Pourquoi les vélos électriques de cette célèbre marque vendue en France sont à la limite de la légalité

Une histoire de km/h

 

D’après le média néerlandais Bright, les vélos électriques de la marque Super73 seraient tout bonnement illégaux. Plusieurs modes d’assistance disponibles depuis l’application mobile permettent en effet de filer à une allure de 35, voire 45 km/h. Ce qui les placerait dans la famille des speedbikes, régit par des règles strictes. Nous avons contacté un avocat spécialisé pour tenter d'éclaircir cette affaire.

Super73
Source : Vander Films

La marque américaine Super73 est connue pour ses vélos électriques dits fatbikes, caractérisés par d’énormes roues ainsi qu’un style vintage. Problème : ses VAE seraient potentiellement illégaux en France et en Europe. L’affaire a été mise au jour par le site néerlandais Bright, que l’on considère comme fiable.

Au moment de tester un modèle Super73, Bright s’est rendu compte qu’il était possible de débrider la vitesse du vélo depuis un simple mode d’assistance à sélectionner dans l’application mobile de la marque. Simple comme bonjour. Le produit testé offrait un total de quatre modes d’assistance :

  • Mode 1 : assistance électrique limitée à 25 km/h ;
  • Mode 2 : l’assistance électrique vous fait grimper à 35 km/h ;
  • Mode 3 : l’assistance électrique vous fait grimper à 45 km/h ;
  • Mode 4 : mode boost, avec un accélérateur capable de vous emmener à plus de 50 km/h.

Des modes illégaux ?

Le média Bright a contacté l’Inspection de l’environnement humain et des transports (ILT) des Pays-Bas, qui a indiqué qu’un vélo électrique qui dépasse les 25 km/h grâce à l’assistance appartient à la catégorie des speedbikes, régit par la réglementation des cyclomoteurs. C’est aussi et exactement le cas en France.

Certes, les cycles Super73 sont configurés par défaut sur le mode 1. Mais le problème, c’est qu’ils ont été conçus pour assumer et proposer des allures supérieures aux normes des vélos électriques avec les modes 2, 3 et 4. Dans ce cas, ils sont considérés comme des speedbikes et doivent répondre à la législation adéquate.

Pour rappel, un speedbike implique une assurance, une plaque d’immatriculation, des gants et casques homologués, l’interdiction de rouler sur les pistes cyclables ou encore l’obligation d’avoir un feu de croisement avant et un feu-stop à l’arrière.

Au moment de sélectionner les modes 2, 3 ou 4, l’application fait apparaître un petit message selon lequel lesdits modes sont interdits sur la voie publique en Union européenne. Au passage, l’utilisateur serait le seul responsable du respect des lois locales. Ici, Super73 fait jouer la responsabilité de l’utilisateur pour se protéger. C’est à lui de ne pas enfreindre les lois, en se limitant au mode 1 sur la voie publique. Dès lors qu’il circule sur une voie privée, libre à lui d’activer les modes 2, 3 ou 4. Soit, pourquoi pas.

Les cas de Cowboy et VanMoof

Le problème, c’est qu’il est impossible – notamment pour les forces de l’ordre – de vérifier au cas par cas qui respecte cette règle. Les abus peuvent alors être nombreux, comme ce fut probablement le cas à l’époque avec les clients de Cowboy. Jusqu’en 2020, la société belge proposait un mode off-road (qui supprimait la bride logiciellement) sur ses Cowboy 1 et Cowboy 2, avant de le supprimer en Europe dès la sortie du Cowboy 3 pour des raisons de sécurité et d’assurance.

Dans une FAQ, Cowboy conseillait d’ailleurs aux propriétaires d’un Cowboy 1 ou 2 de supprimer définitivement cette fonction « pour éviter tout malentendu avec la police en cas de contrôle du vélo ». Pour ceux qui le souhaitaient, l’utilisation du mode off-road était uniquement autorisée sur des terrains privés.

mode off road cowboy
Source : Cowboy

En novembre 2020, VanMoof avait aussi fait marche arrière en retirant le paramètre « USA », qui permettait aux vélos électriques de la marque de filer jusqu’à 32 km/h grâce à l’assistance. La raison ? De trop nombreux clients allemands se faisaient arrêter par la police en raison de leur allure jugée trop élevée et permise par ledit mode. « Nous procédons à un changement le 17 novembre pour éviter toute discussion sur le respect de ces lois », avait écrit le patron du groupe, Ties Carlier.

Super73 surpris par les déclarations de l’ILT

De son côté, l’Inspection de l’environnement humain et des transports (ILT) considère ce type d’alerte – le fameux message au sein de l’application – comme insuffisant. L’organisme précise son propos à Bright :

Si le constructeur a permis à l’utilisateur final d’un véhicule de régler la vitesse d’assistance au pédalage d’une manière très accessible, qui n’implique aucune modification physique du véhicule, de sorte que le système d’entraînement continue à fournir une assistance à un moment donné et à une vitesse supérieure à 25 km/h, alors ce véhicule n’est pas par définition un vélo à assistance électrique, mais un cyclomoteur.

