J’étais à Monaco pour la course de Formule E avec la recharge en 30 secondes : j’ai été bluffé par la technologie de ces voitures électriques

 
La Formule E, championnat de monoplaces électriques, a récemment posé ses valises à Monaco. Nous avons pu passer le week-end en immersion avec l’équipe DS Penske, de quoi en savoir plus sur les dessous de cette compétition et de ces voitures électriques hors du commun, capables de se recharger aussi vite qu’elles n’accélèrent.
Formula E / E-Prix de Monaco 2025 // Source : DPPI

Les voitures électriques s’immiscent dans toutes les strates de l’automobile, y compris celle de la compétition. Dans ce domaine, c’est bien la Formule E qui, depuis 2014, fait office de porte-drapeau.

Onze ans et trois générations de monoplaces plus tard, où en est le championnat ? Comment se déroule un week-end de compétition au sein d’une équipe ? Pour en savoir plus, nous nous sommes plongés en immersion dans la team DS Penske lors du E-Prix de Monaco.

Un rappel sur la Formule E

Aujourd’hui dans sa onzième saison, le championnat de Formule E n’a plus grand chose à voir avec ses débuts. Fini, les échanges de monoplaces à mi-course par manque d’autonomie ; terminé, les circuits urbains étriqués ; au placard, les performances timides.

De la frêle Gen1… // Source : FIA – Formula E

Place à des monoplaces puissantes, des circuits bien plus intéressants… et des nouveautés stratégiques pour cette saison 11, notamment le « Pit Boost », une recharge capable de récupérer 10 % de la batterie en 30 secondes grâce à une puissance de 600 kW.

…à l’impressionnante Gen3 EVO // Source : FIA – Formula E

Nous étions allés à Djeddah découvrir cette nouvelle brique d’une course déjà très tactique, mais cette nouvelle excursion nous a permis de mieux comprendre de l’intérieur un week-end de course – ici à Monaco, lieu des 6° et 7° manches du championnat.

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Cette saison voit s’affronter 22 pilotes répartis dans 11 équipes, le long de 16 courses – 12 d’entre elles sont des « double headers », avec deux courses sur un week-end. Monaco fait partie d’eux, obligeant à un programme au chausse-pied : essais libres et qualifications le matin, course d’après-midi, et on recommence le lendemain.

Tracé du circuit // Source : Monaco Grand Prix

Dans ces courses, le pilote a un rôle particulièrement déterminant. En plus du pilotage – jamais évident à Monaco, avec une piste étroite et sans dégagement – il est en charge de remonter toutes les données de la voiture aux ingénieurs de piste, sans oublier la gestion, virage par virage, de l’intensité de la régénération. Les radios étant ouvertes à toutes les écuries, pilotes et équipe technique communiquent en langage codé.

Une monoplace commune aux équipes, un moteur Stellantis

Cette saison 2024/2025 voit également l’arrivée d’une évolution des monoplaces : les Gen3 Evo. Par rapport aux Gen3 « tout court », la majeure amélioration concerne l’arrivée d’un second moteur électrique.

La GEN3 Evo de la Formula E fait plein usage de son second moteur à l’avant.

Situé à l’avant, il offre aux monoplaces la possibilité d’avoir les quatre roues motrices en « Attack Mode », un des piliers de la stratégie en Formule E. Activable à deux reprises par course pour un total cumulé de 8 minutes, il débloque le moteur avant, de quoi rendre la voiture beaucoup plus puissante (+ 50 kW, soit 350 kW ou 470 ch cumulés) et plus rapide en sortie de virage grâce au grip accru. Dans ces conditions, le 0 à 100 km/h s’effectue en 1,86 seconde – plus rapide qu’une Formule 1, donc.

La vitesse de pointe peut titiller les 320 km/h ; pour le circuit urbain et tortueux de Monaco, « on peut monter à 260 km/h avec une vitesse moyenne de 130 km/h », nous confie Adrien Siegfried, Senior Performance Engineer et responsable technique de l’équipe DS Penske.

