L’étude de l’ONG WWF, parue il y a quelques jours, commence de façon limpide : la voiture électrique est indispensable si la France souhaite respecter l’Accord de Paris signé en 2015, visant à limiter le réchauffement climatique global sous les 2 °C en 2100 par rapport aux niveaux pré-industriels.
Les chiffres sont éloquents : l’électrification des véhicules particuliers présente le plus fort potentiel de réduction des émissions du secteur des transports en France (32 % des émissions totales du pays actuellement). Le Conseil national de la transition écologique part ainsi sur une baisse estimée à 10 mégatonnes de CO2 d’ici à 2030, soit 42 % des réductions totales d’émissions visées pour le secteur.
La raison est toute simple : une voiture électrique émet deux fois moins de gaz à effet de serre (GES) sur son cycle de vie qu’une voiture thermique comparable en moyenne dans le monde, et même trois fois moins en France grâce à son mix d’électricité fortement décarboné. Nous avions déjà étudié la question dans un dossier dédié.
Pour aller plus loin
La voiture électrique est-elle un véhicule propre ?
Seulement voilà, réduire les voitures électriques à leurs bénéfices en termes de réduction d’émissions cache un autre problème, bien réel : celui de l’extraction des matières premières nécessaires à la fabrication de sa carrosserie, de ses moteurs… et de sa batterie. Introducing les métaux critiques.
Lithium, nickel, cobalt et cuivre : le nerf de la guerre
Une demande trop forte
Là aussi, commençons par un fait : une voiture électrique nécessite en moyenne 2,2 fois plus de métaux critiques (lithium, nickel, cobalt et cuivre, donc) qu’une voiture thermique traditionnelle, en demandant en parallèle des métaux dont une thermique n’a pas besoin, comme le lithium, le nickel ou le cobalt (sauf pour les nouvelles batteries LFP sans cobalt).
Et là, problème : l’offre sur ces métaux est déjà en tension, et risque de devenir sérieusement problématique d’ici à 2030. WWF explique en effet que la demande dans ces matériaux augmente vite, très vite, trop vite par rapport à l’offre actuelle et à l’énorme latence de l’industrie minière (il faut compter entre cinq et vingt ans entre les premiers travaux et l’ouverture d’une mine). Le chiffre d’une multiplication par 13 de la demande en lithium d’ici à 2050 est ainsi évoqué, mené à 80 % par les besoins des voitures électriques.
Une situation qui risque d’empirer
Second problème : les gisements actuels risquent de se tarir, obligeant les exploitations minières à creuser de plus en plus profond et de devoir se contenter de matériaux de moins en moins bonne qualité. Tout ceci aura un coût ; pécuniaire, certes, mais également écologique (l’exploitation minière étant d’ores et déjà le quatrième plus grand facteur actuel de déforestation) et humain, avec des conditions de travail parfois — souvent – scandaleuses.
Partant de là, un drôle de constat se dresse : une trop forte demande sur ces matériaux risque de retarder, sinon de compromettre, la décarbonation du secteur automobile.
Des raisons d’espérer ?
Grand seigneur, l’étude nous donne quelques espoirs d’échapper au marasme… même s’il ne faudra pas compter dessus avant plusieurs décennies. Le plus grand levier est évidemment celui du recyclage, mais il faudra attendre 2040 (voire 2050 !) pour réellement bénéficier de ses bienfaits, le temps qu’une quantité suffisante de batteries soient mises au rebut.
Pour aller plus loin
Les batteries des voitures électriques se recyclent très bien : la preuve avec cette usine en France
Cela dit, les chiffres sont prometteurs : en 2050, ce « marché secondaire » (en opposition au « marché primaire », provenant de matières fraîchement extraites) devrait pouvoir couvrir plus de 75 % de la demande européenne de lithium, 45 % de la demande en nickel et 65 % de la demande en cobalt. Quant au marché du cuivre, s’il compte déjà 50 % de matières recyclées, il pourrait monter à 70 % à cette échéance.
