Il est vrai qu’on peut se demander si l’objectif d’un parc automobile 100 % décarboné est véritablement réalisable en 2050. Les voitures électriques contribueront certes à cet objectif, à condition que leur production puisse être dépolluée.
Cependant, rendre la production propre devient difficile dès lors que les constructeurs proposent des voitures lourdes, puissantes et imposantes, nécessitant davantage de matériaux. Le GERPISA (Groupe d’Études et de Recherche Permanent sur l’Industrie et les Salariés de l’Automobile) s’est penché sur le sujet avec une étude très intéressante. L’idée principale : limiter la taille, le poids et les tarifs des voitures neuves produites et vendues en Europe.
Une proposition inspirée du Japon
Avec des voitures approchant facilement les 2 tonnes, il est difficile de réduire l’empreinte énergétique globale du véhicule. Pour y parvenir plus facilement, le GERPISA propose une solution inspirée du Japon.
Là-bas, une catégorie de véhicules répond à des normes très précises (3,40 m de long, 1,48 m de large, 2 m de haut, 64 chevaux maximum) pour éviter les taxes et l’obligation de disposer d’une place de parking pour l’immatriculer : il s’agit des Kei-Cars.
Cela donne parfois des voitures aux gabarits particuliers : courtes, étroites mais hautes, offrant une habitabilité surprenante à l’intérieur. Ces mini-vans pratiques intègrent des solutions bien pensées pour offrir plus d’espace qu’on ne l’attend.
L’efficience est souvent une affaire de poids
Au Japon, cette catégorie a été créée dans les années 40 pour limiter l’encombrement des véhicules dans les centres urbains déjà très denses. Mais il y a d’autres avantages, notamment en termes d’efficience énergétique.
Se contenter d’une petite voiture pesant rarement plus de 900 kg permet de limiter les rejets de CO2 à l’usage pour une voiture thermique, de réduire la consommation électrique pour les voitures électriques, et bien évidemment de baisser drastiquement les besoins en matières premières pour la production – le WWF avait ainsi sonné l’alerte sur la consommation déraisonnable de matières premières.
De plus, l’énergie nécessaire à la fabrication d’une voiture est moins importante. Enfin, avec un besoin en matières premières en baisse, les prix devraient suivre la tendance. La planète devrait s’en porter mieux, le porte-monnaie des consommateurs aussi.
Des voitures plus abordables
En adoptant une approche ASEV (affordable, sustainable electric vehicle, ou « véhicules électriques abordables et durables » en français) favorisant les petits véhicules, comme c’est le cas au Japon avec les Kei-Cars ou en Chine avec le succès, par exemple, de la minuscule Wuling Hongguang Mini EV, le prix des voitures neuves pourrait se réduire. En 2023, une voiture neuve coûtait en moyenne 35 474 euros en France, soit une hausse de 6 % par rapport à 2022.
Plusieurs raisons expliquent cette augmentation des prix. Il y a bien sûr l’électrification des voitures : pour l’instant, une voiture électrique ou hybride coûte plus cher que son équivalent thermique. Les prix devraient baisser avec le temps, au fur et à mesure que les coûts de recherche et de développement seront amortis par les constructeurs.
Cependant, la taille croissante des voitures peut également engendrer une hausse des prix. Pour maintenir des performances similaires avec des véhicules plus imposants, les voitures doivent être plus puissantes. Avec les contraintes écologiques et sécuritaires, notamment en matière d’émissions de CO₂ ou d’équipements d’aides à la conduite, les constructeurs doivent développer des technologies performantes et écologiquement responsables, augmentant ainsi les coûts.
En privilégiant des voitures plus légères, les fabricants pourraient se contenter de technologies plus simples, ce qui ferait logiquement baisser le prix des voitures.