Formula E / E-Prix de Monaco // Source : FIA – Formula E

Et si le moteur avant est commun à l’ensemble des équipes (tout comme le châssis, la carrosserie, la batterie et les liaisons au sol), le développement du bloc arrière est confié à chacune équipe. Un sujet hautement sensible, donc, et les détails se font rares. Tout juste arriverons-nous à arracher un régime de rotation maximal fixé à 30 000 tr/min – bien plus que tout autre bloc de série, même si Xiaomi s’en approche avec le moteur V8s de la SU7 Ultra, qui atteint les 27 200 tr/min.

Autre développement spécifique à chaque équipe : le système de gestion d’énergie. Un autre point crucial, car la monoplace est capable de régénérer jusqu’à 600 kW vers la batterie de 38,5 kWh lors des freinages ; très concrètement, la moitié de l’énergie utilisée lors d’une course aura été générée par la voiture elle-même. La voiture bénéficie d’une architecture 900 volts et d’un recours copieux au carbure de silicium dans l’électronique de puissance, dans l’optique de maximiser les performances en limitant les pertes.

Stand DS Penske à Monaco // Source : Jean-Baptiste Passieux – Frandroid

Et si l’Attack Mode décrit plus haut permet de gagner en performances, la consommation s’en ressent forcément : « jusqu’à 35 % supplémentaires par tour », explique Adrien Siegfried. D’où l’intérêt du Pit Boost, où 3,8 kWh seront rechargés en 30 secondes depuis une batterie externe de 15,9 kWh, fournie par Fortescue Zero.

Évidemment, chaque écurie dispose de ses propres réglages, qu’elle modifie selon le circuit… et les conditions climatiques – à défaut des pneus Hankook, disponible en une seule monte, et dont les performances font manifestement grincer des dents dans les paddocks après de bien meilleurs Michelin des saisons 1 à 9.

La batterie utilisée pour le Pit Boost // Source : Jean-Baptiste Passieux – Frandroid

L’absence de communication entre les voitures et les ingénieurs de piste oblige à « télécharger » les réglages au stand, au moyen de « l’ombilical » – le surnom du câble qui relie les ordinateurs à la monoplace.

Évidemment, chaque monoplace évolue au fil de la saison, selon les spécificités du circuit, les retours des pilotes et des ingénieurs – « Tout le monde évolue », nous explique-t-on, avant d’ajouter dans un sourire entendu : « la question, c’est d’évoluer plus que les autres ».

Jean-Éric Vergne, un vétéran de la Formule E

Cette immersion au sein de l’équipe DS Penske fut également le moyen d’échanger avec Jean-Éric Vergne, un des deux pilotes français du championnat avec Norman Nato, chez Nissan. Sa voiture porte le numéro 25 – un choix qui ne laisse rien au hasard : « c’était mon numéro quand j’ai gagné mon 1° championnat de karting à 10 ans, c’était mon numéro en F1, et je suis né un 25 ».

Jean-Éric Vergne // Source : Jean-Baptiste Passieux – Frandroid

Un profil d’autant plus intéressant que « JEV », comme tout le monde l’appelle ici, est présent en Formule E depuis la saison 1 sans interruption. « J’y suis arrivé par manque de choix », reconnaît-il sans peine, « après la F1 [où il est resté trois saisons, NDLR], c’était une période assez compliquée. Ce qui m’a fait rester, c’est l’évolution du championnat et de la technologie des voitures, qui ont été incroyables. »

Une évolution qu’il juge n’être qu’à son début :  « je pense que [la Formule E] a encore pas mal de progression. La direction qu’est en train de prendre le championnat est la bonne de mon point de vue, mais je pense que la Formule E va être beaucoup plus grande dans les années à venir ».

Maximilian Günther, l’autre pilote de l’équipe DS Penske // Source : Jean-Baptiste Passieux – Frandroid

JEV fait ici référence aux monoplaces « Gen4 », qui arriveront pour la saison 2026-2027, et qui semblent le titiller : « je n’ai pas encore pu rouler avec, mais j’ai vu certaines simulations. J’ai vu les chiffres annoncés par nos ingénieurs, de ce que je comprends ça va vraiment être incroyable ». En effet, la FIA annonce des pneus Bridgestone à deux montes selon les conditions météo, 4 roues motrices permanentes, jusqu’à 600 kW (815 ch) de puissance et 700 kW de régénération : de quoi rendre la course encore plus intense.

