Comment ce constructeur chinois de voitures électrique compte sur la dénonciation pour mettre fin à une pratique de vol d’électricité

 
Nio s’est fait connaître via ses voitures électriques plutôt haut de gamme, mais surtout grâce à son système d’échange de batterie permettant de « faire le plein » en moins de 3 minutes. Mais visiblement, certains utilisateurs en profitent pour en abuser.

L’imagination de l’être humain est sans limite, et quand il s’agit de faire quelques économies, elle peut être décuplée ! C’est l’amère expérience qu’a pu faire le constructeur de voitures électriques chinoises Nio.

Pour rappel, Nio propose un inédit système d’échange de batterie, dont vient de s’inspirer le géant de la batterie CATL. Pour utiliser ces stations d’échange de batterie, il faut posséder une voiture Nio compatible. Ensuite, le fonctionnement est très simple : au lieu de recharger votre batterie en restant à l’arrêt et en perdant du temps, la station d’échange dispose de plusieurs batteries identiques, chargées à 90 %.

Lorsque votre batterie atteint un niveau faible, l’idée est de se garer dans une station d’échange et de laisser la machine remplacer la batterie située dans le plancher par une batterie chargée. Il faut au préalable réserver sa place dans la station la plus proche depuis l’écran central de la voiture. Le robot vient ensuite dévisser votre batterie pour la remplacer en moins de 3 minutes.

Mais visiblement, certains clients usent et abusent de ce système, au point même que Nio intègre à son application mobile une fonction permettant aux utilisateurs de dénoncer les comportements suspects observés sur les plateformes de VTC ou de location de véhicules. Les informateurs sont récompensés en points et crédits Nio. Un appel à la délation entre autres, mais pour quelles raisons ?

Cette campagne vise les usagers qui exploitent à des fins lucratives une prestation initialement pensée comme un avantage client : l’échange gratuit de batterie. Une pratique baptisée « wool-gathering » en Chine, qui consiste à tirer profit, souvent de manière détournée, d’un système conçu pour un usage privé.

Un modèle conçu pour séduire, devenu vulnérable

Le modèle de remplacement de batteries de Nio a toujours été central dans sa stratégie de différenciation. L’idée est simple : pour éviter les longues durées de recharge et faciliter la vie des conducteurs, la marque propose des stations où l’on peut échanger une batterie vide contre une pleine en quelques minutes. Jusqu’à récemment, ce service était illimité pour de nombreux propriétaires.

Mais cette générosité s’est retournée contre Nio. Certains clients se sont mis à détourner l’usage initial : utilisation pour le transport de personnes, pour la livraison de marchandises, voire pour recharger d’autres véhicules électriques grâce à la fonction V2G. Dans les cas les plus extrêmes, des modèles de Nio sont même transformés en générateurs électriques ambulants pour alimenter des chantiers ou des usines.

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Face à ces dérives, Nio a tenté de restreindre les conditions d’accès : d’abord en limitant les swaps gratuits mensuels (de 6 en 2020 à 4 en 2023), puis en plafonnant l’énergie utilisable à 15 kWh par mois pour des usages externes. Mais ces mesures n’ont pas suffi à endiguer les abus.

Un gouffre financier devenu insoutenable

Même si ce phénomène peut paraître anecdotique, ça en vient à devenir un véritable problème économique pour Nio. L’entreprise, qui a investi massivement dans son réseau de plus de 3 100 stations d’échange de batteries, fait face à des coûts d’exploitation colossaux : plus de 120 millions d’euros de maintenance par an.

Rien que pour le premier trimestre 2025, Nio a annoncé une perte de 6 milliards de yuans (731 millions de dollars). À ce stade, chaque kWh “volé” par un utilisateur indélicat se transforme en une facture salée.

Nio ET7

Dans ce contexte, la traque des « voleurs d’électricité » peut sembler justifiée. Mais la manière dont elle est conduite soulève des interrogations. Plutôt que de renforcer les contrôles ou d’innover sur la personnalisation des offres, Nio mise sur une stratégie fondée sur la dénonciation communautaire. Un choix au goût amer, qui évoque davantage un climat de suspicion qu’un véritable engagement pour une utilisation responsable.

L’ambiguïté du « wool-gathering » complique d’autant la tâche de Nio. Où tracer la ligne entre usage abusif et usage personnel flexible ? Dans une économie en tension, il n’est pas rare que des conducteurs cherchent à rentabiliser leur véhicule via du VTC occasionnel. Est-ce alors un détournement, ou une adaptation aux réalités économiques ?

Si Nio affirme qu’elle ne se basera pas uniquement sur le kilométrage pour juger des comportements, l’activation d’une surveillance communautaire montre que l’entreprise avance à tâtons. Le risque est double : d’une part, perdre la confiance des clients en créant un climat de méfiance ; d’autre part, fragiliser son image de marque en apparaissant comme une entreprise qui veut contrôler ce que font les propriétaires de leur propre véhicule.

À court terme, la stratégie de Nio peut sembler efficace pour limiter l’hémorragie financière. Mais à long terme, elle risque de ternir l’image d’une marque jusqu’ici perçue comme innovante et centrée sur le client.


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