
Le 28 avril dernier, l’Espagne et le Portugal ainsi qu’une partie du Pays-Basque en France plongeaient brutalement dans le noir, subissant un blackout historique. De quoi soulever des interrogations sur la robustesse du réseau électrique ibérique, fortement engagé dans une transition énergétique axée sur les énergies renouvelables, en particulier via des panneaux solaires et des éoliennes.
Cependant, le rapport tant attendu du gouvernement espagnol, présenté ce 17 juin par la ministre de la Transition écologique, Sara Aagesen, vient bouleverser cette lecture simpliste et clarifier les véritables causes de cette crise sans précédent.
Exit définitivement l’hypothèse d’une cyberattaque, pourtant largement relayée dans les premiers instants du chaos électrique.
Les experts mandatés par le gouvernement ont identifié sans ambiguïté la responsabilité du gestionnaire de réseau REE (l’équivalent de RTE en France) et les générateurs conventionnels (centrales à gaz, charbon et nucléaires) du réseau électrique, excluant ainsi toute mise en cause directe des sources renouvelables, solaires et éoliennes.
Les trois causes qui ont conduit au black-out
Le gouvernement a en effet annoncé que les trois causes principales étaient :
- Un manque de moyens de contrôle de la tension (en volts) sur le réseau électrique qui a conduit à des surtensions
- Des oscillations imprévues de la fréquence (en Hz) du réseau électrique qui a aggravé le phénomènes
- Des déconnexions imprévues et en cascade de centrales électriques du réseau
Dans ce rapport approfondi de près de 200 pages, l’origine de la panne est attribuée à une combinaison critique de facteurs techniques : principalement, une « capacité insuffisante de contrôle de la tension », exacerbée par des choix de gestion discutables du gestionnaire du réseau électrique espagnol REE.
Précisons que les réseaux électriques doivent en permanence gérer la tension (en volts) et la fréquence (en Hz) afin d’éviter les dérives de ces deux valeurs, qui peuvent soit endommager les appareils électriques, soit carrément les installations de production, conduisant au black-out.
La veille du fameux blackout, une centrale électrique thermique avait clairement communiqué son indisponibilité à REE, incapable d’aider la stabilité du réseau espagnol pour la journée du 28 avril. REE n’a alors pas jugé nécessaire de mobiliser une unité de remplacement.
Le lendemain, le 28 avril, plusieurs centrales conventionnelles, notamment nucléaires et au gaz, prévues pour stabiliser la tension du réseau, ont échoué à répondre adéquatement aux consignes de REE selon le gouvernement.
Selon Sara Aagesen, ces centrales « auraient dû contrôler la tension, d’autant plus que beaucoup d’entre elles étaient économiquement rémunérées pour le faire. Or, elles n’ont pas absorbé toute la puissance réactive attendue ».
Les centrales électriques se défendent
Attention toutefois, puisque les producteurs d’énergie et le gestionnaire REE se reanvoient la balle. Dans un communiqué transmis à l’AFP, l’Association des entreprises de l’énergie électrique (Aelec) affirme qu’ils ont « des preuves que les centrales de production des membres d’Aelec ont respecté les exigences réglementaires en matière de contrôle de tension (…) allant même jusqu’à fonctionner au-delà des obligations réglementaires pour contribuer à la stabilité du système électrique« .
Mais l’association espagnol reconnaît bien des défaillances sur le contrôle de la tension car REE « disposait de ressources suffisantes pour garantir le contrôle de la tension, y compris des centrales (…) qu’elle a néanmoins décidé de ne pas mettre à disposition« .
Dit autrement, selon l’Aelec, si REE avait demander à davantage de centrales thermiques d’être actives sur la journée du 28 avril, alors le black-out n’aurait pas eu lieu selon l’association. Le réseau électrique espagnol manquait de moyen pour contrôler la tension en temps réel.
« Une réaction en chaîne incontrolable »
Par manque de chance, simultanément, des oscillations inhabituelles de fréquence sont apparues, nécessitant des mesures d’urgence de la part de REE.


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Dit autrement, la fréquence (50 Hz en Europe) du réseau s’est mise à varier au-delà des limites techniques acceptables par les appareils électriques et les centrales. Il a donc fallu stabiliser cette fréquence.

Le problème, c’est que ces interventions d’atténuation ont eu pour effet secondaire d’accroitre la tension électrique (en volts), précipitant les dysfonctionnements.
Pour remédier à ces oscillations de fréquence, REE a demandé vers 12h20 à une 10ème centrale de se mettre en route. Problème : elle devait mettre 90 minutes pour se synchroniser avec le réseau. Le blackout interviendra à 12h32, lorsque la tension a tellement augmenté sur le réseau que plusieurs centrales se sont automatiquement déconnectées, entraînant une perte soudaine de génération et une désynchronisation.
Ce qui a entraîné une chute de fréquence, une perte de synchronisation avec la France et une panne totale du réseau électrique espagnol.
Précisons que le rapport donne des hypothèses quant à la cause de ces oscillations de fréquence. La première (12h03) ne serait pas propre à l’Espagne puisqu’elle se retrouve sur le reste du réseau européen et aurait pu être créée par un déséquilibre du système européen.
Quant à la seconde (12h19), elle pourrait encore une fois provenir du réseau européen, mais aggravée par la situation causée par la première oscillation, le manque de centrales actives pour gérer la tension, la faible puissance du lien avec la France et le nombre de centrales solaires et d’éoliennes en service à ce moment précis.
Le rôle du solaire et des éoliennes
Et justement, quel est le rôle des énergies renouvelables dans tout ça ? Particulièrement pointées du doigt dans les premiers jours de la crise, le rapport apporte un démenti clair et net et donne des précisions.
Le communiqué conjoint de cinq grandes organisations professionnelles du secteur des renouvelables, dont Solar Power Europe, met en avant que le rapport confirme explicitement que les installations solaires et éoliennes « n’ont en aucune manière contribué à l’incident ».

