
Quand Valve a dévoilé la Steam Machine, la réaction de Frédéric Molas reflète parfaitement le problème de Valve. Un cube avec un CPU AMD, un GPU AMD, de la RAM et un SSD, c’est un PC, point. On peut y brancher clavier-souris, installer Windows si on veut. Alors pourquoi Valve s’embête à appeler ça une « console » ? Et surtout, pourquoi cette « console » coûterait 900 euros quand on peut assembler l’équivalent dans un PC pour 880 euros ?
Pour aller plus loin
On a comparé la Steam Machine à la PS5 Pro, la Xbox Series X et un PC gaming équivalent
La réponse courte : parce que Valve vend un écosystème intégré, pas des composants dans une boîte. La réponse longue mérite qu’on décortique précisément ce qui différencie cette machine d’un PC classique et pourquoi c’est à la fois son atout et son piège marketing.
Techniquement un PC, fonctionnellement une console
Partons des faits bruts. La Steam Machine embarque un processeur AMD Ryzen basé sur Zen 4 avec six cœurs, un GPU AMD RDNA 3 avec 28 unités de calcul, 16 Go de RAM DDR5, et un SSD NVMe. Vous pouvez brancher un clavier USB, une souris Bluetooth, installer Arch Linux ou même Windows 11 si le cœur vous en dit. Les ports sont standards : HDMI 2.0, DisplayPort 1.4, USB-A, USB-C, Ethernet. La RAM se remplace a priori via des barrettes SO-DIMM de PC portables. Le SSD accepte du M.2 2280 ou 2230 standard.

Donc oui, c’est techniquement un PC. Personne ne peut le nier. Valve ne le nie pas d’ailleurs, l’entreprise communique ouvertement sur la possibilité d’installer Windows et d’utiliser la machine comme PC complet.
Mais voilà le problème : cette définition passe complètement à côté de ce que Valve a réellement construit. Parce qu’appeler la Steam Machine « juste un PC » revient à dire qu’un iPhone est « juste un ordinateur de poche avec écran tactile ». C’est factuellement vrai et conceptuellement faux.
Ce qu’un PC classique ne fait pas
Prenons un PC gaming typique. Vous l’allumez, Windows démarre en 30-45 secondes sur un bon SSD. Vous lancez Steam. Vous voyez une notification de mise à jour pour trois jeux. Vous attendez. L’un des jeux nécessite une mise à jour du pilote GPU. Vous allez sur le site Nvidia ou AMD, téléchargez, installez, redémarrez. Windows Update décide que c’est le moment idéal pour une mise à jour cumulative de 2 Go. Vous attendez encore. Enfin, vous lancez le jeu. Il met à jour ses shaders pendant deux minutes. Vous jouez.
Maintenant la Steam Machine. Vous appuyez sur le bouton de la nouvelle Steam Controller. La machine s’allume, la TV s’allume automatiquement via HDMI-CEC et bascule sur la bonne entrée. L’interface SteamOS apparaît instantanément, pas de bureau Windows, pas de chargement, juste l’interface Big Picture optimisée pour grand écran. Vous naviguez avec le stick vers le jeu que vous vouliez lancer. Il démarre. Immédiatement.
Pendant que vous dormiez cette nuit, la machine a téléchargé et installé la mise à jour du jeu, mis à jour SteamOS, synchronisé vos sauvegardes cloud, et précompilé les shaders. La barre LED RGB sur la façade indiquait la progression sans même allumer la télé. Aucune intervention requise. Aucun driver à installer manuellement. Aucune mise à jour Windows qui bloque tout.
C’est ça la différence fondamentale. Un PC vous demande d’être administrateur système. La Steam Machine est une machine qui fonctionne. Comme une PS5. Comme une Switch. Sauf qu’elle fait tourner 100 000 jeux PC.
L’architecture logicielle qui change tout
SteamOS n’est pas « juste Linux ». C’est une distribution Arch Linux lourdement modifiée avec une stack complète développée par Valve pendant plus de dix ans.
Voici ce qui tourne sous le capot :
Proton : la couche de compatibilité basée sur Wine qui traduit les appels DirectX Windows en Vulkan Linux en temps réel. Valve y a investi des millions, employant directement des développeurs Wine et CodeWeavers. Résultat : environ 80-85% du catalogue Steam tourne sur Linux sans que les développeurs aient eu à faire quoi que ce soit. C’est transparent, automatique, et souvent plus rapide que sur Windows natif.
Gamescope : le compositeur graphique personnalisé développé par Valve spécifiquement pour le gaming. Il gère le HDR, le VRR, l’upscaling FSR, et élimine les problèmes de stuttering liés au compositeur desktop classique. Sur Windows, vous dépendez du Desktop Window Manager qui n’a jamais été pensé pour le gaming intensif.
Pipewire : le serveur audio moderne qui remplace l’archaïque PulseAudio. Latence ultra-faible, routage audio flexible, pas de craquements ni de désynchronisation.


