L’édito de la semaine : Rachat de SFR, le grand bordel !

 

Les semaines passent et se ressemblent depuis l’annonce de la vente de SFR par Vivendi. Malgré la période de négociation exclusive, les acteurs du marché continuent de donner leur avis et les offres de Bouygues continuent de s’enchainer. Drôle de communication quand même. On sent une crainte et un certain désespoir de la part du troisième opérateur français. L’État s’en mêle, les concurrents aussi. Un grand bordel.

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Il faut dire que le rachat de SFR peut complètement bouleverser le marché. On parle là du deuxième opérateur télécom, ce n’est donc pas le rachat d’une petite start-up… Que ce soit par Numéricable ou par Bouygues Telecom, la nouvelle entité deviendrait une concurrente de taille face à Orange, le leader français. De quoi changer pas mal de choses et titiller un peu la concurrence.

 

SFR-Numéricable, un choix pertinent

Objectivement, sans parler du financement ou de la future dette, l’offre SFR-Numéricable semble plus « logique » et plus pertinente, car les sociétés sont davantage complémentaires. SFR est déjà le deuxième opérateur mobile, il deviendrait le deuxième opérateur fixe. La nouvelle entité pourrait également combiner les 57 000 km de fibre optique du réseau national de transport de SFR avec le réseau câblé de Numéricable présent dans de nombreuses villes pour prendre son envol et minimiser sa dépendance au réseau cuivre et fibre de l’ex France-Telecom. Un très bon point pour un futur gros concurrent d’Orange.

Les plus technophiles diront que Numericable ne déploie pas de la vraie fibre. Certes, mais à moyen terme, le FTTH n’est pas forcément la meilleure des stratégies. On veut tous de la fibre à domicile pour profiter de débits très élevés (en upload notamment), c’est très beau comme projet. Dans le même style, on a la baisse du chômage et la relance de l’économie française… Malheureusement, fibrer l’ensemble des logements est un projet purement démagogique à court terme : les syndics et les propriétaires sont tellement réticents aux travaux dans les logements (à cause de Berta la grosse perceuse) que la fibre se déploie très, très lentement… Puis, on est quand même 65 millions dans l’histoire.

Amener la fibre au pied du bâtiment et compléter avec le vieux réseau cuivré (sur les derniers mètres) est en réalité une excellente alternative. Cela permettra d’atteindre des débits assez conséquents dans les années à venir : on parle déjà de 800 Mbps en 2015-2016 grâce à la technologie G.Fast. Du coup, déployer complètement ce genre de techno (dont le FTTLA de Numéricable) à court et moyen terme pourrait augmenter assez significativement le débit moyen, sans faire tout plein de trou. Le déploiement est moins contraignant techniquement et administrativement, ce qui implique des économies de temps et d’argent.

Le futur opérateur SFR-Numéricable pourra déjà proposer, grâce à la stratégie de l’actuel câblo-opérateur, du très haut débit à plusieurs millions de clients. En pratique, la technologie déployée par Numericable permet déjà les 200Mbps dans quelques villes. L’idée sera alors de combiner cela au grand réseau de transport de SFR (un réseau de fibres pour interconnecter les villes entre elles) afin de proposer rapidement ces débits au plus grand monde.

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Au lieu de tergiverser sur le déploiement de la fibre, on pourrait donc déployer cette fibre jusqu’au bâtiment en tant qu’alternative à court et moyen terme. Le G.FAST absorbera l’augmentation du trafic pour les 5-10 prochaines années, en attendant de fibrer les 10 derniers mètres. Nous aurions donc là un moyen simple et rapide de relancer la concurrence sur le fixe. Pour le moment, l’ensemble des opérateurs se font des marges dignes du luxe (le pire étant Free) et il est peut-être temps de faire bouger les choses. Marre de voir des acteurs du mobile se faire molester sur les prix quand les soi-disant défenseurs du pouvoir d’achat nous proposent peu de nouveautés sur le fixe, et ce, au prix fort. Pour les groupies : un lecteur blu-ray ou un gros disque dur ce n’est pas une innovation suffisante sur le fixe, en tout cas cela ne justifie pas de tels prix. D’ailleurs, proposer du 500 Mbps à 2,7 millions de foyers pour Orange (à partir du 3 avril) ou du 200Mbps à plus de 5 millions de clients pour Numéricable, c’est également mieux que 1 Gbits/s à trois ou quatre privilégiés de Paris. Merci Orange-Numéricable. Qu’on se le dise…

 

Ça n’arrange pas tout le monde

Malheureusement, cette fusion SFR-Numéricable n’a pas les faveurs de l’État, ni de Orange et Bouygues Telecom. À notre grande surprise (ou pas). Pour Orange, plusieurs problèmes en vue : d’une part réglementaires, car le réseau câblé n’est pas régulé comme le réseau cuivré et Numericable possède certaines exclusivités de contenu TV comme la possibilité de dégrouper les offres canalsat. D’autre part, parce que le réseau d’interconnexion fibre de SFR ajouté au réseau câblé de Numéricable empêcherait l’opérateur historique de bénéficier de sa rente sur le réseau cuivré. Un mauvais point sachant que ce réseau cuivré est précisément l’un des facteurs d’immobilisme dans l’investissement en fibre optique (même si Orange est le seul à réellement investir).