Ces organisations soulignent également que ce blackout démontre la nécessité impérative d’une meilleure intégration des technologies renouvelables au réseau, accompagnée de mécanismes renforcés de gestion et de régulation pour assurer une transition énergétique à la fois ambitieuse et fiable.
Cependant, le rapport du comité révèle un point critique : bien que les installations solaires photovoltaïques disposent déjà de la capacité technique d’aider à contrôler la tension du réseau, la réglementation espagnole actuelle ne permet pas leur utilisation effective.
Souvent, on lit que les énergies renouvelables déstabilisent le réseau. Mais des systèmes existent, notamment via l’onduleur. Ce dernier sert à convertir le courant continu produit par les panneaux solaires en courant alternatif pour le réinjecter sur le réseau. Mais il peut aussi gérer la tension de sortie, pour aider à stabiliser la tension du réseau électrique.
REE souligne que si les énergies renouvelables avaient pu aider au contrôle de la tension, l’incident aurait pu être atténué.
L’impossibilité d’utiliser cette technique en Espagne témoigne d’un véritable retard réglementaire face aux avancées technologiques disponibles. Les acteurs du secteur appellent donc à accélérer les investissements dans la résilience du réseau et la flexibilité du système, notamment grâce à la capacité des onduleurs à stabiliser la tension du réseau et au stockage par batteries. De quoi permettre de se rapprocher des avantages d’une centrale thermique.
Ces technologies, déjà disponibles, sont essentielles pour maintenir des niveaux de tension stables et gérer la variabilité des sources renouvelables.
Mais le rapport ne dit pas tout
Attention toutefois : REE a, depuis la publication du rapport, tenu une conférence de presse, comme le rapporte PV Magazine. Selon le gestionnaire du réseau, la première oscillation trouverait son origine dans la panne d’une ferme solaire appartenant à Iberdrola et située dans la province de Badajoz.
Selon les sources d’ElDiario, la cause de la panne de la ferme solaire serait « le dysfonctionnement d’un contrôle interne ou une anomalie interne de la centrale, que le propriétaire doit clarifier« . Aucune autre centrale solaire n’a eu ce problème en Espagne lors de l’évènement.
REE précise également que le blackout n’aurait pas eu lieu si les 9 centrales thermiques en service avaient respecté les engagements de contrôle de la tension.
Le black-out provient donc bien d’un enchaînement de situations imprévues. REE indique que le dysfonctionnement de la centrale solaire n’est pas la seule cause de la panne, mais qu’il a pu être le point de départ des événements.
22 % des installations renouvelables ne respectaient pas le facteur de puissance
Le rapport du gouvernement pointe aussi du doigt que sur les 850 installations renouvelables analysées au moment du blackout du 28 avril, près de 22 % ne respectaient pas les critères réglementaires relatifs au facteur de puissance.
Un manquement partiellement imputable à l’effet capacitif des infrastructures d’énergie renouvelable à des niveaux faibles de production. Dit autrement, lorsque les éoliennes ou panneaux solaires produisent peu (à cause de la météo par exemple), ils renvoient quand même de l’énergie « parasite » dans le réseau (renvoi de puissance réactive), augmentant alors inutilement la tension. Ce qui aurait ainsi amplifié le problème déjà présent sur le réseau.
Le problème peut toutefois être réglé en installant du matériel capable de rééquilibrer le courant en sortie des installations d’énergie renouvelable.
Ce constat appelle alors à une révision des pratiques opérationnelles et réglementaires pour tirer pleinement profit des capacités offertes par les énergies renouvelables. Les énergies renouvelables ont donc pu fragiliser la stabilité du réseau.
Les mesures proposées par le rapport
Le rapport propose justement des mesures urgentes, dont l’accroissement de la capacité d’interconnexion électrique avec la France, un dossier jugé prioritaire pour assurer une stabilité accrue du réseau électrique européen face aux crises futures. Justement, un long câble électrique est en construction, reliant le poste de Cubnezais près de Bordeaux et le poste de Gatika près de Bilbao.
D’autres mesures sont proposées, comme une hausse de l’électrification des usages (chauffage, mobilité, industrie, etc.) pour augmenter la demande et réduire les risques de surtensions lorsque la demande est faible.
La possibilité pour les énergies renouvelables d’aider à stabiliser la tension du réseau est également mis sur la table par le rapport.
Pour résumer, « ce blackout reflète un échec critique du système électrique espagnol, non pas en raison d’un manque de capacité installée, mais en raison d’une mauvaise gestion des ressources énergétiques disponibles et d’un déficit de responsabilité dans l’exploitation du réseau », a résumé Ramdas, expert cité par Reuters.

On ne peut donc pas dire que l’Espagne a trop d’énergie renouvelables, ou pas assez de centrales thermiques, puisque comme on l’a vu, c’est « une réaction en chaîne incontrôlable » comme l’annonçait le gouvernement. Incontrôlable, certes, mais qui pouvait être mieux anticipé.
L’autorité espagnole de régulation énergétique, désormais chargée d’identifier précisément les responsabilités et les éventuelles compensations dues, devra certainement revoir en profondeur les procédures d’urgence et de gestion de crise du réseau électrique national.
Cet épisode marquant agit donc comme un révélateur puissant des défis majeurs que doit relever le secteur énergétique européen : accompagner une montée en puissance des énergies renouvelables tout en investissant massivement dans des infrastructures capables d’assurer la stabilité et la résilience nécessaires à cette transition. L’Espagne en paie aujourd’hui le prix fort, mais la leçon pourrait bien profiter à l’ensemble du continent.
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