On a demandé à 12 experts comment rendre une voiture électrique encore plus propre : voici leurs solutions

 
C’est un fait : une voiture électrique pollue moins qu’une thermique sur son cycle de vie. Mais jusqu’où peut-on aller dans la décarbonation ? C’est l’exercice auquel s’est livré Renault et 12 de ses partenaires avec le show-car Emblème, promettant une baisse de 90 % de son empreinte carbone. Nous les avons rencontrés pour comprendre comment ils y sont parvenus.
Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

« Jusqu’où pouvons-nous aller ? » : voilà une question qu’on retrouve souvent dans les bureaux d’études des constructeurs automobiles, avant que les contraintes de la grande série ne mettent généralement de l’eau dans le vin.

Des contraintes dont les concept-cars échappent en grande partie. C’est notamment le cas de la Renault Emblème qui, plus qu’une annonciatrice des futures directions stylistiques de la marque, se veut un démonstrateur des capacités de Renault et de ses partenaires dans leurs possibilités de limiter l’empreinte carbone d’une voiture.

Ainsi, l’Emblème arrive avec une promesse : une empreinte carbone limitée à 5 tonnes de CO2 sur l’ensemble de sa durée de vie, une réduction de 90 % par rapport à un modèle thermique équivalent. Comment y sont-ils arrivés ? Réponse avec la rencontre de 12 acteurs impliqués dans le projet.

Un rappel théorique

Avant d’aller plus loin, rappelons les bases : si une voiture électrique est plus polluante à produire qu’un équivalent thermique, la bascule s’opère si on englobe l’intégralité de la durée de vie de la voiture, recyclage compris.

Pour aller plus loin
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Évidemment, la différence s’accroît si l’électricité est produite à base d’énergies fossiles, mais les études pleuvent et s’accordent sur un point : peu importe l’origine de l’électricité, et dès aujourd’hui, la voiture électrique gagne sur le plan environnemental.

Moment à partir du quel la voiture électrique (BEV) est moins polluante qu’une thermique (ICE). En 2023 et en 2030.

Avec l’électricité fortement décarbonée produite en France, on estime même qu’une électrique deviendrait plus « propre » qu’une thermique dès 10 000 km.

Renault y va de son grain de sel, annonçant qu’une Renault Mégane E-Tech produit 25 tonnes de CO2eq de sa fabrication à son recyclage (ce qu’on désigne par le terme « du berceau à la tombe »), contre 50 tonnes pour un Renault Captur essence. Ce qui ne signifie pas que les marques doivent se reposer sur ce constat, et cette Emblème en est un bon exemple.

Un test grandeur nature

L’Emblème porte bien son nom : elle se veut le démonstrateur du savoir-faire de Renault et de ses partenaires dans le domaine de la « décarbonation ».

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

Le postulat est simple : en partant d’une Renault thermique de 2020, diminuer de 90 % ses émissions polluantes sur son cycle de vie ; très concrètement, passer de 50 à 5 tonnes de CO2eq sur 15 ans et 200 000 kilomètres parcourus, tout en gardant une polyvalence identique – pas question de partir sur une mini-voiture type Citroën Ami, prévient Pascal Tribotté, son responsable.

Autre but de cette « demo-car », comme Renault appelle son Emblème : un test grandeur nature, notamment sur l’analyse du cycle de vie de chaque composant, et ce aussi bien pour la marque que pour ses partenaires et fournisseurs.

Une carrosserie aérodynamique, une structure allégée

Un style aussi plaisant que fonctionnel

Cette Renault Emblème se veut donc être une « vraie » voiture. Son style veut même être plaisant, avec un appétissant look de break de chasse de 4,80 m de long, et dont certains éléments (comme le travail autour de l’éclairage) pourraient bien se retrouver sur les futures Renault.

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

Évidemment, ce style se met au service de l’aérodynamisme : hauteur contenue (1,52 m), calandre et diffuseur arrière actifs, carénage intégral des soubassements, capot abaissé, rétrocaméras… Le bingo habituel est bien là.

Dans le registre des originalités, notons la disparition de la lunette arrière (comme une Polestar 4) pour maximiser la pénétration dans l’air tout en conservant une garde au toit suffisante pour les passagers, tandis que des cellules photovoltaïques alimentent le réseau 12 volts – « c’est 1 à 2 % de réduction des émissions polluantes totales », détaille Pascal Tribotté. Toujours bon à prendre.

