
Septembre 2009. Un petit constructeur français présente discrètement la toute première tablette Android de l’histoire. Pas Apple. Pas Samsung. Archos. Oui, cette boîte d’Igny qui fabriquait des baladeurs vidéo quand personne ne savait encore ce que c’était. L’entreprise sortait tout juste d’une quasi-faillite en 2008, mais elle venait de créer un objet qui allait définir une catégorie entière. Dommage qu’elle n’en profite jamais vraiment.

Je peux en parler, j’ai encore le souvenir de la soirée de lancement où nous avions été invités.

L’Archos 5 Internet Tablet, c’est l’histoire d’une innovation handicapée dès la naissance. Une tablette brillante sur le papier, bridée par un Android qui n’était pas prêt et par un Google qui refusait de jouer le jeu. Un produit visionnaire vendu par une entreprise qui n’avait ni les moyens d’Apple, ni la patience d’attendre que le marché mûrisse.
Retour en 2009, quand les tablettes n’existaient pas encore et qu’un Français pensait pouvoir battre l’iPod Touch.
Archos, le roi méconnu des baladeurs vidéo
Avant d’être ce constructeur de tablettes bon marché qu’on croise chez Auchan, Archos était un vrai pionnier. En 2000, le Jukebox 6000 devient le premier baladeur MP3 à disque dur. En 2004, avec le Gmini 400 et la série AV, Archos invente carrément le marché du baladeur vidéo, ces appareils avec écrans 4,3 pouces qui permettaient de regarder des films sur un disque dur de 40 Go.

À l’époque, c’était du lourd. Les Archos 604 et 704 dominaient le marché des PMP (Portable Media Player), avec leurs écrans larges, leur capacité d’enregistrement TV via la DVR Station, et leur compatibilité avec tous les codecs vidéo imaginables. Quand Apple sortait son iPod Video avec 30 Go et un écran de 2,5 pouces, Archos proposait déjà 160 Go et du 4,3 pouces.
Le problème ? Archos n’a jamais su transformer sa domination technique en succès commercial durable. En 2008, après des années à perdre de l’argent sur les baladeurs vidéo, l’entreprise frôle le dépôt de bilan. Henri Crohas, le PDG-fondateur, doit trouver une nouvelle stratégie. Et vite.
L’obsession de l’iPod Touch et le pari sur Android
Lors de la présentation de l’Archos 5 IT en septembre 2009, Henri Crohas cite l’iPod Touch un nombre « incalculable de fois ».

Son obsession est évidente : Apple a créé un nouvel écosystème avec son lecteur sans téléphone, porté par l’App Store. Les ventes de l’iPod Touch dépassent désormais celles de l’iPhone. C’est ça, le « 4ème écran de la maison » dont tout le monde parle.

Archos veut sa part du gâteau. Mais avec quoi ? Le constructeur développait ses propres interfaces sous Linux depuis des années, mais décide de tout miser sur Android — un OS jeune, ouvert, avec déjà 10 000 applications disponibles. Le calcul est simple : plutôt que de tout développer en interne, autant s’appuyer sur l’écosystème Google.
Le problème ? Android n’était absolument pas conçu pour les tablettes en 2009.
Une fiche technique ambitieuse pour l’époque
L’Archos 5 Internet Tablet embarque un processeur ARM Cortex-A8 à 800 MHz (l’OMAP3440 de Texas Instruments), 256 Mo de RAM, un écran tactile résistif de 4,8 pouces en 800 x 480 pixels. Pour la capacité de stockage, le choix va de 8 à 64 Go en mémoire Flash, ou carrément de 160 à 500 Go avec disque dur.
Pour aller plus loin
Test de l’Archos 5 Internet Tablet : présentation, caractéristiques et connectique – partie 1/3
Oui, vous avez bien lu : 500 Go dans une tablette en 2009. C’était délirant. La version Flash pesait 182 grammes pour 10,4 mm d’épaisseur, impressionnant. Mais la version disque dur doublait l’épaisseur (20 mm) et atteignait 286 grammes, ce qui transformait la tablette en brique.

Côté connectivité : Wi-Fi b/g/n (avec MiMo), Bluetooth 2.0 avec A2DP, GPS intégré, slot microSD, prise jack 3,5 mm, USB. Une béquille intégrée permettait de poser la tablette pour regarder des vidéos. Pas de 3G intégrée et pas de caméra non plus.

Le plus bluffant ? La lecture vidéo HD 720p avec les codecs H.264, WMV HD, MPEG-4, et même le support des DRM WMV protégés. Archos maîtrisait parfaitement le multimédia.

