Pourquoi la Steam Machine ne sera jamais un énorme succès sans résoudre ce problème

682 jeux bloqués

 
La Steam Machine pourrait révolutionner le PC gaming et enterrer Windows. À une condition : que Valve convainque Epic, Riot et EA que Linux n’est pas un paradis pour les tricheurs.

Valve a dévoilé la Steam Machine la semaine dernière avec des caractéristiques solides et une promesse : apporter l’expérience PC au salon sans les lourdeurs de Windows.

SteamOS fait tourner 100 000 jeux, les mises à jour sont automatiques, l’interface est fluide. Sur le papier, c’est exactement ce que le marché attendait.

Sauf qu’il y a un problème massif dont Valve ne parle jamais ouvertement : vous ne pourrez pas jouer à Fortnite, Valorant, Apex Legends, PUBG, Rainbow Six Siege, Destiny 2, et une longue liste d’autres titres compétitifs.

Pas parce que le hardware est faible. Pas parce que SteamOS ne peut pas les faire tourner. Mais parce que ces jeux utilisent des anti-cheat au niveau kernel qui refusent catégoriquement de fonctionner sous Linux.

Et tant que Valve ne résout pas ce problème fondamental, la Steam Machine restera un produit premium pour une niche de joueurs qui ne touchent jamais aux FPS compétitifs ou aux battle royale. Autrement dit, elle ratera complètement une partie massive du marché PC gaming.

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Le problème technique qui bloque tout

Phillip Koskinas de Riot Games a résumé le problème sans détour dans une interview à The Verge en 2024 : « Vous pouvez librement manipuler le kernel Linux, et il n’y a rien pour attester que c’est même authentique. Vous pourriez créer une distribution Linux spécifiquement conçue pour tricher et on serait complètement dépassés« .

En résumé, sur Windows, les anti-cheat kernel-level comme Vanguard (Riot), Easy Anti-Cheat (Epic) ou BattlEye s’installent au niveau le plus profond du système d’exploitation. Ils tournent avec les privilèges maximum et surveillent absolument tout ce qui se passe sur votre machine. Moindre processus suspect, moindre modification mémoire anormale, moindre injection de code, ils détectent et bannissent.

Sur Linux, cette approche ne fonctionne pas. Parce que Linux est open-source par nature. N’importe qui peut compiler son propre kernel personnalisé, modifier les sources, désactiver les protections, injecter ce qu’il veut au niveau kernel sans que l’anti-cheat puisse distinguer un kernel légitime d’un kernel trafiqué pour tricher. Le système est fondamentalement trop ouvert pour être sécurisé de cette manière.

Un tricheur motivé peut créer une distribution Linux personnalisée où l’anti-cheat croit tourner normalement mais ne voit en réalité rien de ce qui se passe réellement sur la machine. Wallhack, aimbot, ESP, toutes les triches classiques deviennent quasiment indétectables.

Pour les éditeurs de jeux compétitifs, c’est inacceptable. Leur business model repose sur l’intégrité compétitive. Si Linux devient une plateforme où tricher est facile, soit ils bloquent complètement Linux, soit ils risquent de pourrir l’expérience pour les millions de joueurs Windows légitimes qui représentent 99,9 % de leur base.

L’historique qui ne rassure personne

Fin 2021, Valve a annoncé le support Proton pour BattlEye. Quelques mois plus tard, Easy Anti-Cheat d’Epic suivait. La communauté Steam Deck était en extase : Fortnite et Rainbow Six Siege allaient enfin être jouables sur la console portable de Valve.

Sauf que rien ne s’est passé. Epic a refusé d’activer le support Linux pour Fortnite. Ubisoft a refusé pour Rainbow Six Siege. Riot n’a jamais envisagé une seconde de porter Valorant. PUBG Corp est resté silencieux.

Pire encore : EA a retiré le support Linux existant. En automne 2024, Electronic Arts a bloqué Apex Legends sur Steam Deck et Linux après des mois où le jeu fonctionnait parfaitement. Leur justification officielle : « Dans nos efforts pour combattre la triche dans Apex, nous avons identifié Linux OS comme étant un vecteur pour une variété d’exploits et de triches impactants. En conséquence, nous avons décidé de bloquer l’accès Linux au jeu. »

Ils ont détecté que des tricheurs utilisaient Linux pour contourner leurs protections, et plutôt que d’investir des ressources pour sécuriser une plateforme représentant moins de 1% de leur base joueurs, ils ont simplement coupé le robinet.

Le message aux autres éditeurs était clair : même si vous activez le support Linux, vous allez devoir combattre une guerre asymétrique contre des tricheurs qui ont un avantage structurel. Et pour quoi ? Pour satisfaire quelques milliers de joueurs Steam Deck ?

Les chiffres qui font mal

Selon Are We Anti-Cheat Yet, une base de données communautaire qui recense les jeux nécessitant des anti-cheat et leur compatibilité Linux, 682 jeux ne fonctionnent pas pour des raisons liées à l’anti-cheat. Sur un total de 1136 jeux recensés utilisant ces protections, ça fait plus de 60 % de blocage.