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

Ajoutez à cela des recherches aérodynamiques accélérées par la création d’un jumeau numérique, permis grâce au savoir-faire de l’équipe F1 d’Alpine (!), et vous obtenez un Cx de 0,25 et un SCx de 0,60, d’excellentes valeurs pour une voiture de ce gabarit. À titre de comparaison, une Peugeot E-408, à la carrosserie comparable, annonce un SCx de 0,66.

Des matériaux revus de fond en comble

Si la carrosserie et la structure de la Renault Emblème restent traditionnelles, avec de l’aluminium (portes & capot) et de l’acier, les partenaires (respectivement Constellium et ArcelorMittal) ont planché pour diminuer autant que possible les émissions de fabrication. Une seule contrainte, et non des moindres : des prestations de rigidité et de sécurité au même niveau qu’une voiture de grande série.

Constellium est ainsi passé d’une émission de 8 tonnes de CO2eq pour la production d’une tonne d’aluminium en 2019 à 2,4 tonnes pour celui utilisé sur l’Emblème, majoritairement obtenus grâce à une électrolyse par électricité « bas carbone » et par une grande partie d’aluminium recyclé – qui, pour rappel, ne perd pas ses qualités en seconde vie.

Même son de cloche chez ArcelorMittal, même si l’attention s’est également portée sur l’allègement global (-40 kg comparé à une Mégane). Le clou du spectacle ? Le montant de porte, qui utilise 75 % d’acier recyclé et produit avec une électricité 100 % renouvelable. Un procédé tout à fait transposable sur une voiture de série, « avec un léger surcoût », reconnaît sa porte-parole.

Les roues n’échappent pas à ce travail de fourmi. Michelin s’est occupé des pneumatiques, une version améliorée des e-Premacy 2 déjà en vente, et dont les perfectionnements (notamment sur la bande de roulement, pour diminuer la résistance) devraient se retrouver dans les prochaines gammes de la marque. 36 % de leur masse est issue de matières recyclées ou renouvelables.

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

Ils adoptent le format « tall and narrow » (comprendre : de grandes jantes avec une largeur réduite), comme feu la BMW i3, de quoi ici aussi abaisser au maximum la résistance au roulement. Anecdote cocasse : les designers ont imposé une monte 22 pouces, ajoutant 44 kg de CO2eq sur la durée de vie de l’Emblème par rapport aux 20 pouces initialement retenus.

Symbole du soin apporté aux moindres composants : les poignées de porte d’Akwel économisent 50 composants et 60 % du poids de celle d’une Mégane, tandis que les essuie-glaces signés Valeo embarquent des moteurs brushless plus économes et un système amélioré de projection de liquide, permettant de réduire la capacité du réservoir de lave-glace.

Une véritable voiture à vivre

Un habitacle spacieux et confortable

Autre preuve de la volonté de Renault de créer une véritable voiture plus qu’un laboratoire ambulant : le soin apporté aux occupants de l’Emblème.

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

Cinq places sont ainsi disponibles, avec des sièges avant confortables (et réglables mécaniquement, pour éviter d’utiliser des moteurs électriques) et une banquette arrière étonnamment spacieuse. Chose rare, le passager central a été l’objet d’un réel soin, avec un dossier légèrement reculé pour ne pas avoir à se battre au niveau des épaules et une console centrale creusée pour étendre ses jambes.

Le coffre suit, avec 550 litres à l’arrière et un autre à l’avant de 74 litres, tandis que les rangements se multiplient un peu partout dans la cabine.

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

Le bien-être à bord a également été soigné. Un filtre HEPA est présent dans le système de ventilation (comme une Tesla), et le système son s’arme de 14 haut-parleurs, y compris dans les appuie-tête avant, pour un rendu assez bluffant. Enfin, l’écran central adopte la mode du shy-tech (comme ce que revendique le BMW iX) : les informations affichées peuvent disparaître lorsqu’il n’est pas utilisé. Un autre, sur toute la largeur du pare-brise, affiche les informations de conduite.

L’importance de la monomatière

Les matériaux utilisés dans l’habitacle n’échappent pas à la traque obsessionnelle des émissions polluantes. Pour la planche de bord, les contre-portes et la console centrale, Forvia a utilisé du lin normand et… des feuilles d’ananas, des matières naturelles qui ont pour avantage de pouvoir stocker du CO2 et de ne pas concurrencer l’alimentation humaine ou animale.

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

De même, les panneaux sont fixés sans colle ni soudure. Facile à installer, facile à démonter, facile à recycler. Ces matériaux ont permis une réduction de 12 kg et de 72 % des émissions polluantes par rapport aux matériaux d’un habitacle de Mégane électrique.