Sur le papier, c’était l’arme anti-iPod Touch rêvée. Prix de lancement : 229 € pour le 8 Go Flash, jusqu’à 399 € pour la version 500 Go disque dur. Apple vendait son iPod Touch 8 Go à 199 €. Archos était dans la course.
Le drame : Android 1.5 et l’absence du Market
Mais voilà. L’Archos 5 IT tournait sous Android 1.5 Cupcake, une version conçue pour smartphones avec écrans de 3,2 pouces maximum. Google n’avait jamais imaginé qu’on utiliserait Android sur une tablette.
Résultat ? L’interface Android mal adaptée, un clavier tactile résistif pénible à utiliser, et surtout, catastrophe, pas d’accès à l’Android Market officiel.

Pourquoi ? Parce qu’Archos n’avait pas obtenu la certification Google, faute de port SIM intégré. Google refusait de laisser un appareil non-téléphone accéder à son Market. Pour compenser, Archos avait créé AppsLib, son propre store alternatif qui deviendra d’ailleurs le 3ème store Android après Google et Amazon.
Mais personne ne voulait d’un store alternatif en 2009. Les utilisateurs voulaient Gmail, Maps, YouTube, et les vraies applications Android. Il fallait bidouiller, rooter l’appareil, installer des APK pirates pour accéder au vrai Market. Un cauchemar pour le grand public.
Les premiers tests étaient catastrophiques : interface lente, plantages du navigateur, batterie qui se vidait en veille. Archos a sorti plusieurs mises à jour firmware pour corriger le tir, mais le mal était fait.
Un succès d’estime… puis l’oubli
Après quelques mois de mises à jour, la tablette est devenue convaincante, avec une autonomie vidéo impressionnante de 6h15 et un navigateur web fluide. Nous apprécions la qualité de construction, l’écran lumineux, la béquille pratique, et surtout les capacités multimédia.
Mais c’était trop tard. Android 3.0 Honeycomb n’arrivera qu’en février 2011, spécialement optimisé pour tablettes. Entre-temps, l’iPad débarque en avril 2010 et change absolument tout.

Apple crée instantanément le marché des tablettes avec un écosystème fermé mais fonctionnel. Samsung sort la Galaxy Tab en 2010, première tablette Android certifiée par Google mais avec un écran 7 pouces seulement, car Google considérait qu’Android 2.2 n’était pas adapté aux grands écrans.

Archos essaie de rebondir. En 2011, le constructeur inonde le marché de tablettes low-cost via sa marque Arnova, vendues entre 70 € et 150 € dans les supermarchés. Résultat : 1,6 million de tablettes vendues en 2011, leader européen et n°4 mondial des tablettes Android.
Un joli rebond. Après avoir frôlé la faillite en 2008, Archos affiche en 2011 un chiffre d’affaires de 170 M€ (+104,8 %) et redevient rentable avec 5,7 M€ de bénéfices. Mais cette stratégie bon marché la condamne : impossible de rivaliser avec les Chinois sur les prix, impossible de rivaliser avec Apple sur l’image.
Le déclin inexorable
En 2012, Archos enregistre un chiffre d’affaires de 154 M€ (-9,6%) et une perte nette de 38,7 millions d’euros. Le cours de bourse s’effondre. Henri Crohas abandonne la direction exécutive.
La suite ? Une lente agonie. Archos continue de sortir des tablettes et smartphones Android génériques, fabriqués en Chine, vendus sous la barre des 100 €. Plus aucune innovation. Plus aucun savoir-faire multimédia.
Aujourd’hui, Archos vend encore quelques produits, mais l’entreprise qui a inventé le baladeur MP3 à disque dur et la première tablette Android n’existe plus vraiment.
Pourquoi l’Archos 5 IT a raté son rendez-vous avec l’Histoire
Timing catastrophique. Archos sort sa tablette Android 1 an avant l’iPad, mais 1 an trop tôt. Android n’était pas prêt pour les tablettes. Google ne voulait pas d’appareils sans SIM sur son Market. L’écosystème d’apps n’existait pas encore.
Positionnement flou. Trop grosse pour être un baladeur de poche (surtout en version disque dur), trop petite pour être une vraie tablette de salon face à l’iPad qui arrivait. L’iPod Touch restait plus portable, l’iPad plus impressionnant.
Absence d’écosystème. Sans Play Store officiel, sans Gmail natif, sans YouTube intégré, l’Archos 5 IT était une coquille vide pour 90% des utilisateurs. AppsLib ne pouvait pas rivaliser.
Concurrence déloyale. Apple avec l’iPod Touch bénéficiait de son App Store et de son marketing massif. Archos investissait seulement 5-7 % de son chiffre d’affaires en marketing, soit presque rien.
Et pourtant. L’Archos 5 Internet Tablet était visionnaire. Elle anticipait de 6 mois l’iPad, prouvait qu’Android pouvait tourner sur tablette, proposait des caractéristiques impressionnantes pour l’époque, et démontrait qu’on pouvait créer un appareil « entre le smartphone et l’ordinateur« .
Son échec n’est pas technique. C’est un échec de timing et d’écosystème.
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