L’âge d’or des ROM Android est mort, mais la communauté refuse d’abandonner

Résistance qui mérite le respect

 
Google cache maintenant le code source d’Android aux développeurs de ROM. LineageOS galère, GrapheneOS cherche à fuir les Pixels. Comment la communauté survit-elle ? Et pourquoi ?
Source : Frandroid

L’époque bénie où des millions d’utilisateurs flashaient des ROM personnalisées sur leurs smartphones Android appartient définitivement au passé.

Les bootloaders se sont verrouillés, les constructeurs se sont fermés, Google complique systématiquement la vie des projets open source.

Pourtant, en 2025, une communauté acharnée continue de faire vivre cet écosystème alternatif. LineageOS vient de sortir sa version 23.0 avec Android 16 pour 100+ appareils malgré des obstacles croissants. GrapheneOS annonce d’ailleurs son émancipation prochaine des Pixels.

Mais pourquoi tant de gens s’obstinent-ils encore à installer des ROM personnalisées ? Et surtout, combien de temps cette résistance pourra-t-elle durer face aux géants qui verrouillent progressivement tout ?

Quand Android était vraiment ouvert : l’âge d’or des ROM

Il fut un temps, pas si lointain, où flasher une ROM personnalisée sur son smartphone Android était presque un rite de passage pour tout utilisateur un minimum geek. Entre 2010 et 2016 environ, des millions de personnes à travers le monde remplaçaient le système d’exploitation d’origine de leur téléphone par des alternatives communautaires comme CyanogenMod (l’ancêtre de LineageOS), Paranoid Android, AOKP, ou des dizaines d’autres projets fleurissant sur les forums XDA Developers.

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ROM Installer, une autre application pour installer facilement des ROM

À cette époque, les motivations étaient multiples et variées. Certains voulaient une expérience Android plus proche de la vision originale de Google, débarrassée des surcouches lourdes et parfois disgracieuses imposées par Samsung, HTC, LG ou autres fabricants.

D’autres cherchaient à prolonger la durée de vie de leur appareil en installant des versions Android plus récentes que celles officiellement supportées par le constructeur.

Je me souviens du Galaxy Spica, le smartphone était inutilisable avec la ROM officielle. Heureusement que la communauté a apporté des versions d’Android personnalisées.

Beaucoup appréciaient les fonctionnalités additionnelles offertes par ces ROM : personnalisation poussée de l’interface, contrôles avancés de la vie privée, optimisations de performances, tweaks en tous genres.

Les constructeurs eux-mêmes jouaient relativement le jeu. HTC proposait officiellement le déverrouillage du bootloader via son site HTCDev. OnePlus s’est construit une réputation de « marque des développeurs » en facilitant l’accès root et l’installation de ROM. Même Samsung, pourtant réputé pour son écosystème fermé, laissait ses appareils relativement accessibles aux bidouilleurs, du moins sur certains marchés. Google, avec sa gamme Nexus puis Pixel, fournissait généreusement tout le code source, les device trees, les HALs, et encourageait explicitement la communauté des développeurs. Et surtout, Xiaomi s’est internationalisé bien avant de vendre des produits dans le monde entier, grâce aux ROM MIUI que l’on pouvait installer chez plein de marques.

CyanogenMod comptait à son apogée des dizaines de millions d’installations à travers le monde. Le projet avait même levé des fonds pour tenter de se commercialiser, avant de s’effondrer spectaculairement en 2016 et de renaître sous le nom de LineageOS. Notre Frandroid et les forums XDA débordaient d’activité, avec des centaines de développeurs publiant quotidiennement de nouvelles versions, des mods, des kernels optimisés, des thèmes personnalisés.

C’était l’âge d’or. Mais comme toute époque dorée, elle ne pouvait pas durer éternellement.

La lente fermeture de l’écosystème Android

Progressivement, imperceptiblement d’abord puis de manière de plus en plus brutale, l’écosystème Android s’est refermé sur lui-même. Les raisons de cette fermeture sont multiples et se renforcent mutuellement, créant un cercle vicieux défavorable aux ROM personnalisées.

Les constructeurs ont commencé à verrouiller massivement les bootloaders, invoquant des raisons de sécurité. Déverrouiller le bootloader désactive SafetyNet (remplacé depuis par Play Integrity), ce qui empêche l’utilisation de certaines applications bancaires, de paiement mobile, ou de streaming qui vérifient l’intégrité du système. Cette mesure, présentée comme une protection des utilisateurs, a considérablement élevé la barrière à l’entrée pour l’installation de ROM personnalisées.

