Le business le plus rentable de Tesla est en danger de mort

 
Tesla est sur le point de perdre sa poule aux œufs d’or : la vente des crédits carbone. La rentabilité entière de l’entreprise est remise en cause sur le long terme par une évolution des lois aux États-Unis et en Europe.
Usine Tesla, pour illustration

Pendant des années, Tesla a construit sa légende et sa rentabilité sur un secret bien gardé du grand public : les crédits carbone. Une rente invisible, presque magique, générée non pas par ses voitures, mais par celles des autres. Un business juteux, sans coût de production réel, et pourtant vital pour les comptes du constructeur. Mais ce pilier, aujourd’hui, vacille sérieusement.

Crédits carbone : la poule aux œufs d’or de Tesla

Ce n’est pas nouveau. Tesla n’a pas bâti sa rentabilité uniquement sur la vente de Model 3 ou de Model Y. Dès ses débuts, la marque a profité à plein du système américain d’échange de crédits d’émissions. Le principe ? Les constructeurs qui dépassent les normes d’émissions de CO₂ (en vendant « trop » de voitures polluantes) peuvent acheter des crédits à ceux qui sont vertueux. Et Tesla, en tant que constructeur 100 % électrique, a toujours eu une montagne de crédits à revendre.

Résultat : en 2020, Tesla générait plus de 1,5 milliard de dollars grâce à cette ligne. Un jackpot quasi gratuit, sans usines ni matières premières. À tel point que plusieurs trimestres bénéficiaires n’auraient pas existé sans cette ligne magique dans les bilans. Mais voilà, les choses changent. Brutalement.

Un effondrement en temps réel

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au deuxième trimestre 2025, Tesla a engrangé 439 millions de dollars de revenus liés aux crédits carbone. C’est presque deux fois moins qu’à la même période l’année précédente (890 millions), et la cinquième baisse consécutive en un an.

TrimestreRevenus crédits carbone (en M$)
Q2 2024890
Q3 2024739
Q4 2024692
Q1 2025595
Q2 2025439

Les raisons de cette chute sont multiples, mais une décision politique en particulier va tout précipiter : la suppression des amendes liées aux normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) aux États-Unis, adoptée sous l’impulsion de l’administration Trump début juillet.

Concrètement, les constructeurs thermiques n’ont plus besoin d’acheter de crédits pour éviter des pénalités aux États-Unis. La demande de ces crédits va donc s’effondrer.

Des analystes comme ceux de William Blair estiment que 75 % des revenus de crédits de Tesla venaient de ces seules normes CAFE. Leur disparition rebat complètement les cartes. Les projections évoquent déjà une baisse à 1,5 milliard de dollars sur l’année 2025, puis 595 millions en 2026, avant une disparition complète du revenu en 2027.

Tesla : une dépendance qui devient un fardeau

Ce déclin n’est pas qu’un détail comptable. Il révèle une faiblesse structurelle dans le modèle économique de Tesla. Car malgré sa valorisation toujours démesurée à Wall Street, l’entreprise peine à maintenir des marges nettes solides, en particulier depuis l’effondrement des prix de ses modèles. Elle est aujourd’hui coincée dans une logique de volume et de réduction tarifaire, au détriment de la rentabilité par unité.

Les bénéfices de Tesla avec les crédits CO2 (en bleu) et sans (en rouge)

Sans les crédits carbone, Tesla aurait été déficitaire au premier trimestre 2025, selon Reuters. Bonne nouvelle, toutefois : sur le second semestre 2025, Tesla reste bénéficiaire, même sans ces crédits.

Mais Elon Musk ne cherche même plus à masquer la gravité de la situation. Lors de l’annonce des résultats du second trimestre 2025, il a averti que les prochains trimestres pourraient être « difficiles », notamment à cause des changements réglementaires qui affectent directement la vente de crédits.

L’Europe comme dernier bastion… mais pour combien de temps ?

Il serait toutefois exagéré de décréter la mort immédiate de ce business. Car au-delà des États-Unis, Tesla continue de vendre des crédits carbone en Europe, où un marché similaire existe à travers les mécanismes de la directive CO₂ sur les flottes de véhicules neufs. En clair, les constructeurs qui dépassent les limites imposées doivent compenser, souvent en achetant des crédits à des groupes comme Tesla.

Mais même ce dernier refuge pourrait bientôt perdre en valeur. D’une part, la part de marché des véhicules électriques augmente en Europe, ce qui réduit mécaniquement le besoin en crédits. D’autre part, les grands groupes comme Stellantis, Volkswagen ou Hyundai ont désormais leurs propres gammes électriques capables de s’approcher des quotas CO₂ sans passer par la case « rachat ».

Usine BYD au Brésil // Source : BYD

Et surtout, Tesla n’est plus seul sur ce créneau. Des constructeurs comme Rivian ou Lucid aux États-Unis, ou des marques chinoises comme BYD en Europe, sont eux aussi éligibles à la vente de crédits. Une concurrence nouvelle qui fait mécaniquement baisser la valeur unitaire des crédits sur le marché secondaire.

De plus, l’Europe laisse finalement plus de temps que prévu aux constructeurs auto pour se mettre en conformité. Ce qui ne fait pas les affaires de Tesla.

Le modèle Tesla peut-il survivre sans ses béquilles ?

C’est toute la question. Oui, Tesla vend toujours pour plus de 22 milliards de dollars par trimestre. Oui, son réseau de Superchargeurs, majoritairement ouvert à la concurrence, est en croissance et devient un pilier stratégique. Mais cela suffira-t-il à compenser la fin programmée de cette rente carbone ?

À court terme, probablement pas. Le ralentissement du marché des voitures électriques aux États-Unis, combiné à une gamme vieillissante (Model 3 et Model Y restylées, Model YL allongée, mais pas encore de vraie nouveauté face aux chinois) et à des marges sous pression, rend le contexte particulièrement délicat.

Tesla Model YL // Source : Tesla Chine

Même le très attendu modèle abordable (Model Q finalement Model Y allégé), dont la production vient tout juste de commencer, risque de ne pas suffire à recréer un levier de rentabilité immédiat, tant les marges seront étroites.

Un virage historique pour Tesla

En creux, c’est une page qui se tourne. Le business model qui a permis à Tesla de survivre puis de triompher pendant plus d’une décennie touche à sa fin. Les crédits carbone ont été une arme économique, une ressource gratuite monétisée avec une efficacité redoutable.

Leur disparition n’est pas anecdotique : elle marque le passage de Tesla d’un modèle dopé par des effets d’aubaine à une entreprise qui doit désormais s’en remettre à sa seule force commerciale.

Si Tesla veut garder sa place de leader, il va lui falloir réinventer sa stratégie, ses produits et sa rentabilité.