Un autre moyen de limiter la demande en matière première concerne l’évolution de la chimie des batteries. L’étude estime ainsi que l’amélioration de la composition chimique des batteries pourrait permettre de diviser par deux la demande cumulée de lithium, de nickel et de cobalt nécessaire par kWh de batterie d’ici 2050.
Cela dit, le WWF nous avertit de ne pas trop se fier aux effets d’annonce qui se multiplient sur des prétendues batteries miracle, au moins pas avant 2035. À cette date, les batteries de type NMC (nickel, manganèse, cobalt) et LFP (lithium, fer, phosphate) qu’on connaît déjà devraient rester archi majoritaires dans le mix global. Les batteries au sodium, sans lithium, actuellement sous les feux des projecteurs, resteraient donc cantonnées à des marchés de niche si l’on en croit WWF.
Sortons notre boule de cristal
Trois scénarios pour y voir plus clair
C’est l’instant prospective. Afin de comprendre où on va, le WWF est parti sur trois hypothèses d’évolution du marché automobile et des usages de nos chères bagnoles. L’organisation a pour le coup intégré beaucoup de critères : le kilométrage annuel moyen, la quantité de voitures sur le marché, leur poids moyen, leur taux d’occupation moyen, la part modale de la voiture particulière et des autres types de mobilités dans nos déplacements ainsi la part des voitures électriques dans le marché (avec, bien entendu, un passage à 100 % du marché neuf à partir de 2035).
Où va-t-on ?
Le scénario #1 ouvre les vannes en grand. Le nombre de voitures augmente, leurs poids aussi, comme le nombre de kilomètres parcourus, tandis que la part modale de la bagnole dans le mix global stagne par rapport à 2022. Globalement, c’est la cata, avec une demande en métaux critiques qui explose et qui devient totalement ingérable.
Le scénario #2 est déjà plus soft. Disons que les politiques publiques poursuivent leurs efforts actuels, sans non plus renverser la table. La quantité de véhicules sur le marché se stabilise, tandis que les transports en commun sont (un peu) plus utilisés. La demande en batterie (et de métaux critiques en général) baisse de 19 % par rapport au scénario #1 d’ici à 2050, et on arrive même à se contenter de la production de batteries made in France. On reste sur une situation difficilement tenable, mais (un peu) moins hors de contrôle.
À l’inverse, le scénario #3 est beaucoup plus volontariste. Les Français se déplacent moins, utilisent plus les trains, remplissent plus les voitures, tandis que ces dernières sont plus petites et se vendent moins. Les chiffres sont impressionnants : la demande en métaux critiques baisse de 35 % et celle en batterie de 40 % entre 2022 et 2050. De fait, nous sommes capables d’exporter 26 % de notre production annuelle de batteries…et même 11 % de notre production intérieure de lithium !
SUV = cata ?
WWF est formel à ce sujet : les SUV sont la lie de l’humanité et représentent la seule et unique raison de notre extinction programmée. Bon, on exagère un peu… mais pas tant que ça. En effet, l’étude est vraiment à charge contre cette carrosserie en vogue — comme la mairie de Paris, d’ailleurs.
C’est écrit noir sur blanc : le SUV électrique consomme trois fois plus de cuivre et d’aluminium et carrément cinq fois plus de lithium, de nickel, de cobalt, de manganèse et de graphite par rapport à une citadine. S’ensuit une autre affirmation, inscrite en majuscule : « continuer d’acheter des SUV électriques, c’est compromettre l’avenir des voitures électriques« . Rien que ça. Mais qu’est-ce que c’est, un SUV ?