5 propositions complémentaires par le GERPISA
Dans cette dynamique, le GERPISA a proposé cinq mesures visant à faciliter le développement des ASEV en Europe tout en améliorant la décarbonation de l’industrie automobile :
- Créer une catégorie sous-M1 (M1 ASEV) :
Cette proposition consiste à créer une nouvelle sous-catégorie de véhicules dans la classe M1, dédiée aux ASEV, en limitant les dimensions, le poids et la puissance des véhicules concernés. Cette catégorie a priori assez simple et rapide à intégrer dans le cadre réglementaire actuel de l’UE. Une option alternative prévoit la création d’une catégorie entièrement nouvelle, M0, avec une limitation de vitesse (<110 km/h). Cette approche permettrait une certaine marge pour adapter les normes d’émission de CO2, mais sa mise en œuvre serait plus complexe et prendrait de trois à quatre ans de plus que la création de la sous-catégorie M1 ASEV. Elle pourrait également avoir un marché plus restreint. - Ajuster la réglementation CO2 pour une décarbonation efficace :
Ce point suggère d’introduire un multiplicateur ASEV dégressif pour favoriser leur adoption, similaire aux supercrédits déjà utilisés pour les véhicules électriques : une ASEV « pèserait » plus dans les crédits CO2 qu’une autre voiture électrique. À plus long terme, il serait proposé d’orienter les objectifs de réduction de CO2 vers des analyses de cycle de vie (ACV) pour tous les segments de véhicules électriques, à partir de 2030. Cette approche favoriserait une décarbonation globale en intégrant les émissions totales du véhicule, de sa fabrication à sa fin de vie. - Mettre en place un cadre financier pour accélérer la production :
Inspirée du cadre IPCEI (Important Projects of Common European Interest), cette proposition inclut des subventions et des crédits temporaires de production pour les ASEV, dans le même esprit que l’Inflation Reduction Act américain. Ce cadre soutiendrait directement le développement des infrastructures et des chaînes de valeur nécessaires en Europe pour stimuler la production d’ASEV, renforçant ainsi l’autonomie de l’UE dans ce domaine. - Lancer un Eco score européen pour les voitures :
Un Eco score européen, basé sur une analyse du cycle de vie, permettrait aux consommateurs de mieux comprendre l’impact environnemental de leurs choix. Prévu pour 2025, cet outil d’information encouragerait la transparence et orienterait les politiques des fabricants vers des produits plus respectueux de l’environnement. Il servirait également de levier pour des politiques locales et nationales, en offrant des incitations variées en fonction des priorités des différents gouvernements et collectivités (à l’image du bonus écologique français). - Développer une « boîte à outils » pour les autorités locales et nationales :
Cette boîte à outils soutiendrait la mise en œuvre d’incitations pour les ASEV au niveau local, régional et national, en intégrant les ASEV dans les politiques de mobilités urbaines. Les ASEV seraient alors intégrés dans des stratégies de mobilité globale, où ils joueraient un rôle complémentaire à d’autres moyens de transport comme les transports publics, les scooters ou les vélos, pour créer un écosystème complet.
Un défi : faire adopter cette idée aux consommateurs
Ces idées, aussi ambitieuses soient-elles, risquent de se heurter à une certaine réticence des consommateurs. Actuellement, les SUV sont privilégiés au détriment des citadines et des berlines pour la position de conduite haute et le sentiment de sécurité qu’ils procurent.
Il est difficile d’imaginer un conducteur de SUV adopter une voiture au gabarit limité et au poids réduit. Ces deux éléments peuvent en effet diminuer le sentiment de sécurité que véhicule un SUV.
En Europe, certains constructeurs ont tenté de proposer des véhicules inspirés des Kei-Cars, comme Suzuki avec le Wagon R ou son cousin l’Opel Meriva dans les années 2000. Il y a aussi eu des modèles électriques comme la Citroën C-Zéro, la Peugeot iOn et la Mitsubishi i-MiEV début 2010. Cependant, face au succès mitigé de ces modèles, les constructeurs ont progressivement renoncé à proposer des véhicules dérivés des Kei-Cars en Europe. Le dernier exemple en date à avoir disparu du catalogue européen de son constructeur est le Suzuki Jimny.
Malgré ces précédents, le GERPISA semble croire en la réussite de leur proposition, qui permettrait selon eux de réduire le prix des voitures électriques et de parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050. Notons que Luca de Meo, PDG de Renault, semble également être favorable à l’adoption des Kei-Cars en Europe. De bon augure ?
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