Cuivre

Pour l’État et les acteurs mobiles, c’est un peu le même combat. Une configuration du marché mobile à quatre opérateurs a fait suffisamment de dégât et beaucoup d’économistes s’accordent à dire que le marché devra se concentrer (passage à trois opérateurs). L’idée derrière est plutôt fondée : le marché du mobile implique d’énormes coûts fixes. Avoir trois réseaux mobiles en France plutôt que quatre doit mécaniquement revenir moins cher.

 

Concentration du marché mobile, à trois c’est mieux

Lors de l’arrivée du quatrième opérateur, les dirigeants se targuaient de proposer (enfin) des forfaits à des prix justes. Le pouvoir d’achat des utilisateurs a augmenté et la concurrence s’est ravivée. Mais, cette communication à coup de gourdin était encore plus facile pour le nouvel entrant sachant qu’en déployant un réseau 15 ans après les autres, il bénéficiait d’un réseau plus moderne et plus économique (notamment grâce au tout-IP). Maintenant, la question est plus compliquée. Il se pourrait qu’un réseau national soit plus cher et plus compliqué à déployer que prévu… Au rythme actuel, il faudra attendre 2022-2025 pour bénéficier d’un réseau national équivalent à celui de Bouygues Telecom (qui n’est pas le meilleur de surcroît…), pour un prix estimé à 3 milliards d’euros. Or, pour un nombre d’abonnés qui ne dépend pas vraiment du nombre de réseaux, c’est un peu dommage de devoir faire peser à l’ensemble des usagers un quatrième réseau à plus de 3 Mds d’euros alors que nous pourrions n’en payer que trois.

Concentrer le marché à trois opérateurs est donc particulièrement pertinent. La présence de Free Mobile a déjà permis d’obtenir les prix parmi les plus bas du monde, revenir à trois opérateurs permettra de rendre chaque réseau un peu plus rentable et les opérateurs pourront plus facilement investir dans les technologies de demain (espérons-le). En plus d’être plus rentables, certains opérateurs pourraient y gagner. C’est le cas de Free Mobile notamment.

Ce qu’il ne faut pas oublier en économie c’est que 1+1 ne font généralement pas 2. En cas de rapprochement entre Bouygues Telecom et SFR ; le gendarme des télécoms pourrait notamment mettre en place des conditions : on appelle ça des « remèdes ». Bouygues Telecom a anticipé cela en signant un accord de vente de son réseau et de certaines de ses fréquences au quatrième opérateur. Cela permettrait à Free Mobile de disposer d’un vrai réseau (national) ainsi que suffisamment de fréquences pour devenir indépendant d’Orange et de pouvoir se défendre à armes égales ; point sensible qui prendra tout son sens dans la période 2016-2018 où l’accord d’itinérance avec Orange prendra fin.

C’est un point crucial, car pour le moment Free Mobile est le petit rigolo du marché : il est agressif sur les prix grâce à son réseau moderne et moins coûteux, mais avec moins de 3000 supports en France (sur plus de 35 000…), soit la moitié des 6000 initialement prévus en 2012, la pilule sera difficile à avaler pour les plus fidèles à la marque quand l’itinérance cessera. Seul le réseau de Bouygues Telecom pourra le rendre crédible.

 

Ça passe ou ça casse

Finalement, pour Bouygues c’est un peu l’essai de la dernière chance ; grandement fragilisé par l’arrivée de Free Mobile, il serait probablement la victime d’une probable concentration future s’il n’absorbe pas SFR dès maintenant. Or, pour Martin Bouygues, pas question de s’allier avec Free Mobile (divergence d’opinions dira-t-on) pourtant seul cas envisageable. Question communication, Martin Bouygues prend quelques risques à insister autant sur ses offres –c’est un plan drague douteux. En plus, ils pourraient très bien faire ménage à trois (SFR-Numericable-Bouygues Télécom), qui sait. En tout cas, en cas d’échec, il ne subsistera qu’une proie bien fragilisée par ses cris de désespoir…


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