Pour le savoir, il faut décrypter les petites lignes. Et là, bonne surprise : par « SUV », le WWF entend « une voiture avec une batterie de 100 kWh« . Ouf : les Tesla Model Y, Volkswagen ID.4 ou autres Hyundai Kona échappent donc à cette terrible étiquette… à l’inverse des gros Volvo EX90, Kia EV9 ou, plus prosaïquement, du Peugeot E-3008 dans sa version « Grande Autonomie ». Notons que les berlines les plus luxueuses peuvent également rentrer dans les clous, comme la BMW i7 ou la Mercedes-Benz EQS à cause de leur poids, dû en partie à leur batterie XXL.
Pas de problème, que des solutions
Maintenant qu’on est bien tous terrorisés, le WWF a tout de même quelques idées à nous souffler pour limiter la casse. Et ça tape directement le porte-monnaie, puisque l’ONG préconise d’étendre le malus au poids déjà mis en place sur les voitures thermiques et hybrides aux voitures électriques ! Avec tout de même un abattement de 300 kg par rapport à la grille actuelle, les batteries représentant un surpoids non négligeables : compter, par exemple, 395 kg pour les 60 kWh de la batterie de la Renault Mégane E-Tech. L’objectif : taxer tout ce qui dépasse les 50 kWh (l’équivalent d’une citadine type Peugeot e-208 ou Renault Zoé).
Quant au bonus, il serait modulé en fonction du revenu du ménage et du poids de la voiture : le WWF voudrait le supprimer au-delà des 1,6 tonne, et même appliquer un malus si le poids dépasse les deux tonnes. Notons tout de même que des aménagements seraient prévus pour les familles nombreuses, avec par exemple un abattement supplémentaire pour le malus au poids et un maintien du bonus si la voiture reste sous la barre des deux tonnes.
Les constructeurs seraient également visés. Le WWF imagine les obliger à communiquer sur le poids moyen de leurs voitures électriques écoulées chaque année et leur infliger une amende par exemplaire vendu au-delà d’un poids cible (par exemple, 5 € / kg au-delà des 1,6 tonne pour chaque voiture vendue durant l’année). Une normalisation des capacités des batteries est également proposée.
En parallèle, WWF est formel : on ne s’en sortira pas si on ne baisse pas notre usage de la voiture. L’ONG supplie donc les gouvernements de développer les solutions parallèles, en mettant de l’argent dans le ferroviaire, les plans vélo et le covoiturage. L’idée d’un « pass rail », permettant de prendre le train en illimité pour une somme modique, a toutes les faveurs de l’organisation, de même d’une extension de la prime à la conversion aux abonnements aux transports en commun ou à l’achat d’un vélo.
Quelques limites tout de même
Le fond de l’étude est inattaquable : la transition énergétique passe certes par une électrification du marché automobile, mais aussi (et surtout) par une baisse de son usage. Là-dessus, il n’y a rien à redire.
Tout n’est pas non plus parfait. Le côté très binaire à taper sur les SUV est peut-être un peu too much, d’autant plus que le terme est assez mal défini dans l’étude ; comme dit plus haut, il faut vraiment aller fouiner pour s’apercevoir qu’il ne s’agit au final que d’une catégorie bien spécifique et exclusive, que bien peu de monde serait capable de s’offrir en neuf.
Reste également l’idée de l’acceptation. D’après WWF, il faut agir, vite et fort. Acheter des voitures plus petites, avoir moins d’autonomie, se déplacer moins loin et moins fréquemment, développer le covoiturage : autant de mesures nécessaires, certes, mais radicalement différente des aspirations actuelles, où il faudrait aller toujours plus vite, toujours plus loin. Comment faire changer les mentalités aussi rapidement que profondément ?
Notons, pour conclure, que l’idée de faire baisser la capacité des batteries est déjà arrivée dans plusieurs bureaux d’études. Ford, par exemple, a déjà annoncé qu’il jouerait sur le poids et l’aérodynamisme de ses prochaines voitures électriques pour faire baisser la taille des batteries tout en conservant une autonomie acceptable ; Renault, de son côté, a fustigé à plusieurs reprises l’idée d’installer des packs démesurés. Reste à savoir si ce sera suffisant.
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