Non, l’iPhone 13 Pro n’est toujours pas un vrai « Pro » de la vidéo

 

En mettant en avant ses iPhone 13 Pro et 13 Pro Max comme de véritables caméras, Apple cherche à cibler les professionnels de la vidéo. Mais en y regardant de plus près, de nombreuses contraintes viennent clairement limiter cet usage sur un plateau de tournage.

L'iPhone 13 Pro
L’iPhone 13 Pro // Source : Apple

Depuis quelques années, Apple a décidé de proposer, en plus de ses iPhone classiques, des déclinaisons Pro. C’était déjà le cas sur les iPhone 11 Pro et iPhone 12 Pro, et la nouvelle génération de l’iPhone n’échappe pas à la règle. Cette semaine, le constructeur américain a présenté les deux déclinaisons de l’iPhone 13 dédiées aux professionnels, les iPhone 13 Pro et iPhone 13 Pro Max.

Comme pour les générations précédentes, c’est surtout du côté de la photo et de la vidéo qu’Apple justifie cette déclinaison « Pro ». Les deux smartphones profitent ainsi d’un troisième module photo à l’arrière, permettant de profiter d’un module photo avec téléobjectif. Ils sont également dotés de nombreuses fonctions pour la vidéo. L’an dernier, le constructeur ajoutait un capteur LiDAR pour mieux scanner un environnement en 3D, ainsi qu’un nouveau mode ProRAW pour la photo. Les vidéos quant à elles profitaient d’un mode d’enregistrement en HDR 10 bits ou en Dolby Vision, en 4K à 60 FPS.

L’édito en vidéo

Mode Cinematic et ProRes sur iPhone

Sur cette nouvelle génération d’iPhone 13 Pro et 13 Pro Max, si on retrouve bien évidemment le ProRAW en photo, le LiDAR va également servir à un tout nouveau mode baptisé « Cinematic ». Il s’agit en fait d’une gestion logicielle de la mise au point avec un mode portrait à la volée comme le permettait déjà le mode photo.

L'iPhone 13 Pro
L’iPhone 13 Pro // Source : Apple

Les vidéastes vont donc pouvoir choisir sur quel sujet faire la mise au point en vidéo pendant l’enregistrement des séquences… mais aussi a posteriori. Apple a largement détaillé cette fonctionnalité, présente aussi bien sur les iPhones 13 que les iPhone 13 Pro, à grand renfort de clips promotionnelles avec la réalisatrice doublement oscarisée Kathryn Bigelow (Point Break, Démineurs, Zero Dark Thirty). De quoi mettre en avant des fonctions cinématographiques destinées aux professionnels de la vidéo sur ses nouveaux smartphones.

https://www.youtube.com/watch?v=c3CZX-lnAIc

Autre nouveauté mise en avant par Apple, la possibilité d’enregistrer des fichiers directement en Apple ProRes 4K à 30p sur les iPhone 13 Pro et 13 Pro Max. Lancé en 2007, ce codec permet d’enregistrer bien davantage d’informations qu’un fichier vidéo classique avec notamment le sous-échantillonnage en 4:2:2 10 bits et même l’enregistrement de fichiers vidéo RAW, plus faciles à gérer en post-production pour retoucher la luminosité ou la colorimétrie. Néanmoins, deux limites pointent le bout de leur nez avec l’arrivée de ce nouveau codec. D’abord, on ignore quelle version du ProRes sera prise en charge par les iPhone 13 Pro et 13 Pro Max (ProRes 422, ProRes 4444, ProRes RAW, etc.) et l’intégration du codec à l’enregistrement n’arrivera que dans un second temps, « plus tard dans l’année ».

L’absence de cartes mémoire rédhibitoire sur un plateau de tournage

Mais il ne s’agit pas là des seuls problèmes posés par les fonctions de ces iPhone 13 vendus comme étant destinés aux professionnels de la vidéo. L’une d’entre elles vient notamment de la grande complication qu’apporterait l’utilisation d’un iPhone sur un plateau de tournage en termes de logistique. Certes, les smartphones d’Apple sont bien plus compacts que de véritables caméras cinéma, mais ils ont un problème de taille : l’absence de support de cartes mémoire. Contrairement aux caméras professionnelles où les cinéastes peuvent simplement retirer la carte mémoire pour en insérer une autre avant de passer à la séquence suivante, les iPhone 13 Pro imposent de vider le stockage du téléphone — et donc de le brancher — avant de passer à la suite.

« Une fois que ton téléphone est plein, tu ne peux plus tourner, et tu es obligé d’attendre de vider ton stockage pour passer à la séquence suivante et c’est rédhibitoire pour 90 % des professionnels », explique Anthony Wonner, réalisateur et monteur chez Frandroid. Un problème d’autant plus important qu’Apple a largement mis en avant l’arrivée du codec Apple ProRes, un codec souvent lourd à manier, avec une bande passante conséquente. À titre d’exemple, le ProRes 422 HQ (4:2:2 10 bits) monte à 220 Mo/s, soit 13,2 Go par minute de vidéo, le ProRes 4444 XQ (4:4:4:4 à 12 bits) monte à 495 Mo/s, soit 29,7 Go par minute.