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Stack shader précompilation : Valve télécharge automatiquement des versions précompilées des shaders pour votre configuration hardware exacte. Sur Windows, chaque jeu doit compiler ses shaders au premier lancement, causant des stutters pendant 5-30 minutes de jeu. Sur SteamOS, c’est fait avant même que vous lanciez le jeu.
Système de mise à jour atomique : SteamOS utilise un système de partitions A/B. Les mises à jour s’installent sur la partition inactive, puis la machine bascule au redémarrage. Si quelque chose plante, elle revient automatiquement sur la partition fonctionnelle. Sur Windows, une mise à jour foireuse peut bricker votre système. Sur SteamOS, c’est techniquement impossible.
Tout ça ne tourne pas sur un PC Windows classique. Vous pouvez installer Proton sur Windows via WSL2, mais vous perdez l’intégration système complète. Vous n’avez pas Gamescope. Vous n’avez pas la précompilation shader automatique. Vous n’avez pas les mises à jour atomiques fail-safe. Vous avez juste Wine qui tourne dans un layer d’émulation au-dessus de Windows. C’est lent et bancal.
Le hardware personnalisé qu’on ne voit pas
« Mais c’est juste des composants PC assemblés dans une boîte », sauf que non. Valve a développé plusieurs éléments propriétaires impossibles à acheter séparément.
Le GPU semi-pesonnalisé RDNA 3 : ce n’est pas une carte graphique standard. AMD ne vend aucun modèle équivalent aux intégrateurs. C’est une puce sur-mesure avec 28 unités de calcul cadencées à 2,45 GHz sous 110 W TDP constant. Le BIOS est co-développé Valve-AMD pour s’intégrer parfaitement avec SteamOS. Tout a été conçu spécifiquement pour cet usage.
Le CPU Zen 4 à 6 cœurs : là encore, AMD ne commercialise pas ce modèle spécifique. C’est probablement un die 8 cœurs avec deux cœurs désactivés (binning pour améliorer les rendements), mais avec un TDP et des fréquences optmisées spécifiquement pour la Steam Machine.

Le système de refroidissement : Valve affirme avoir passé plus de temps en simulation aérodynamique CFD sur ce ventilateur 120mm « qu’une équipe F1 en une saison ». La géométrie des pales est propriétaire. Le dissipateur thermique fait double fonction, refroidissement ET blindage RF entre la carte-mère et les quatre antennes (Wi-Fi 6E dual-radio, Bluetooth, liaison dédiée Steam Controller 2,4 GHz). Ce n’est pas un ventirad Noctua ou Be Quiet standard.

