Taxer chaque installation ? Pourquoi les créateurs de jeux vidéo sont en panique

 
Le très populaire moteur de jeu Unity a annoncé de nouvelles conditions d’utilisation jugées à la fois ridicules et dangereuses pour les développeurs du monde entier. Le moteur demandait un paiement pour chaque installation d’un jeu, de quoi permettre la faillite de n’importe quel studio.
Hollow Knight tourne sur le moteur Unity

Unity est l’un des moteurs de jeu les plus populaire au monde. Vous avez certainement déjà joué à des jeux vidéo crée avec Unity : Among Us, Subnautica, Cuphead, Pokémon Go ou encore Hollow Knight, Rust et Ori And The Blind Forest. Cet outil de création de jeu est simple à prendre en main et permet donc à de nombreux développeurs indépendants de se lancer dans la création d’un premier jeu.

Le moteur a annoncé ce mardi 12 septembre, au même moment que la conférence Apple, de nouvelles conditions d’utilisation pour son moteur. Des conditions qui pouvaient entrainer la banqueroute des développeurs tant elles étaient ridicules pour la réalité de la commercialisation d’un jeu vidéo en 2023. Depuis, Unity a fait marche arrière sur certains changements, mais pas tous.

Payer pour chaque installation d’un jeu

Pour comprendre la panique qui s’est emparée du secteur du jeu vidéo dans la nuit du mardi 12 septembre au mercredi 13, il faut comprendre le ridicule des nouvelles conditions dévoilées par Unity. À partir du 1er janvier 2024, le moteur souhaite mettre en place des « frais d’installations » pour les jeux développés avec le moteur. Ce changement sera rétroactif pour les jeux déjà commercialisés avant le 1er janvier.

À partir d’un certain palier, 200 000 dollars sur 12 mois de chiffre d’affaires pour Unity Personnal et Plus et 200 000 installations, et 1 million de dollars pour Unity Pro et Enterprise et 1 million d’installations, les développeurs devront payer des frais pour chaque installation d’un jeu.

Comprenez bien : le studio de développement doit payer des frais à Unity à chaque fois qu’un joueur installe le jeu concerné. Une désinstallation et une réinstallation du jeu ? Une nouvelle facturation. Pire, ces nouvelles mesures s’appliquent aussi aux jeux présents dans des services comme le Xbox Game Pass, aux démos gratuites, aux jeux offerts (giveaways) et aux bundles de jeux pour une cause caritative. On ne parle même pas des jeux free to play dont le modèle économique repose sur la gratuité de leur installation.

La réaction a été immédiate sur les réseaux sociaux, avec une part de moqueries ouverte face à un tel changement jugé si ridicule, et des analyses plus poussées pour mettre en lumière les problèmes fondamentaux de ce changement de politique.

Source : Rune Skovbo Johansen

Sur Mastodon, Rune Skovbo Johansen propose notamment un rapide calcul de la part de chiffre d’affaires que doit reverser le développeur en fonction du nombre d’installations de son jeu. D’après son calcul, à partir de 4 millions d’installations, le développeur doit à Unity 100 % ou plus de son chiffre d’affaires.

Levée de bouclier chez les développeurs

Les développeurs des jeux les plus populaires du marché utilisant Unity ont rapidement pris la parole pour s’opposer à ce changement de la part du moteur. Les développeurs de Cult of the Lamb ont par exemple, menacé de retirer leur jeu du commerce à partir du 1er janvier 2024. D’autres ont évoqué une transition vers le moteur Unreal Engine d’Epic Games, quitte à repousser la sortie de leur prochain jeu.

Source : Over The Moon Games

Le studio Over The Moon Games a témoigné qu’une mise en gratuité temporaire de leur jeu The Fall sur l’Epic Game Store avait entrainé 7 millions d’installations. Avec la nouvelle politique tarifaire imposé par Unity, le studio aurait une dette plus importante que l’ensemble des revenus du créateur du studio depuis sa naissance.

Unity recule… un peu

Devant la levée de boucliers et l’ire déclenchée par l’annonce, Unity a souhaité « clarifier » sa nouvelle politique sans en changer le fond. Ainsi, la société a déclaré auprès d’Axios que les packs de jeux à but caritatif ne seraient pas concernés par ce changement. De même, les démos de jeux seront également exemptés.

Par ailleurs, la désinstallation et la réinstallation du même jeu chez le même joueur n’engendreraient pas des frais supplémentaires. La crainte était que des joueurs mal intentionnés puissent faire cette opération en boucle pour mener n’importe quel studio à la banqueroute.

Toutefois, Unity précise bien qu’une installation sur plusieurs appareils entrainera plusieurs facturations. Par exemple, l’installation du même jeu sur Xbox, PC et un Steam Deck, compte comme trois installations différentes.

Concernant la présence des jeux dans des services permettant une installation en masse comme le Xbox Game Pass, Unity estime que la facture devra être adressée au distributeur, ici Microsoft. On imagine que la firme de Redmond est ravi d’apprendre qu’elle devra payer des frais pour l’installation de chaque jeu Unity présent sur son catalogue qui dépasse le palier.

Beaucoup de problèmes persistent

Malgré cette timide tentative d’éteindre l’incendie, les développeurs peuvent être loin d’être contentés.

D’abord, il y a la grande question de la façon dont Unity pourrait détecter les installations. Cela pose bien sûr des questions sur la confidentialité des données, même si Unity promet une conformité avec le RGPD, mais aussi la compatibilité des jeux Unity avec de la distribution sans DRM. Est-ce qu’un jeu partagé ou piraté entraine une facturation pour le développeur ? Comment Unity peut le détecter ? La firme reste très opaque sur le sujet : « nous utilisons notre propre modèle de données. Nous pensons qu’il permet de déterminer avec précision le nombre de fois où la durée d’exécution est distribuée pour un projet donné. » D’ailleurs, la firme n’explicite jamais comment elle compte faire la différence entre le jeux installés dans un cadre exempté (bundle caritatif) ou non.

Unity indique également qu’une version du jeu tournant sur un navigateur (WebGL ou WebGPU) ou une version en cloud gaming sera comptée comme une installation à chaque accès par un utilisateur.

Au-delà de ces (énormes) détails, le principe même d’une facturation basée sur le nombre d’installations du jeu reste très problématique. Elle n’est pas du tout en adéquation avec la commercialisation moderne d’un jeu vidéo qui peut se faire gratuitement ou à travers un abonnement, entre autres.

 

Source : Rami Ismail

Désormais, on espère que Unity va revenir en arrière, mais la confiance entre le moteur et les développeurs du monde entier semble irrémédiablement rompue. Les concurrents comme Unreal Engine, Godot ou GameMaker peuvent se frotter les mains.


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