
C’est un serpent de mer comme seule Bruxelles sait en créer. Après des années de tergiversations, négociations et coup de Trafalgar, le Vieux Continent va devoir se prononcer le 14 octobre prochain sur un texte majeur pour la réglementation de l’espace numérique européen : la directive « Chat Control » qui traîne dans les placards de l’UE depuis 2022 au moins.
Fruit d’une intense campagne de lobbying d’un côté comme de l’autre, ce texte pourrait avoir des conséquences importantes sur le fonctionnement des messageries instantanées types WhatsApp, Signal ou Telegram, mais aussi sur la communication par mail. On vous explique.
Qu’est-ce que « Chat Control » ?
Présenté pour la première fois par la Commission européenne le 11 mai 2022, le « règlement établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants » est un texte juridique qui vise à doter les 27 pays européens de règles harmonisées pour « protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle et les abus sexuels, et prévenir la diffusion de matériel pédopornographique en ligne. »
Au même titre que le RGPD ou le DMA, ce règlement s’imposerait aux 27 pays membres de l’UE et obligerait les fournisseurs d’accès partout sur le continent à mettre en place des moyens de « détection, de signalement, de retrait et de blocage du matériel […] relatif à des abus sexuels sur enfants, ainsi que la sollicitation d’enfants ».
Rapidement surnommé « Chat Control 2.0 » par ses opposants (en clin d’œil à une version « 1.0 », plus allégée, adopté en 2021), le texte réactive les craintes des défenseurs des libertés numériques qui y voir une manière pour l’UE de casser le chiffrement de bout en bout et d’aller contre le droit fondamental au respect de la vie privée.
Pourquoi « Chat Control » fait-il polémique ?
Car si sur le papier, personne ne s’oppose frontalement à la lutte contre la pédopornographie, comme souvent c’est dans les détails de la loi que se cachent les points de tension. Dans le cas de ce règlement, c’est les manières employées qui font grincer des dents les opposants au texte et qui lui ont valu d’être mis au placard une première fois.


Parfois, il vaut mieux réfléchir à deux fois avant de choisir son smartphone… L’innovation et la performance du HONOR 400, plus accessibles que jamais. Offre disponible jusqu’au 07/10
Comme le précise le texte, une telle chasse aux contenus illicites nécessiterait « l’examen automatique du texte des communications interpersonnelles ». Traduction, il s’agirait d’examiner tout le contenu des messages envoyés et reçus (que ce soit par mail ou via les messageries instantanées) pour y chercher des contenus illicites, « seule manière de détecter de tels abus », argue ses défenseurs. Un processus lourd et reconnu par la commission elle-même comme étant « le plus intrusif pour les utilisateurs ».

Le Collectif « Stop Chat Control » s’inquiète du potentiel emploi de système ou « vous êtes scanné en permanence sans lien avec une enquête » et qui « ne sont ni parfaits ni neutres ». La fiabilité de tels algorithmes est en effet souvent débattue et le risque que ces outils soient un jour utilisés pour « traquer toute opinion jugée dérangeante » ne présage rien de bon selon les opposants au texte.
Comment fonctionne « Chat Control » ?
Si le règlement « Chat Control 1.0 » permet techniquement déjà à certains opérateurs, sur la base du volontariat, de scanner les communications, cette nouvelle mouture pourrait aller un cran plus loin, selon les opposants au texte. La surveillance serait industrialisée et automatisée via des algorithmes et même les services qui font emploi « d’une technologie de chiffrement » devrait se plier aux exigences du règlement.
Si aucune exigence technique n’est explicitée dans le texte, marier chiffrement des communications et analyse du contenu ne pourrait réalistement se faire qu’avec « l’installation de fonctionnalités de surveillance et de failles de sécurité directement dans nos smartphones », pointe Patrick Breyer, ancien député européen et figure de proue de la lutte contre le règlement européen.
Pour aller plus loin
Les députés adoptent une loi pour renforcer le chiffrement
Il s’agirait concrètement d’outils chargés d’examiner les contenus avant l’envoi, ou ce qu’on appelle techniquement de « l’analyse côté client » (ou client-side scanning dans la langue de Shakespeare). Si l’actuel conseil de l’Europe défend l’idée qu’un tel système puisse être implémenté « sans casser le chiffrement de bout en bout », des associations comme l’Electronic Frontier Foundation estiment cette position « absurde », expliquant qu’il n’existe pas de système « qui ne laisse rentrer que les gentils ».
Qui est pour et contre « Chat Control » ?
Après une première tentative avortée en 2024, Chat Control a été réinscrit à l’ordre du jour par la présidence danoise qui a commencé le 1er juillet 2025. La Hongrie de Viktor Orbán avait aussi exprimé son intérêt pour le texte lors de son passage à la tête de l’UE. Au moment de l’écriture de ces lignes, 12 pays de l’union se sont prononcés en faveur du texte à divers degrés. La France ne s’est pas prononcée officiellement, mais semble pencher plutôt du côté des pays en faveur du texte.

