Tesla aurait sciemment caché de graves problèmes de suspensions sur ses véhicules

Des casses potentiellement dangereuses, largement documentées, mais invisibilisées

 

Des suspensions qui cassent net sur des voitures neuves, des directions défectueuses ou même des roues qui se détachent : un mauvais rêve, malheureusement bien concret pour des dizaines de milliers de propriétaires de Tesla. Pire encore : la marque, bien consciente du problème, aurait délibérément rejeté la faute sur les conducteurs pour ne pas payer de garantie. On vous explique tout.

Tesla Model S Plaid // Source : Tesla

Article actualisé le 28 décembre 2023 : Tesla vient de répondre publiquement à l’enquête de Reuters sur X (ex-Twitter).

Article actualisé le 27 décembre 2023 : ajout de la comparaison avec Toyota et GM.

Imaginez : vous venez d’acheter votre nouvelle Tesla. Seulement, après quelques centaines de kilomètres parcourus à son bord, paf, la suspension casse net. Bien évidemment, vous allez voir la marque en lui demandant de remplacer l’élément sous garantie… ce que la marque refuse, prétextant un choc antérieur.

Une fiction qui est devenue réalité pour des dizaines de milliers de propriétaires de la marque. L’agence de presse Reuters s’est ainsi saisie du problème et a analysé des milliers de documents internes datés de 2016 à 2022. Conclusion : Tesla était tout à fait au courant de la fragilité de certains éléments, et ça pourrait avoir des conséquences bien réelles pour le constructeur américain.

Les suspensions et la direction, points noirs des Tesla

Dans cette longue enquête, trois sources de casses reviennent fréquemment : les bras de suspensions (aft-links), les bras de commande (control arms) et les arbres de transmission (half shafts).

Les chiffres sont impressionnants : un document interne indique que 3,9 millions de dollars (environ 3,5 millions d’euros) ont été dépensés par Tesla entre avril 2018 et avril 2019 pour ces problèmes de suspensions via la garantie, dont 1,3 million (1,2 million d’euros) uniquement dédié aux bras de suspensions. Sur cette période, Reuters estime que 11 000 bras de suspensions ont été remplacés, dont un tiers hors garantie.

Le schéma de suspension d’une Model S. La pièce n° 11 représente l’aft link // Source : Tesla parts catalog

L’étude se focalise ensuite sur une seconde période, allant de janvier 2021 à mars 2022. Durant ces 15 mois, l’enquête estime que 120 000 bras de commande et 66 000 arbres de transmission ont été remplacés. Les Model 3 étaient majoritaires dans les casses des bras de commande, tandis que 90 % des réparations ont été faites sous garantie.

Tous ces rapports furent envoyés aux ingénieurs de la marque, qui ont essayé de modifier à plusieurs reprises les pièces incriminées, souvent sans grands résultats. Notons cependant qu’un rapport interne de février 2022 assure que les nombreuses modifications portées aux bras de suspensions ont enfin porté leurs fruits : tous les « défauts majeurs » semblent désormais résolus.

Le groupe Motopropulseur de la Tesla Model S Plaid // Source : Tesla

Autre problème, pas moins embêtant : les directions des Tesla paraissent ne pas être des plus fiables, avec une tendance à la corrosion. Là aussi, Reuters a recensé plus de 400 cas de Model 3 et Model Y dont l’assistance à la direction avait cessé de fonctionner entre fin 2017 et début 2022, avec une forte augmentation des cas dans les dernières semaines.

Des taux de défaillances, rapportés au nombre de voitures en circulation, qui restent bien plus élevés que ce qu’on peut retrouver chez la concurrence. Toujours selon Reuters, 260 plaintes concernant des problèmes de suspensions et de direction ont été remontés aux autorités américaines par des propriétaires de Tesla en 2023.

Il faut en compter 750 pour les voitures de General Motors (groupe de Cadillac, Chevrolet, GMC et Buick) et 230 pour Toyota durant cette même période, mais ces marques ont des parts de marché bien plus importantes : GM a fabriqué 21 % des voitures actuellement en circulation aux États-Unis et Toyota 15 %, contre moins de 1 % pour Tesla.

La meilleure défense : l’attaque

On l’a donc bien compris : Tesla était tout à fait conscient des gros problèmes sur ses voitures. Pour autant, la marque a préféré cacher ses faiblesses en accusant les conducteurs en cause d’une « mauvaise utilisation de véhicule » ou d’un « choc antérieur » afin de se dédouaner. Des éléments de langages étaient même transmis aux ateliers pour savoir comment annoncer la nouvelle aux clients !

Tesla Model Y // Source : Tesla

La raison ? En rejetant la faute sur les propriétaires — quand bien même, on l’a bien compris, ils n’étaient en rien en cause —, Tesla pouvait facturer les réparations hors garantie. Une façon de stopper l’hémorragie, serait-on tentés de croire, lorsqu’on découvre que la marque avait dépensé 263 millions de dollars (environ 238 millions d’euros) en garantie au premier trimestre 2019 alors qu’elle n’avait dégagé que 139 millions de dollars (environ 126 millions d’euros) de bénéfices.

Une stratégie largement critiquée en interne, comme le prouvent de nombreux échanges relevés dans l’enquête, mais qui a manifestement continué — du moins jusqu’à ce que certaines instances officielles décident d’y jeter un œil.

La Chine prend la main, la Norvège et les États-Unis enquêtent

Alertés, les pouvoirs publics se sont bien évidemment penchés sur ces cas. La Chine a par exemple forcé la main de Tesla en 2020, en imposant un rappel de plus de 18 000 exemplaires de Model S & Model X pour remplacer le fameux duo bras de suspensions + bras de commandes.

Lorsque la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration), l’agence fédérale américaine en charge de la sécurité routière, a demandé à Tesla s’ils comptaient effectuer ce rappel aux USA, la marque a une nouvelle fois botté en touche.

Les casses étaient uniquement dues aux mauvais traitements des conducteurs et le rappel n’a vu le jour que parce que le gouvernement chinois l’avait exigé, se défend la marque dans un courrier. La NTHSA continue tout de même d’enquêter, mais sans réelle action à date.

Tesla Model 3

Quelque chose qui pourrait se passer en Norvège, pays surpeuplé de Tesla : la NPRA (Norwegian Public Roads Administration), l’équivalent local, enquête sur ces casses à répétition depuis septembre 2022. Elle pourrait, comme la Chine, forcer la marque à rappeler l’intégralité des Model S & Model X circulant sur le territoire. La conclusion pourrait être rendue dans les tout prochains jours, nous apprend Reuters dans une dépêche dédiée.

Une décision qui pourrait faire boule de neige ajoute l’article. Si la Norvège oblige ou recommande seulement d’effectuer ce rappel, elle en informera immédiatement le Safety Gate, un système européen qui centralise toutes les alertes de sécurité de produits non alimentaires. Ce dernier relaiera alors l’information à l’ensemble des pays européens, qui seront alors en mesure d’appliquer (ou non) ce rappel.

Sans compter que l’enquête de Reuters, particulièrement fournie, pourrait servir de base à des class actions américaines, pays toujours prompt à partir en procès.

Reste que cela n’est pas non plus une surprise : la Tesla Model 3 est connue pour ne pas être des plus fiables, avec des classements en queue de peloton dans les études de fiabilité. À ce propos, la nouvelle version de 2023 promet de grandes avancées en termes de qualité, mais il faudra juger sur la durée. Quant au service après-vente, s’il est loin de remporter tous les suffrages, nous vous avions expliqué pourquoi il était faux de le prétendre « catastrophique ».


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