d’envergure, par exemple au CES (Las Vegas), à l’IFA (Berlin) ou au MWC (Barcelone), sans compter les salons asiatiques. Même si tous ses appareils n’ont pas vocation à être commercialisés sur tous les territoires, la marque en fait la démonstration. Les Vibe notamment sont emblématiques de la marque, qui montrait son récent Vibe Z au CES 2014, dont la finition témoigne du savoir-faire de Lenovo.

 

2014, l’année charnière

Les résultats financiers à mi-course de l’exercice 2013-2014 de Lenovo assurent au Chinois une position confortable. Leader sur le marché international, notamment en Inde et en Russie, mais aussi en forte croissance en Amérique du Sud (sans oublier sa présence aux USA et en Asie), Lenovo confirme sa posture de leader dans le monde des PC. Côté smartphones, les affaires vont bien, les derniers chiffres de la marque faisant état d’une croissance de + 78 % en un an et de 12,3 millions d’unités livrées pendant le deuxième trimestre fiscal de l’année 2013-2014. Et selon IDC, sur l’ensemble de l’année 2013, Lenovo a livré 45,5 millions d’appareils, s’octroyant par la même occasion le cinquième rang mondial et 4,5 % de parts de marché, contre 3,3 % l’année précédente. De son côté Lenovo estime détenir la quatrième place mondiale au deuxième trimestre fiscal.

Que comprendre de ces résultats ? Motorola Mobility ou pas, Lenovo est en pleine ascension sur tous les secteurs, consolidant sa position dans le domaine des PC et mettant les bouchées doubles dans celui de la téléphonie. Et pourtant, il n’est pas présent partout : ses terminaux mobiles concernent la Chine principalement, mais aussi l’Asie Pacifique, l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Afrique. Manquent donc à son palmarès l’Amérique du Nord et la vieille Europe.

 

Motorola, le cheval de Troie de la conquête de l’Ouest

Et c’est ici qu’intervient Motorola Mobility. Rachetée pour 2,91 milliards de dollars, soit bien moins que le prix initialement versé par Google pour l’entreprise en 2011, mais une somme conséquente pour un Motorola moribond, dont les ventes de Moto X restent décevantes, la section de l’entreprise est un ticket d’entrée pour les pays de l’Ouest. Et notamment pour les USA, traditionnellement réticents aux marques chinoises.

Si Lenovo peut conserver la licence Motorola, comme ce devrait être le cas, l’opération pourrait s’avérer extrêmement juteuse. Motorola jouit en effet d’une image américano-américaine, et a d’ailleurs chatouillé cette fibre patriotique lors de la sortie du Moto X, à l’été 2013 : c’était le fameux smartphone « made in America » – enfin, du moins personnalisé au Texas, ce qui n’est pas si mal. En bonus, Motorola entretient d’excellentes relations avec les opérateurs américains, ce qui pourrait fort servir les desseins de Lenovo au pays de l’Oncle Sam, tout comme la possibilité que lui offre Google d’utiliser le portefeuille de brevets Motorola qu’il conserve.

En Europe également, Motorola a su redorer son blason lors de la sortie du Moto G, l’une des meilleures affaires de l’année, avec ses performances très acceptables pour un tarif au rabais (169 euros) rivalisant avec Wiko, ZTE ou Huawei et l’assurance d’une mise à jour vers Android 4.4 KitKat.

Motorola pour l’image, Lenovo pour les usines et la force de frappe : la conjugaison des deux géants devrait permettre à Lenovo de passer devant LG (0,2 % de pdm de plus que Lenovo selon IDC en 2013) et d’atteindre a minima la troisième marche du podium des vendeurs de smartphones. Les moyens humains sont là, puisque Lenovo revendique 33 000 employés dans le monde, et ils auraient pu passer à l’ennemi sans autre forme de procès. Après tout, Lenovo fabrique des PC sous Windows, commercialise des tablettes sous Windows 8.1 également, et les terminaux mobiles sous Windows Phone auraient pu venir couronner le tout en toute cohérence. Google, en revendant Motorola au Chinois, lui offre un ticket d’entrée aux USA et en Europe, mais aussi s’assure de le voir rester dans le monde joyeux du Bugdroid.

Et n’oublions pas que Google, c’est aussi la protection d’Android. Un risque pèse actuellement sur le système d’exploitation, dominé sans conteste par Samsung ; à terme, Mountain View semble craindre que la marque finisse par se confondre avec l’OS dans l’esprit des consommateurs. Favoriser l’émergence d’un autre constructeur de poids, c’est aussi s’assurer que l’hégémonie de Samsung ne s’installe pas trop profondément, au détriment d’autres marques plus petites. Question d’équilibre, sans doute.

 

Quel avenir à court terme ?

Les questionnements sont nombreux, à la suite de l’annonce de Larry Page. Quid des mises à jour des terminaux Motorola, initialement fournies par Google en avant-première, sur les Moto X et Moto G ?

Quid également des autres projets de Lenovo ? On pourrait presque s’attendre à de nouveaux achats, pourquoi pas celui de BlackBerry, longtemps évoqué d’ailleurs, et qui pourrait permettre à la firme d’obtenir une légitimité particulière sur le segment des solutions professionnelles.

Nexus 6

Certains vont un peu plus loin au sujet des projets de Lenovo. On parle d’ores et déjà du Nexus 6 – certainement le dernier Nexus – fabriqué par la marque chinoise. C’est du moins l’hypothèse du Russe Eldar Murtazin, qui considère que « Lenovo lancera l’un des derniers produits Nexus. Le volume sera énorme et sera centré sur le marché américain« , que ce soit sous la marque Lenovo ou au nom de Motorola. Si une telle prédiction doit se réaliser, il faudra hâter le pas : c’est à l’horizon 2015 que devrait disparaître la franchise Nexus au profit des Google Play editions.


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