Pour aller plus loin
Google Play Services, le cheval de Troie de Google

Google a progressivement déplacé de plus en plus de fonctionnalités essentielles d’Android depuis l’AOSP (Android Open Source Project) vers les Google Play Services propriétaires. Les notifications push, la géolocalisation précise, les services de paiement, la synchronisation des données : tout passe désormais par des composants fermés que Google contrôle totalement. Utiliser une ROM personnalisée sans Google Play Services devient de plus en plus difficile au quotidien, cela créé une dépendance structurelle.

Google lui-même, paradoxalement champion autoproclamé de l’open source, a commencé à fermer son propre écosystème Pixel. Comme le montre la récente annonce de LineageOS, Google ne publie plus les device trees, HALs ou configurations de ses Pixels. L’entreprise ne fournit que le code source du noyau sous forme d’archives dépourvues d’historique Git, ce qui rend le travail des développeurs de ROM considérablement plus difficile. Les Pixels, autrefois appareils de référence garantissant un support « jour un » pour LineageOS, sont désormais traités comme n’importe quel autre smartphone.

Récemment, Google a adopté des mises à jour de sécurité « basées sur les risques ». Les bulletins mensuels n’incluent plus les correctifs pour toutes les vulnérabilités, mais uniquement celles jugées « à haut risque » par Google. Les correctifs pour la majorité des autres vulnérabilités ne sont publiés que trimestriellement, et leur code source n’est plus partagé avec la communauté open source. Résultat concret : « LineageOS, ainsi que la plupart des autres ROM personnalisées, ne peut plus fournir autant de correctifs de sécurité qu’auparavant chaque mois« , déplore l’équipe. Les utilisateurs de ROM se retrouvent potentiellement exposés à des vulnérabilités connues pendant des mois.

Enfin, de plus en plus d’applications refusent purement et simplement de fonctionner sur des appareils rootés ou avec un bootloader déverrouillé. Les applications bancaires en tête, mais aussi Netflix (qui limite la qualité vidéo), certains jeux mobiles avec anti-triche, des applications gouvernementales, et même certaines apps de santé. Des solutions de contournement existent (Magisk Hide, Play Integrity Fork, divers modules), mais c’est une course sans fin entre développeurs communautaires et entreprises cherchant à détecter les systèmes modifiés.

LineageOS 23.0 : avancer malgré les obstacles

C’est dans ce contexte particulièrement hostile que LineageOS vient de publier sa version 23.0. Cette version apporte Android 16 à plus de 100 appareils différents. Et ce n’était pas simple du tout.

LineageOS 23.0 est basé sur la version stable initiale d’Android 16 sortie en juin, et non sur la version plus récente Android 16 QPR1. Pourquoi ? Simplement parce que Google n’a toujours pas publié le code source d’Android 16 QPR1 sur l’Android Open Source Project. Le code reste réservé aux partenaires OEM officiels, excluant mécaniquement les projets communautaires. Habituellement, Google publiait ce code dans les un ou deux jours suivant le déploiement sur les Pixels. Cette fois, le retard s’accumule sans explication ni communication.

Face à ce blocage, l’équipe LineageOS a dû choisir : attendre indéfiniment sans savoir quand Google publierait le code, ou procéder au lancement avec ce qu’elle avait. Elle a choisi la seconde option pour ne pas faire patienter davantage sa communauté fidèle, d’où le nom 23.0 plutôt que 23.1. Conséquence directe : des fonctionnalités présentes dans Android 16 QPR1, comme Material 3 Expressive ou le Desktop Mode, sont absentes et n’arriveront que dans une future mise à jour.

Malgré ces contraintes, la version apporte son lot de nouveautés. Aperture, l’application photo maison, gagne le support Ultra HDR et RAW avec une interface redessinée. Twelve, le lecteur musical, s’enrichit de statistiques de lecture et d’une meilleure intégration avec Jellyfin.

Un nouveau launcher pour Android TV nommé Catapult promet une interface épurée sans publicité ni recommandations algorithmiques envahissantes. Des améliorations permettent désormais d’exécuter LineageOS dans une machine virtuelle QEMU et posent les bases pour supporter à l’avenir n’importe quel appareil compatible avec le noyau Linux « mainline ».

La diversité d’appareils supportés dès le lancement reste impressionnante : Samsung Galaxy, OnePlus, Xiaomi, Motorola, Sony, Asus, Realme, et bien d’autres marques. Au total, plus de 100 appareils sont compatibles.