Le tissu des sièges est créé par le studio design de Renault. L’utilisation de polyester teinté dans la masse en quatre couleurs différentes permet de se passer de colorant additionnel, tout en pouvant offrir jusqu’à 62 nuances.

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

De même, l’isolation thermique et acoustique, confiée à Autoneum, sont uniquement conçues à partir de polyester. Ces pièces monomatières (tapis de sol, garnitures de coffre, etc) assurent un recyclage bien plus facile et efficace. Conclusion : une empreinte carbone réduite de 70 % – au prix d’un aspect faisant penser à du feutre, peut-être en deçà des attentes actuelles des clients.

Une fiche technique sujette aux discussions

Une pile à combustible pour les longs trajets

Voilà comment cette Renault Emblème s’habille. Pour la mouvoir, l’équipe en charge du projet a eu une curieuse idée : associer une batterie de 40 kWh (des cellules NMC fournies par Verkor, qui équiperont bientôt l’Alpine A390)… à une pile à combustible de 30 kW, alimenté par un réservoir d’hydrogène de 2,8 kg accessible depuis le capot avant.

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Un choix défendu par Pascal Tribotté, son responsable. L’hydrogène, d’après lui, « ça a du sens sur un véhicule à grande autonomie », permettant de diminuer la taille – et donc les émissions liées à la production – de la batterie.

Renault Emblème // Source : Renault

Précision intéressante : pour les calculs du cycle de vie, Renault envisage que 90 % des 200 000 km parcourus devraient l’être grâce à la seule énergie de la batterie – remettant de l’eau au moulin de l’inutilité des voitures électriques dépassant les 100 kWh.

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Pour limiter la consommation, l’électronique de puissance développée par STMicroelectronics fait appel à du carbure de silicum (SiC), de plus en plus utilisé dans l’industrie pour réduire les pertes.

Et si Renault ne communique pas d’autonomie précise, il assure que l’autonomie de la batterie « de plusieurs centaines de kilomètres » suffit au quotidien, tandis qu’un « trajet jusqu’à 1 000 km » demande « un temps équivalent à celui d’un véhicule thermique » grâce à deux pleins d’hydrogène réalisés « en moins de cinq minutes ».

Une motorisation 100 % électrique théoriquement possible

Reste que l’hydrogène, s’il promet belles autonomies et recharge en quelques minutes, est loin de n’avoir que des qualités. Production extrêmement consommatrice d’énergie, rendement bien plus faible qu’une électrique à batterie, réseau de distribution embryonnaire… Loin d’être une panacée.

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Des limites dont Pascal Tribotté semble bien conscient. Aussi, lorsqu’on lui demande s’il est possible d’imaginer une Renault Emblème sans pile à combustible, mais avec les mêmes objectifs de décarbonation et de polyvalence, la réponse fuse : « il faudrait une batterie de 60 kWh, quitte à passer de 70 à 74 % de matériaux recyclés dans la voiture ».

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

La motorisation ne changerait pas : l’Emblème roule, avec un moteur de Mégane E-Tech de 220 ch bricolé pour se loger sur l’essieu arrière – une architecture qui devrait se retrouver sur les prochaines Renault électriques, s’est-on laissé dire.

Simple exercice ou avant-goût des prochaines Renault électriques ?

Vous l’aurez donc compris : pour arriver à ces 5 tonnes d’émissions totales de CO2eq, Renault et ses partenaires ont gratté jusqu’à la dernière miette du moindre composant.

Reste à savoir si l’exercice dépasse la vitrine technique ou si les solutions explorées peuvent se retrouver sur une prochaine Renault. Les porte-paroles restent vagues : si « des briques technologiques sont applicables sur du très court terme », personne ne s’avance sur un dérivé précis.

Renault Emblème // Source : Renault / DPPI

En tout cas, une chose est sûre : toutes ces innovations ont un coût, d’autant plus lorsqu’elles sont en avance, voire en rupture avec la norme actuelle de l’industrie. Ce qui fait dire à Pascal Tribotté : « si on devait sortir Emblème à une date précise, ce serait avec les solutions techniques de cette période ».

En revanche, sur les éléments de style, la signature lumineuse en losange, la nouvelle disposition des écrans sur la planche de bord et toutes les petites nouveautés stylistiques pourraient bel et bien se retrouver dans une prochaine Renault. La nouvelle Clio devrait être présentée au Salon de Munich à la rentrée ; peut-être nous donnera-t-elle raison.


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