« On était prêts pour l’électrique » : Carlos Tavares réécrit l’histoire de l’effondrement de Stellantis (Peugeot, Citroën, Jeep, Fiat, etc.)

 
L’ancien patron de Stellantis, Carlos Tavares, fait sa tournée médiatique. Il explique que « Stellantis était prêt pour l’électrique », critique l’Europe « trop dogmatique », et annonce avoir été sollicité par des constructeurs chinois.

Depuis sa sortie brutale de Stellantis en décembre 2024, Carlos Tavares enchaîne les interviews pour promouvoir son livre Un pilote dans la tempête (disponible sur Amazon).

Et franchement, on assiste à un spectacle fascinant : l’ancien dirigeant défend bec et ongles ses choix stratégiques, explique que Stellantis était « parfaitement prêt » pour l’électrique (pendant que le groupe s’effondre), donne des leçons de gestion budgétaire à la France, et annonce avoir été « sollicité par des constructeurs chinois ».

Pour aller plus loin
Carlos Ghosn sur les voitures électriques chinoises : « les Chinois font un travail extraordinaire, c’est un véritable danger (…) une question de vie ou de mort pour les marques européennes » 

« Stellantis était parfaitement prêt pour l’électrique » : vraiment ?

Commençons par le morceau de bravoure. Dans son interview à France Inter, Carlos Tavares martèle : « Fin 2024, Stellantis était parfaitement prêt pour l’électrification. On avait les plateformes, les moteurs, les batteries, l’architecture électronique. Tout« .

Sur le papier, ça sonne bien. Dans les faits ? Les chiffres de Stellantis en 2024 racontent une tout autre histoire : -70 % de bénéfices. Pas exactement le signe d’une entreprise « prête » qui « accélère pendant que les autres freinent ».

Quand Tesla prenait le virage électrique en 2003, Stellantis (PSA à l’époque) regardait dans le rétroviseur. Quand Xpeng se lançait il y a dix ans, Peugeot-Citroën bricolait des hybrides sur des plateformes thermiques. Le « on était prêt » de Carlos Tavares arrive avec 10 ans de retard.

Et les produits actuels ? Autonomie moyenne, recharge lente (50 minutes quand la concurrence fait du 25 minutes), consommation élevée sur autoroute, info-divertissement d’un autre temps. Pendant qu’un Xpeng G6 recharge de 10 à 80 % en 12 minutes, les modèles Stellantis peinent à convaincre. Concevoir des électriques sur des plateformes multi-énergies, c’est partir perdant dès le départ. Une voiture électrique ne se pense pas comme une thermique avec une batterie à la place du réservoir.

Pour aller plus loin
Stellantis fait machine arrière sur sa nouvelle voiture électrique avec une décision radicale

Sans parler du réseau de concessions où les commerciaux, peu formés et peu convaincus, se font régulièrement dépasser en connaissance technique par les clients. Comment vendre l’électrique quand vous n’y croyez pas vous-même ?

Pour aller plus loin
« La demande est limitée » : Stellantis explique pourquoi sa technologie inspirée de Tesla ne verra sûrement jamais le jour

Carlos Tavares critique l’Europe

Carlos Tavares multiplie les attaques contre Bruxelles. L’objectif d’interdiction des thermiques en 2035 ? « Dogmatique« , « manque de sagesse« , « réaction émotionnelle du Parlement européen« . Sa solution : autoriser les thermiques à condition qu’ils émettent moins de 100 g de CO2, pour remplacer un parc vieillissant à 300 g.

L’argument n’est pas idiot sur le principe : remplacer une vieille diesel de 2005 par une essence récente de 95 g, c’est effectivement mieux pour la planète à court terme. Le problème ? Ça revient à dire « laissez-nous vendre des thermiques plus longtemps parce que l’électrique coûte trop cher« . Comprenez : « on n’a pas su industrialiser l’électrique à prix accessible, donc changez les règles« .

Pour aller plus loin
La France et l’Espagne veulent tirer un trait sur les voitures essence : la guerre avec l’Allemagne et l’Italie ne fait que démarrer

Il explique : « La technologie électrique est 50 % plus chère que la technologie conventionnelle. La classe moyenne ne peut pas se l’offrir« . Sauf que Tesla vend des Model 3 et Y à 40 000 €, BYD ou encore MG inondent l’Europe de modèles à 25 000 €. Le « c’est trop cher » ressemble surtout à « nous n’avons pas su industrialiser efficacement« .

Pour aller plus loin
Malgré les protestations, l’Europe confirme vouloir interdire la vente de voitures thermiques en Europe en 2035

Plus cash encore : « Les Européens doivent travailler plus ». Tavares affirme ne disposer que de « 3 heures pour créer de la valeur sur une journée de 10 heures, le reste étant consacré à combattre la bureaucratie« . Si un dirigeant passe 7h par jour à « combattre la bureaucratie », le problème n’est peut-être pas uniquement dans la bureaucratie, mais dans l’organisation elle-même.

Il enfonce le clou : « Il ne faut pas expliquer aux Européens qu’ils vont pouvoir garder leur mode de vie, en concurrence avec l’Asie, sans travailler plus« . Les constructeurs chinois sont « ceux qui travaillent le plus« , donc nous devons faire pareil. C’est la course au moins-disant social déguisée en leçon de compétitivité. Parce que si la solution consiste à copier les conditions de travail chinoises, on connaît l’issue : on assistera sans doute à un burn-out généralisé et explosion des inégalités.