L’alimentation Chicony personnalisé : format propriétaire intégré qui délivre les voltages nécessaires CPU/GPU avec gestion thermique active. Elle sert aussi de blindage RF inférieur. Vous ne pouvez pas acheter ça chez Corsair ou Seasonic.
La carte-mère : format personnalisé avec PCB optimisé pour minimiser le volume. Pas de slots PCIe exposés. Pas de headers RGB inutiles. Juste ce qui est strictement nécessaire pour réduire les interférences électromagnétiques.
Assemblage et validation : Valve teste chaque unité avec une suite automatisée en vérifiant températures, acoustique, stabilité sous charge, et compatibilité HDMI-CEC avec « un entrepôt d’équipements home cinema ». Un PC DIY ? Vous croisez les doigts que tout boot au premier démarrage. Avouez-le, mais on y arrive toujours.
Vous ne pouvez pas recréer ça en assemblant des pièces standard. Vous pouvez obtenir les mêmes performances. Mais vous aurez difficilement le design 3,8 litres avec alimentation intégrée, le refroidissement ultra-silencieux, ni l’intégration logicielle-matérielle complète.
Le piège de la modularité
Paradoxalement, la possibilité d’installer Windows est une faiblesse marketing. Parce que ça brouille le message. Une PS5, c’est une PS5. Point. Vous n’installez pas Windows dessus. Vous ne vous posez pas la question. C’est une console fermée qui fait ce qu’elle doit faire avec un OS fermé.
La Steam Machine dit : « C’est une console Linux, mais vous pouvez installer Windows si vous voulez, et d’ailleurs c’est un PC donc vous pouvez y brancher clavier-souris, et techniquement vous pouvez l’utiliser pour bosser sur Excel si ça vous chante« .
Résultat : les gens ne comprennent pas le positionnement. C’est un PC ? C’est une console ? Les deux ? Aucun des deux ? Le cerveau cherche une case mentale claire et n’en trouve pas.
Apple a résolu ce problème en verrouillant complètement iOS. Vous ne pouvez pas installer Android sur un iPhone. Vous ne pouvez pas accéder au terminal sans jailbreak. C’est un smartphone, point final. Personne ne demande « mais c’est juste un ordinateur de poche non ? ».
Valve refuse ce verrouillage par idéologie. Gabe Newell a toujours prôné l’ouverture et la liberté utilisateur. SteamOS est open-source. Les fichiers CAD des façades magnétiques seront publiés. Vous pouvez installer ce que vous voulez. C’est philosophiquement admirable et commercialement handicapant.
Parce que ça permet aux détracteurs de dire : « Pourquoi payer 900 euros pour ça alors que je peux assembler un PC équivalent pour 880 euros ?« . Techniquement, ils ont raison. Conceptuellement, ils passent à côté de 90 % de la proposition de valeur.
Le problème
Personne ne dit « le Mac mini c’est juste un ordinateur« . Évidemment que c’en est un. Mais tout le monde comprend que la proposition de valeur tient à l’intégration hardware-software. macOS tourne spécifiquement sur cette puce M4 avec optimisations que vous n’aurez jamais sur un PC Hackintosh. Les applications Mac exploitent les accélérateurs hardware du M4 (Neural Engine, Media Engine, ProRes encode/decode).
La Steam Machine suit exactement la même philosophie. SteamOS tourne spécifiquement sur cette combinaison Zen 4 + RDNA 3 avec des optimisations que vous n’aurez jamais sur un PC Windows générique. Proton exploite les fonctionnalités Vulkan du GPU AMD d’une manière impossible sur Nvidia. Le système de mise à jour atomique nécessite un partitionnement spécifique configuré en usine.
La différence ? Apple verrouille tout. Vous n’installez pas Windows sur un Mac Mini M4. Vous ne remplacez pas la RAM soudée. Valve laisse beaucoup de choses ouvertes. Vous pouvez installer Windows. Vous pouvez remplacer la RAM. Et cette ouverture brouille la perception du produit.
Il faut dire que que Valve déteste le marketing traditionnel. L’entreprise n’a pas de CMO, pas de département marketing classique, pas de campagne pub TV. Gabe Newell a toujours privilégié le bouche-à-oreille organique et laissé les produits parler d’eux-mêmes.
Le Steam Deck n’a eu aucune publicité. Zéro. Valve l’a annoncé, ouvert les précommandes, expédié les machines, et laissé la communauté évangéliser. Ça a marché parce que le produit était objectivement bon et résolvait un problème réel (PC gaming portable).
La Steam Machine hérite de cette approche minimaliste. Valve montre le hardware à quelques journalistes triés sur le volet, publie la fiche technique, et attend que le marché décide. Pas de storytelling agressif sur « ce n’est pas juste un PC ». Pas de campagne expliquant l’intégration SteamOS. Pas de comparaisons directes démontrant pourquoi c’est différent d’un PC DIY.
Donc oui, comme JDG, comme beaucoup de monde, on fait le calcul, et on conclue « je peux assembler ça moins cher ». Et on a techniquement raison. Mais on passe à côté de 90 % de la valeur ajoutée.
Apple ne ferait jamais cette erreur. Apple passerait trois keynotes à expliquer pourquoi l’intégration hardware-software change tout, avec des démos visuelles pour montrer la fluidité, la fiabilité, l’expérience sans friction. Valve dit juste « voilà la machine, voilà la fiche technique, vous comprendrez quand vous l’utiliserez« .
Le positionnement impossible
Valve veut le beurre et l’argent du beurre. Vendre une console qui marche comme une console, tout en gardant l’ouverture et la flexibilité PC qui brouille le message console.
Sony a tranché : PS5 fermée, mais expérience garantie. Microsoft essaie de tout faire avec Xbox, console, PC, cloud, mobile, et ça ne marche pas, personne ne comprend ce qu’est Xbox en 2025. Nintendo a tranché : Switch ultra-fermée, mais expérience cohérente que tout le monde comprend.

Valve refuse de trancher. La Steam Machine est une console Linux qui accepte Windows, un PC ultra-compact qui s’utilise comme une console, un hardware propriétaire assemblé avec des composants semi-personnalisée, une expérience fermée (SteamOS) qui reste ouverte (vous pouvez tout modifier).
Alors, c’est juste un ordinateur ?
Oui et non. Techniquement oui, parce que l’architecture est PC et vous pouvez y installer Windows. Fondamentalement non, parce que l’intégration logicielle-matérielle crée une expérience qualitativement différente d’un PC Windows classique.
Pour aller plus loin
On a comparé la Steam Machine à la PS5 Pro, la Xbox Series X et un PC gaming équivalent
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