La bosse avec ses trois caméras sur l’iPhone 13 Pro // Source : Apple

Apple a pris les devants en empêchant l’utilisation du ProRes sur les iPhone 13 Pro et 13 Pro Max avec un stockage de 128 Go seulement. Mais en prenant comme base le ProRes 422 HQ, le stockage d’un iPhone 13 Pro de 256 Go sera rempli en un peu plus de 19 minutes, sans même compter le poids des autres fichiers.

C’est d’autant plus gênant que dans le cadre d’une fiction, pour un film de 90 minutes, l’équipe tourne en moyenne 64 h de rush, nous indique Anthony Wonner : « Ça varie énormément selon le tournage, des moyens mis en place, du budget, de la préparation, mais c’est généralement 16 jours de tournage pour une production de moyenne envergure, avec 4 heures de tournage par jour ».

Pour l’heure, comme on l’a vu, Apple n’a pas encore communiqué sur la version du codec ProRes qui sera utilisée sur les iPhone 13. Mais comme le nom du codec — Apple ProRes — le suggère, la firme de Cupertino reste maîtresse de cette norme. On peut dès lors imaginer que la firme lance une nouvelle version du codec ProRes, plus légère et moins qualitative, spécialement conçue pour l’enregistrement sur les iPhone. « Je ne serais pas étonné que ça soit un 4:2:2 encore plus compressé, voire du 4:2:0 8 bits, dégradé par rapport aux versions actuelles », suggère Anthony Wonner.

Un mode manuel toujours aux abonnés absents

Surtout, pour notre réalisateur, le plus gros souci est le sens des priorités d’Apple pour s’adresser aux professionnels de la vidéo : « Le ProRes existe pour faciliter la post-production, mais il y a une incohérence à le proposer sur iPhone avant le mode manuel, puisqu’on se retrouve avec un fichier avec une balance des blancs qui va fluctuer constamment en l’absence de mode manuel ». Il faut dire que l’application Camera de l’iPhone ne permet toujours pas de capturer des photos ou des vidéos en mode manuel. Impossible donc de gérer finement la sensibilité, de régler la vitesse d’obturation ou même de toucher à la balance des blancs. Pour cela, les utilisateurs doivent passer par des applications tierces comme FiLMiC Pro. Mais là encore, problème : on ignore encore si Apple proposera bel et bien l’enregistrement en ProRes sur des applications tierces.

C’est cette absence de mode manuel sur l’application Camera qui peut véritablement pénaliser les vidéastes professionnels ou semi-pro, nous indique Anthony Wonner : « Si tu veux communiquer sur un appareil pour les pros de la vidéo, la première chose à faire, c’est de proposer un mode manuel ». Un avis partagé par le YouTubeur Hardisk, spécialisé dans la vidéo. « Sur la séquence de Kathryn Bigelow, sans aller image par image, on voit que les vidéos ont des problèmes. On voit qu’il y a du bruit dans les noirs, que les blancs sont brûlés », nous confie-t-il.

Pour le vidéaste, le problème principal des iPhone 13 reste la trop petite taille de leur capteur photo, qui rend leur usage compliqué dans un cadre professionnel : « À moins d’évolutions technologiques majeures, il y a un souci pour la vidéo sur smartphone en général, c’est que le capteur est tout petit. On ne peut pas lui faire rentrer de la lumière à l’infini ».

L’iPhone comme accessoire ou caméra secondaire

Hardisk se veut néanmoins optimiste quant à l’utilisation d’iPhone 13 Pro ou 13 Pro Max sur des plateaux de tournage : « Apple peut proposer des fonctions qui ajoutent des choses au workflow des professionnels comme le gyroscope de l’iPhone pour suivre les mouvements de la caméra ou l’utilisation du LiDAR pour exporter les données de profondeur ». Selon lui, le smartphone peut également être utilisé pour la prise de vue comme caméra secondaire, mais il n’imagine pas des iPhone 13 Pro remplacer des Sony A7S III ou des Arri Alexa : « En tant qu’accessoire c’est l’un des meilleurs. Ça peut être un appareil de prise de vue annexe, c’est un bel outil, mais pas destiné à remplacer des caméras professionnelles ». Un argument que met également en avant Anthony Wonner : « il y a des applications professionnelles avec le Lidar qui permettent de modéliser des objets 3D. C’est intéressant, mais en termes de captation c’est limité ».

Reste que du côté d’Apple, comme chez les constructeurs d’appareils photo, l’orientation est peu à peu passée de la photo à la vidéo. Aujourd’hui, ce sont bel et bien les séquences vidéo qui permettent d’appuyer l’argument « Pro » des iPhone 13 Pro et 13 Pro Max. Seulement, en l’état, sans mode manuel, avec de si petits capteurs et sans support des cartes mémoire, on n’est pas près de voir des iPhone remplacer des caméras Red sur des plateaux de tournage.