Problèmes de qualité : des excuses mais peu de solutions

Un moment de vérité rare : confronté au cas de Christiane, téléspectatrice dont la Peugeot est immobilisée depuis 3 ans pour des problèmes de moteur, Tavares… présente ses excuses. Sans détour.

Je lui présente mes excuses. Vous n’avez pas de constructeur automobile qui n’a pas de problème de qualité. C’est un mal endémique de l’industrie.

Sur la forme, c’est honnête. Sur le fond, ça reste un problème. Les rappels massifs d’airbags Takata, les soucis moteurs récurrents… Stellantis traîne une réputation de qualité en dents de scie. Et quand Tavares explique que l’entreprise a fait preuve de « grande générosité » dans la prise en charge, on se demande si Christiane, bloquée depuis 3 ans, partage cet avis.

Pour aller plus loin
Si vous roulez dans l’une de ces 209 000 Citroën C3 ou DS3, vous devez immédiatement arrêter

Il reconnaît que des dysfonctionnements existent « au niveau du traitement des solutions et dans les concessions« . En résumé, les clients galèrent, les concessions ne suivent pas, et le service après-vente est à la ramasse. C’est tout l’écart entre le discours du CEO sur les « efforts qualité » et la réalité vécue par les clients.

Lorsque Carlos Tavares affirme qu’il est « tout à fait anormal » qu’une voiture soit bloquée trois ans pour un problème moteur, on ne peut qu’acquiescer. Le problème ? Ces dysfonctionnements révèlent une organisation défaillante, pas juste des cas isolés. Quand le service client ne parvient pas à débloquer une situation pendant trois ans, c’est toute la chaîne qui dysfonctionne.

« Des constructeurs chinois m’ont sollicité » : le retour ?

Cerise sur le gâteau de cette tournée médiatique : Tavares a lâché lors d’une interview sur BFM Business qu’il avait été « sollicité par des constructeurs chinois ». Sans donner de noms.

C’est ironique quand même. L’ancien dirigeant qui vient de piloter Stellantis dans le mur de l’électrification se ferait draguer par les Chinois qui, eux, ont 5 à 10 ans d’avance sur l’électrique. Que peuvent-ils bien vouloir de lui ? Son expertise sur comment ne pas réussir la transition électrique ?

Plus sérieusement, ça pourrait s’expliquer : Carlos Tavares a une connaissance du marché européen, des réseaux de distribution, des arcanes réglementaires. Pour un constructeur chinois qui veut s’implanter en Europe, c’est un profil potentiellement intéressant. Même si son bilan chez Stellantis laisse franchement perplexe.

Il avait d’ailleurs lui-même créé une coentreprise avec Leapmotor (20 % du capital pour 1,5 milliard d’euros), visant à commercialiser les modèles chinois en Europe via le réseau Stellantis. Une manœuvre qui, rétrospectivement, ressemble à une tentative désespérée de combler le retard technologique en important des voitures déjà prêtes.

Pour aller plus loin
Stellantis travaille sur une batterie révolutionnaire : voici la première voiture électrique à en être équipée

Le grand écart entre discours et réalité

Ce qui frappe dans cette tournée médiatique, c’est le décalage abyssal entre le storytelling de Carlos Tavares et les faits objectifs.

Il dit : « On était prêts pour l’électrique, on avait tout« .
Les faits : -70% de bénéfices en 2024, produits en retrait face à la concurrence, clients déçus, usines qui tournent au ralenti.

Il dit : « J’ai accéléré pendant que les autres freinaient« .
Les faits : Stellantis perd des parts de marché, l’électrique ne décolle pas, le groupe vacille.

Il dit : « Les constructeurs ont bien alerté sur le coût de l’électrique« .
Les faits : Tesla est tout en haut des classements, BYD inonde l’Europe de modèles de moins en moins chers, pareil pour MG et bien d’autres marques. Le « c’est trop cher » ressemble surtout à « nous n’avons pas su industrialiser ».

Carlos Tavares réécrit l’histoire pour se poser en visionnaire incompris, écarté parce qu’il « allait trop vite vers la voiture propre« . La réalité : il a été évincé parce que les résultats s’effondraient et que les actionnaires ont perdu patience.

Sa stratégie semble claire : positionner son départ comme celui d’un avant-gardiste sacrifié sur l’autel du court-termisme actionnarial. Le problème ? Les chiffres ne mentent pas. Et les clients non plus.

Dans son livre, Tavares évoque ouvertement un risque de « désintégration » du groupe, miné par des tensions entre pôles français, italiens et américains. Depuis son départ, Antonio Filosa, ancien cadre de FCA, a pris les rênes et réoriente les investissements vers les États-Unis tout en réduisant certains projets en Europe.

Ces décisions alimentent les spéculations sur une possible rupture interne : PSA d’un côté, FCA de l’autre, chacun reprenant son autonomie.

Carlos Tavares lui-même confie : « Je ne sais pas si Stellantis sera là dans 10 ans« . Venant de celui qui a dirigé le groupe pendant ses années charnières, c’est un aveu d’échec.

Le personnage est cohérent dans son incohérence : il assume ses convictions, défend ses choix, et n’a visiblement aucun regret. C’est presque admirable, cette capacité à maintenir un storytelling face à des faits qui le contredisent. Ou inquiétant.


Certains liens de cet article sont affiliés. On vous explique tout ici.


Retrouvez un résumé du meilleur de l’actu tech tous les matins sur WhatsApp, c’est notre nouveau canal de discussion Frandroid que vous pouvez rejoindre dès maintenant !

Recherche IA boostée par
Perplexity