Les métaux rares de nos smartphones contribuent-ils au conflit en RDC ?

 
Le cobalt et le tantale utilisés dans les smartphones proviennent tous deux en majorité de la République démocratique du Congo. L’un est associé à des conditions de travail déplorables et l’autre à des groupes armés… Mais la situation est complexe.
Un morceau de minerai contenant du cobalt, du cuivre et de la malachite. Crédits : Fairphone

Parmi nos objets du quotidien, le smartphone est l’un de ceux dont la composition est la plus complexe. L’électronique nécessite des éléments les plus variés, dont des terres rares et d’autres métaux exotiques. Malheureusement, leur extraction s’opère souvent dans des violations des droits de l’homme. C’est notamment le cas dans l’est de la République démocratique du Congo.

L’industrie minière en RDC

La République démocratique du Congo (RDC) est le deuxième plus vaste pays d’Afrique, couvrant le centre du continent et grand comme toute l’Europe de l’ouest. Sa capitale est Kinshasa, et il ne faut pas le confondre avec la République du Congo tout court, dont la capitale, Brazzaville, se trouve juste en face. Son PIB par habitant (en parité pouvoir d’achat) est parmi les cinq plus bas au monde, trois fois plus faible que celui d’un autre pays africain comme le Mali.

Le sous-sol congolais regorge de ressources

En 2016, l’industrie minière de la RDC représentait 22 % du PIB national (PDF). Celle-ci est divisée entre le minage industriel, opéré par de grands groupes dans des conditions de travail relativement encadrées, et le minage dit « artisanal » ou à petite échelle. On estime que ce dernier implique jusqu’à un cinquième de toute la population congolaise, soit 12,5 millions de personnes.

Le sous-sol congolais regorge en effet de ressources. On y compte notamment la cassitérite (étain), la wolframite (tungstène), le colombium-tantale, dit coltan (tantale), le cuivre, le cobalt, et l’or. Ces gisements sont inégalement répartis sur un territoire immense, quoique plutôt dans la moitié est du pays, et des régions différentes ne profiteront pas des mêmes métaux.

Le cobalt et les enfants creuseurs du Katanga

Le cobalt est extrait dans la « ceinture de cuivre » de l’extrême sud-est du pays, dans la province du Katanga vers la frontière avec Zambie. La zone est relativement calme, étant située à plusieurs centaines de kilomètres des conflits qui touchent le pourtour des Grands Lacs.

60 % de la production mondiale de cobalt provient de là. La plupart de cette production congolaise est extraite de manière industrielle, comme dans n’importe quel autre pays. Mais un cinquième est miné à la main de manière informelle, et c’est là que le bât blesse.

Un creuseur sur sept est un enfant

En 2018, le chercheur Siddharth Kara de Harvard estimait que sur 255 000 « creuseurs » travaillant dans les mines congolaises, au moins 35 000 sont des enfants, soit un septième d’entre eux. Les poussières dégagées par l’activité sont toxiques, surtout pour les nourrissons que les creuseuses portent sur leur dos, causant des malformations congénitales chez les nouveau-nés.

Pour ce labeur dans des galeries qui menacent souvent de s’effondrer, chaque creuseur gagne environ 1 dollar par jour. En particulier, les enfants doivent verser des pots-de-vin aux officiels chargés de réprimer le travail des plus jeunes. Le cobalt est vendu à des « maisons d’achat », généralement tenues par des entreprises chinoises.

Celles-ci mélangent alors ce minerai artisanal avec du cobalt de source industrielle, avant d’expédier le tout par la route vers des ports d’export : Dar es Salaam en Tanzanie, ou Durban en Afrique du Sud. La traçabilité du cobalt devient ainsi difficile.