GrapheneOS cherche à se libérer des Pixels

Autre signe révélateur de l’évolution de l’écosystème : GrapheneOS, le célèbre fork Android axé sur la confidentialité et la sécurité, annonce officiellement son émancipation prochaine des appareils Google Pixel. Le projet a confirmé collaborer depuis juin 2025 avec un important fabricant Android non identifié pour apporter son système d’exploitation aux futurs smartphones équipés de processeurs Snapdragon.

Jusqu’à présent, GrapheneOS n’était disponible que sur les téléphones Pixel, ce qui avait rendu les smartphones de Google populaires auprès des passionnés de confidentialité, des journalistes, et même, selon un rapport de la police espagnole, des groupes criminels organisés en Catalogne. Mais cette exclusivité Pixel pourrait prendre fin d’ici 2026 ou 2027.

GrapheneOS explique que seuls les Pixels répondaient jusqu’à présent à ses exigences strictes en matière de sécurité matérielle et de support des mises à jour. Mais ce nouveau partenariat suggère qu’un autre OEM se conforme enfin à ces normes élevées. Le projet laisse entendre que les appareils de ce mystérieux partenaire seront proposés à un prix similaire aux Pixels et disponibles mondialement.

Pour les propriétaires de Pixel actuels, rien ne change pour l’instant. GrapheneOS continuera de supporter les appareils existants jusqu’à leur fin de vie officielle. Le support est également prévu pour le Pixel 10, mais le projet étudie encore l’opportunité d’ajouter le Pixel 11.

Pourquoi les gens persistent-ils à installer des ROM en 2025 ?

Face à tous ces obstacles, on pourrait légitimement se demander pourquoi diable des gens s’obstinent encore à installer des ROM personnalisées en 2025. Les motivations restent pourtant nombreuses et parfaitement valides, même si elles ont évolué par rapport à l’âge d’or.

C’est probablement la raison numéro un aujourd’hui : prolonger la durée de vie des appareils. Les constructeurs abandonnent souvent le support logiciel de leurs appareils après deux ou trois ans seulement, alors que le matériel reste parfaitement fonctionnel. LineageOS permet de faire tourner Android 16 sur des smartphones sortis il y a cinq, six, voire sept ans. C’est un geste écologique dans un monde où les déchets électroniques explosent, et c’est aussi très économique pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas changer de téléphone tous les deux ans. Mais l’UE a néanmoins fait évoluer la législation, avec 5 ans minimum désormais pour les appareils commercialisés.

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Les ROMs, ça permet aussi de s’éloigner de l’écosystème Google. Pour des raisons de vie privée, de principe philosophique, ou simplement de méfiance envers les GAFAM, beaucoup d’utilisateurs cherchent à réduire leur dépendance à Google. Les ROM comme LineageOS permettent d’utiliser Android sans les Google Play Services, en s’appuyant sur des alternatives open source comme microG ou F-Droid. GrapheneOS pousse cette logique encore plus loin avec un focus total sur la confidentialité et la sécurité.

Exemple avec le Sony Xperia 1 VII sous Android 16

C’est aussi un moyen de retrouver un Android épuré. Les surcouches, ou plutôt techniquement des interfaces, des constructeurs se sont certes améliorées avec le temps (Samsung One UI est désormais bien conçue, HyperOS aussi), mais beaucoup continuent d’apprécier l’expérience Android pure, proche de celle des Pixels, sans les applications préinstallées inutiles, sans les duplications de fonctionnalités, sans l’interface surchargée. LineageOS offre cette expérience épurée avec juste ce qu’il faut de fonctionnalités additionnelles utiles.

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C’est aussi un moyen de réutiliser un ancien appareil. Transformer un vieux smartphone en serveur domotique, en caméra de surveillance, en terminal dédié à une tâche spécifique, en appareil pour les enfants : les cas d’usage sont innombrables. Une ROM légère et à jour permet de donner une seconde vie fonctionnelle à un appareil qui traînait dans un tiroir.

C’est aussi un moyen d’apprendre et bidouiller. Pour une minorité d’utilisateurs passionnés, installer une ROM personnalisée reste un moyen d’apprendre le fonctionnement interne d’Android, de comprendre comment fonctionne un smartphone, de développer des compétences techniques utiles.

Enfin, cela permet d’accéder à des fonctionnalités manquantes. Certaines ROM proposent des fonctionnalités avancées qu’on ne trouve pas dans Android stock : contrôles granulaires des permissions, gestion avancée de la batterie, personnalisation poussée de l’interface, support de protocoles de chiffrement renforcés, et bien d’autres options qui intéressent les power users et certaines entreprises.

Les projets qui résistent et innovent

Au-delà de LineageOS et GrapheneOS, plusieurs autres projets continuent de faire vivre l’écosystème des ROM personnalisées malgré les difficultés croissantes. Chacun avec sa philosophie et son public cible.