Quelques titres bloqués définitivement :

  • Fortnite (Epic Games)
  • Valorant (Riot Games)
  • League of Legends avec Vanguard (Riot Games)
  • PUBG: Battlegrounds (Krafton)
  • Rainbow Six Siege (Ubisoft)
  • Destiny 2 (Bungie)
  • Apex Legends (EA, anciennement compatible)
  • Call of Duty avec Ricochet (Activision)
  • Escape from Tarkov (Battlestate Games)
  • Lost Ark (Amazon Games)

Ce ne sont pas des jeux de niche. On parle de plusieurs des plus gros cartons du marché PC, avec des millions de joueurs actifs quotidiens. Fortnite seul revendique 80-100 millions de joueurs actifs mensuels. Valorant approche les 30 millions. League of Legends dépasse les 150 millions.

Ce que Valve pourrait faire (mais ne fait probablement pas)

Valve a trois options pour résoudre ce problème.

Option 1 : Créer un kernel Linux verrouillé spécifiquement pour SteamOS. Une distribution où le kernel est signé par Valve, où toute modification casse la signature, et où les anti-cheat peuvent vérifier l’intégrité du kernel avant de lancer le jeu. C’est essentiellement recréer le modèle de sécurité Windows mais sous Linux.

Le problème : cela va à l’encontre de toute la philosophie open-source de Linux et de Valve. SteamOS est basé sur Arch Linux et publié sous licences open-source. Verrouiller le kernel trahirait les valeurs que Valve défend depuis des années. Et ça ne résoudrait le problème que pour SteamOS, pas pour les autres distributions Linux que Valve veut aussi supporter.

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Option 2 : Développer un sandbox ultra-sécurisé. Au lieu de demander aux anti-cheat de plonger dans le kernel, Valve créerait un environnement isolé au niveau utilisateur où les jeux compétitifs tourneraient, avec des protections suffisamment robustes pour détecter les tentatives de triche sans nécessiter d’accès kernel.

Le problème : les éditeurs ont déjà investi des millions dans leurs solutions kernel-level existantes. Leur demander de tout redévelopper pour un sandbox Valve propriétaire alors que leur approche actuelle fonctionne parfaitement sur Windows ? Bonne chance. Et les tricheurs trouveront de toute façon des moyens de sortir du sandbox ou de l’attaquer de l’extérieur.

Option 3 : Convaincre les éditeurs que le volume de joueurs SteamOS justifie l’investissement. Si la Steam Machine devient un succès commercial massif, alors subitement les 0,01 % deviennent 0,5-1 % de la base joueurs. À ce niveau, les calculs changent. Epic, Riot et EA pourraient accepter d’investir dans des solutions Linux spécifiques.

Le problème : les joueurs compétitifs n’achèteront pas la Steam Machine si leurs jeux préférés ne fonctionnent pas dessus. Les éditeurs n’investiront pas dans le support Linux tant qu’il n’y a pas assez de joueurs. Valve doit casser ce cercle vicieux.

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La stratégie actuelle de Valve : l’évitement

Valve fait comme si le problème n’existait pas. Dans toute la communication autour de la Steam Machine, zéro mention des limitations anti-cheat. Le site promotionnel parle de « 100 000 jeux disponibles via Proton ». Les interviews avec les ingénieurs Valve se concentrent sur les performances, le refroidissement, l’intégration SteamOS.

Mais regardez attentivement les captures d’écran : Cyberpunk 2077, Hades II, Hollow Knight Silksong, Half-Life Alyx. Tous des solo ou des multi coop. Aucun FPS compétitif. Aucun battle royale. Aucun MOBA. Ce n’est pas un hasard.

Valve parie que sa cible, les joueurs avec des bibliothèques Steam massives accumulées sur quinze ans, joue principalement à des solo et des multi coop. Que les gros compétitifs ne sont pas leur marché. Que quelqu’un qui veut jouer à Valorant ou Fortnite achètera une Xbox ou construira un PC Windows de toute façon.

C’est probablement vrai pour la première vague d’early adopters. Les joueurs Steam hardcore qui vont acheter la Steam Machine jour un savent déjà qu’ils ne pourront pas jouer à Destiny 2 dessus. Ils s’en fichent parce qu’ils ont 300 jeux solo et 50 multi coop dans leur bibliothéque Steam.

Mais pour atteindre le marché du grand public ? Celui qui joue à FIFA, Call of Duty, Fortnite, Apex Legends ? Celui qui représente la majorité du marché console ? L’absence de ces titres est rédhibitoire. Vous ne convaincrez jamais quelqu’un de passer de sa PS5 à une Steam Machine si la moitié de ses jeux préférés sont bloqués.

Mais Valve ne bougera sans doute pas. Par idéologie open-source, par flemme, par calcul stratégique que le marché niche suffit ? On ne sait pas. Ce qu’on sait, c’est que sans résoudre ce problème fondamental, la Steam Machine ne révolutionnera rien du tout.

Elle sera juste un excellent produit pour 5 % du marché qui comprend et accepte ses limitations. Les 95 % restants continueront à acheter des PlayStation, des Xbox, ou des PC Windows.

Et Windows restera la plateforme gaming dominante.

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