Le tantale et les conflits du Kivu

Le coltan, minéral d’où sont extraits le niobium et le tantale, est essentiellement miné dans les deux provinces du Kivu près des Grands Lacs. Cette région a l’une des géopolitiques les plus compliquées au monde. Dépourvue de véritable route la reliant à la capitale nationale Kinshasa, elle est lieu d’importants échanges avec trois petits pays voisins : l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, eux-mêmes entretenant une grande proximité culturelle et politique entre eux (pour le meilleur et pour le pire).

Il serait hasardeux de vouloir expliquer la situation régionale dans toute sa complexité. Pour simplifier, beaucoup des problèmes actuels ont été catalysés par les débordements du génocide rwandais de 1994. Des forces liées à l’Ouganda et au Rwanda ont envahi le territoire congolais à l’occasion de deux grandes guerres à la fin des années 1990. Et depuis environ 2004, de nombreuses milices rivales se battent pour faire avancer leurs intérêts respectifs.

Le coltan, seulement 6 % des profits miniers des milices en 2008

Tout effort de guerre nécessite des financements — et réciproquement, si l’on veut obtenir des financements significatifs, il faut souvent recourir aux armes. Les mines sont de petite taille et s’éparpillent loin des villes et des régulations. Ce sont ainsi des objectifs militaires importants pour toutes les forces armées en présence. Le minerai extrait est souvent exporté via le Rwanda (qui, du temps de la guerre, s’était également servi dans les mines congolaises).

Les politologues se disputent encore pour distinguer l’œuf et la poule entre les ressources naturelles et les guerres civiles. Mais factuellement, « le coltan a été d’importance mineure pendant le conflit, excepté pour de brèves périodes lors des pics de prix du tantale [en 2001 et de 2006 à 2009] », comme le signale un rapport de 2013 du think tank néerlandais HCSS (PDF).

En 2008, des données du Enough Project montraient que le coltan ne comptait que pour 6 % des profits capturés par les groupes armés, la wolframite ne revenant qu’à 4 %. L’or pesait un poids significatif avec 28 %, tandis que la cassitérite (étain) se taillait la part du lion avec 62 % des profits minéraux des milices.

L’électronique utilise abondamment l’or pour ses capacités conductrices. L’étain sert certes de soudure sur les circuits imprimés, mais on le retrouve surtout en grandes quantités dans d’autres objets courants, comme les boîtes de conserve.

Que font les entreprises ?

Plusieurs lois ont été passées dans les pays occidentaux pour forcer les multinationales à opérer la traçabilité de leurs chaînes d’approvisionnement.

En 2010, le Congrès américain a voté un texte obligeant les entreprises à une diligence requise sur l’origine des minéraux provenant de la RDC et de neuf pays voisins. Un règlement de l’Union européenne entrera en vigueur en janvier 2021 et concernera les quatre minéraux « 3TG » que sont l’étain (tin), le tantale, le tungstène et l’or (gold) — en clair, les ressources exploitées au Kivu.

En pratique, le bilan des constructeurs électroniques est très variable d’une marque à l’autre, si ce n’est d’un classement à l’autre. En novembre 2017, un rapport du Enough Project (PDF) plaçait Apple en tête, suivi de près par Google et Microsoft, et loin derrière par Samsung. Une étude publiée au même moment par Amnesty International suggère une liste assez différente, où Samsung et Apple se partagent le podium et où Microsoft ferme le peloton.

« nous savons avec certitude qu’il y a du travail d’enfants dans notre chaîne »

Mais même une marque de smartphones éthiques, comme Fairphone, ne peut pas s’approvisionner de manière complètement propre. « Nous travaillons au Congo, et nous sommes probablement une des quelques entreprises mobiles qui disent que nous savons avec certitude qu’il y a du travail d’enfants dans notre chaîne d’approvisionnement », déclare son patron Bas Van Able à Euronews en 2017.

« Il y a presque un bannissement sur l’Afrique de la part des entreprises basées aux États-Unis », poursuit-il. « Le résultat est que les gens perdent des emplois et rejoignent les milices […] Parfois, les solutions de court terme ont des effets inverses. »

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