CalyxOS se positionne comme un compromis entre GrapheneOS (ultra-sécurisé mais parfois contraignant) et LineageOS (polyvalent mais moins axé sécurité). Le projet met l’accent sur la vie privée tout en conservant une bonne compatibilité avec les applications du quotidien grâce à microG. CalyxOS joue d’ailleurs un rôle crucial en reconstituant les device trees et configurations des Pixels que Google ne publie plus, permettant ainsi à LineageOS et d’autres projets de continuer à supporter ces appareils.

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Le français Murena commercialise désormais une tablette « déGooglisée »

/e/OS (rebaptisé Murena depuis) vise le grand public avec une approche très accessible. L’objectif est de proposer un écosystème complet « dégoogleisé » clés en main, avec des services cloud alternatifs, un app store respectueux de la vie privée, et une interface facile à prendre en main. Le projet vend même des smartphones préinstallés avec /e/OS pour ceux qui ne veulent pas se lancer dans l’installation manuelle.

DivestOS pousse la sécurité et la vie privée à l’extrême avec de nombreuses optimisations et corrections, du re-branding de tous les composants pour éviter les fuites de données, et un focus particulier sur le support d’anciens appareils avec des correctifs de sécurité rétro-portés. Le projet cible les utilisateurs vraiment paranoïaques qui veulent le maximum de protection possible.

ArrowOS, crDroid, PixelExperience, Paranoid Android et quelques autres continuent également à proposer leurs versions avec leurs spécificités propres : focus sur les performances, personnalisation poussée, reproduction fidèle de l’expérience Pixel, features uniques. Ces projets de niche servent des communautés plus restreintes mais très fidèles.

Tous ces projets partagent les mêmes difficultés : retards de publication du code source par Google, accès limité aux correctifs de sécurité, complexité croissante du support des appareils récents, ressources souvent limitées avec des équipes largement bénévoles. Mais tous persistent, portés par leurs communautés respectives et une certaine idée de ce que devrait être Android : ouvert, transparent, contrôlable par l’utilisateur.

L’avenir des ROM : alors, résistance ou extinction ?

Alors, quel avenir pour les ROM Android personnalisées ? Vont-elles disparaître complètement dans les années à venir, victimes de la fermeture progressive de l’écosystème ? Ou vont-elles persister dans une niche de plus en plus restreinte mais irréductible ?

Difficile à dire. Il se peut que les obstacles techniques et politiques continuent de s’accumuler jusqu’à rendre l’installation et l’utilisation de ROM personnalisées tellement compliquées que même les utilisateurs les plus motivés abandonnent. Google continue de fermer l’AOSP, les constructeurs verrouillent totalement leurs bootloaders, les applications critiques refusent catégoriquement de fonctionner sur systèmes modifiés. Les mainteneurs bénévoles, découragés par le travail croissant et les obstacles permanents, pourraient jetter l’éponge progressivement.

Peut-être que l’avenir des ROM personnalisées passe par une transformation profonde de leur modèle. Au lieu de projets communautaires bénévoles luttant contre les géants, on pourrait voir émerger des partenariats officiels entre projets de ROM et constructeurs. GrapheneOS avec son mystérieux partenaire OEM en est peut-être le premier exemple.

On peut imaginer un LineageOS préinstallé en option officielle sur certains smartphones, avec support garanti par le constructeur. Ou des constructeurs nichés (un Fairphone amélioré, un concurrent de Nothing) qui basent directement leurs ROM sur des projets open source. Un modèle hybride entre communautaire et commercial pourrait assurer la pérennité des ROM tout en les rendant plus accessibles et fiables.

Quoi qu’il arrive, la persistance actuelle de la communauté des ROM personnalisées force le respect. Avec la fin du web ouvert, le verrouillage du numérique, de plus en plus contrôlé par quelques géants qui décident unilatéralement de ce que vous pouvez faire avec les appareils que vous avez achetés, ces projets représentent une forme de résistance numérique.

Tout ce petit écosystème continue de fonctionner envers et contre tout, porté par la conviction que nos appareils devraient nous appartenir vraiment, que nous devrions contrôler nos données, que les smartphones devraient pouvoir vivre plus de trois ans, que l’open source et la transparence sont des valeurs qui méritent d’être défendues.

L’âge d’or des ROM Android est peut-être révolu. Mais la communauté persiste. Et tant qu’elle persistera, il restera un espoir que nos appareils restent un minimum ouverts, un minimum contrôlables, un minimum respectueux de nos choix. C’est un combat de David contre Goliath, certes. Mais l’histoire nous apprend que parfois, David gagne.


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