Le média néerlandais a par ailleurs contacté Super73 Europe, qui se dit « surpris par les déclarations de l’inspection gouvernementale ». L’ILT aurait déjà analysé le cas de Super73, sans aucun avertissement ni amende.

SUPER73 Adventure Series (3)
Source : SUPER73

Néanmoins, Super73 admet qu’il est relativement facile de débrider ses vélos électriques depuis l’application, et souhaite y remédier. « Nous y travaillons, des ajustements arrivent. Mais comme pour tout ajustement du logiciel, cela demande beaucoup de travail », a déclaré Nico Danan, PDG de Super73 en Europe.

En se rendant sur le site européen de Super73, force est de constater que la marque se montre relativement discrète au sujet des modes débridables. En revanche, le revendeur Cruze, qui distribue les vélos de la marque en France, est très explicite : le SUPER73 – S2 mis en avant sur le site bénéficie de tous ces modes et d’une vitesse supérieure à 25 km/h.

Les réponses d’un avocat spécialisé

La page produit précise bel et bien que seules les voies privées sont autorisées avec les modes 2, 3 et 4. Il est aussi indiqué : « Pour activer les modes de conduite 2 à 3, le conducteur doit ouvrir l’application Super73, accepter les conditions générales et activer le mode de conduite souhaité qui débloquera la puissance et la vitesse supplémentaire ».

Ici, le processus pour débrider son vélo électrique est expliqué de manière très explicite. Par ailleurs, la page précise : « Tous nos modèles Super73 sont livrés en tant que vélos à assistance électrique (VAE) conformes à la réglementation européenne et ne nécessitent pas de permis de conduire ou d’immatriculation. La vitesse est limitée à 25 km/h avec un moteur d’une puissance nominale continue de 250 watts ». Ce passage est totalement paradoxal, puisqu’il est tout à fait possible de dépasser les 25 km/h avec un simple mode disponible depuis l’application.

SUPER73 Adventure Series (3)
Source : SUPER73

Nous avons contacté l’avocat Jean-Baptiste le Dall, docteur en Droit, spécialisé dans le Droit automobile et le Droit des mobilités, et auteur du Guide juridique des EDPM, pour tenter d’éclaircir cette situation. L’intéressé « comprend l’idée, mais d’un point de vue de la légalité, c’est un peu limite », nous indique-t-il. « Disons que ce n’est pas l’esprit au départ des textes. Un bridage à 25 km/h qu’on peut relever sur un coup de tête me semble limite. Et le problème, c’est qu’on n’a aucune preuve que la personne circule bien sur la voie publique avec un engin bridé à 25 km/h », poursuit-il.

Quant à la responsabilité de l’utilisateur et du constructeur, Maître Le Dall estime que les deux parties sont responsables. « Un conducteur de vélo électrique n’est pas censé débrider son engin sur la voie publique. Mais d’un autre côté, le constructeur qui commercialise un produit doit être conforme à la réglementation. Si on dit que c’est présenté comme un VAE, et qu’en réalité ça n’en est pas un, alors on rencontre des difficultés par rapport à ça ».

Super73 joue avec les règles du jeu

Et de poursuivre : « Après, on peut imaginer des engins qui sont théoriquement conçus pour des pistes privées ». Selon nous, Super73 joue d’ailleurs très bien avec cette pirouette juridique. « On peut tout faire, mais en pratique, il faut pouvoir contrôler. Et les possibilités pour les forces de l’ordre pour tout contrôler ne sont pas évidentes », conclut l’intéressé.

Selon la marque que nous avons contactée, « les VAE Super73 sont légaux et en accord avec la réglementation EPAC européenne ». Elle constate par ailleurs que le média néerlandais Bright n’a pas mentionné le SUPER73 ZG, le seul modèle privé de l’application mobile… et donc des modes débridables. Soit. Il n’empêche, il est tout à fait possible de commander un autre fatbike de la marque, comme nous avons pu le constater lors d’une simulation d’achat. Les frais de livraison pour Paris s’élèvent par exemple à 25 euros pour le SUPER73 – S2 mentionné plus haut.

super73
Source : Super73

En clair, Super73 joue en quelque sorte avec les règles du jeu en vendant des vélos électriques configurés comme tel, mais débridables avec un simple mode disponible depuis l’application mobile. Il rejette ensuite sa responsabilité de constructeur sur l’utilisateur, en lui rappelant simplement les règles à ne pas enfreindre. Libre à l’utilisateur, ensuite, de les respecter sur la voie publique. Alors que des modes d’assistance aussi puissants ne devraient tout simplement pas être proposés par défaut.


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