En face, 7 autres se sont prononcés contre et 8 seraient indécis. Du côté de la société civile, de nombreuses organisations et entreprises ont cru bon de tirer la sonnette d’alarme. La fondation Signal (qui édite l’application de messagerie du même nom) et l’entreprise Proton ont répété qu’ils préféreraient quitter le continent plutôt que de se soumettre à de telles obligations.
Quand serait mis en place « Chat Control » ?
Si le texte venait à être adoubé, il faudrait sans doute encore de longs mois pour que le système soit réellement mis en place. Il ne faudrait pas compter dessus avant 2026 au moins.
Mais la date sur laquelle tous les yeux sont fixés pour le moment est celle du 14 octobre 2025. C’est à ce moment-là que les instances de l’UE se réuniront pour décider ou non de valider et figer le texte en l’état pour le soumettre ensuite aux négociations entre le Parlement, le Conseil et la Commission. C’est peu ou prou le moment où la machine sera lancée sans grande possibilité de revenir en arrière.
Est-ce que « Chat Control » a des chances d’être adopté ?
En l’état actuel des choses, le sort de « Chat Control » est très incertain. De nombreux pays changent de bords au gré des jours ou tentent de trouver des compromis plus ou moins importants sur le contenu du texte.
Pour aller plus loin
Le chiffrement menacé par la loi : Apple, Google, Microsoft et d’autres montent au créneau en France
S’il y a peu d’espoir que la majorité des pays actuellement en faveur du texte changent radicalement d’avis d’ici au 14 octobre prochain, une minorité de blocage pourrait suffire à renvoyer encore une fois le règlement au placard.
Il faudrait pour cela qu’au moins quatre États membres, représentant plus de 35 % de la population de l’Union, se prononcent contre. S’il y a de bonnes chances pour que les capitales déjà opposées à la version de 2024 fassent encore barrage, des poids lourds comme l’Allemagne pèsent lourd dans le destin du texte et il parait difficile de faire des plans sur la comète avant le vote décisif du 14.
Utilisez-vous Google News (Actualités en France) ? Vous pouvez suivre vos médias favoris. Suivez Frandroid sur Google News (et Numerama).
Ce contenu est bloqué car vous n'avez pas accepté les cookies et autres traceurs. Ce contenu est fourni par Disqus.
Pour pouvoir le visualiser, vous devez accepter l'usage étant opéré par Disqus avec vos données qui pourront être utilisées pour les finalités suivantes : vous permettre de visualiser et de partager des contenus avec des médias sociaux, favoriser le développement et l'amélioration des produits d'Humanoid et de ses partenaires, vous afficher des publicités personnalisées par rapport à votre profil et activité, vous définir un profil publicitaire personnalisé, mesurer la performance des publicités et du contenu de ce site et mesurer l'audience de ce site (en savoir plus)
En cliquant sur « J’accepte tout », vous consentez aux finalités susmentionnées pour l’ensemble des cookies et autres traceurs déposés par Humanoid et ses partenaires.
Vous gardez la possibilité de retirer votre consentement à tout moment. Pour plus d’informations, nous vous invitons à prendre connaissance de notre Politique cookies.
Gérer mes choix