Quant à l’équipe DS, qu’il suit depuis la saison 5, « on s’y sent bien ! Fidèle à Stellantis », ajoute-t-il, faisant référence à son implication dans le championnat d’endurance avec Peugeot. Deux disciplines très différentes, explique-t-il : « les courses de Formule E sont beaucoup plus compliquées pour le pilote à gérer. En endurance, c’est un peu plus les ingénieurs qui ont la main sur les stratégies, qui ont toute la vision de la course ; nous, on n’a pas grand chose à faire – si ce n’est aller vite et gérer un peu les pneus ».

Formula E / E-Prix de Monaco 2025 // Source : DPPI

Un championnat qu’il n’hésite cependant pas à égratigner, notamment à propos de l’Attack Mode, qu’il juge perfectible. Et d’imaginer : « Il faudrait trouver une règle pour rendre plus équitable [son] utilisation, qui est extrêmement important cette année vu qu’on a les quatre roues motrices. Trois fois en cinq courses, [je l’ai] utilisé juste avant l’arrivée d’une Safety Car. Donc je me retrouve avec 3-4 minutes d’attack mode non utilisable [le temps d’activation continue de défiler en cas de neutralisation de la course, NDLR]. Par rapport aux autres, ça fait une énorme différence. Il faudrait trouver une solution où [son] temps d’utilisation est figé pour qu’il ne soit pas gâché. »

Une course assez compliquée à comprendre

Après avoir musardé dans les paddocks, il est temps de regagner les tribunes pour assister à cet E-Prix de Monaco. À titre personnel, ma précédente expérience de la Formule E remontait en 2016, à Paris, lors d’une course qui m’avait laissé globalement froid.

Cette immersion dans l’équipe DS Penske a donc été l’occasion de découvrir les immenses progrès des courses de Formule E… mais aussi à quel point elles pouvaient être difficiles à suivre pour les néophytes.

Formula E / E-Prix de Monaco 2025 // Source : DPPI

En effet, entre les Attack Mode (deux par pilote et par course, soit 44 activations au total), les arrêts du Pit Boost et les (nombreux) incidents de piste, le classement ne cesse de bouger dans les 45 minutes de compétition.

Ajoutez à cela les nombreuses informations relayées par la data (énergie restante qui baisse, puis remonte à chaque virage, chronomètre de l’Attack Mode, pictogrammes divers et variés), et vous obtenez un cocktail assez vertigineux et finalement assez peu digeste pour le novice qui zapperait par inadvertance sur la course.

Cette première course fut, en parallèle, peu concluante pour DS Penske : JEV termine 12° et Maximilian Günther, l’autre pilote, 10° – grappillant donc un maigre petit point, toujours bon à prendre pour le classement général.

Formula E / E-Prix de Monaco // Source : FIA – Formula E

Les réglages de la monoplace n’ont pas satisfait grand monde ; les ingénieurs ont donc revu « la raideur des suspensions et la géométrie avec des infos des courses précédentes à Monaco qui avaient plutôt bien marché », nous confie Jean-Marc Finot, directeur de Stellantis Motorsport… « avant de tout mettre à la poubelle quand la pluie est arrivée ».

Car oui, il a beaucoup plu dimanche. Les coéquipiers DS tirent tout de même leurs épingles du jeu dans les qualifications, JEV et Max partant respectivement des 3° et 4° places. Est-ce parce que nous étions plus au courant des stratégies ? Est-ce parce que la course était plus intéressante (ou plus simple, car dénuée de Pit Boost) à suivre ? Toujours est-il que le plaisir était bien plus présent.

Formula E / E-Prix de Monaco 2025 // Source : DPPI

Dès le départ, Vergne réussit à se placer en tête du peloton, et utilise efficacement son premier Attack Mode pour creuser l’écart… avant qu’une Safety Car (un Porsche Taycan Turbo GT) soit activée pour un accrochage, permettant au peloton de le rattraper. Un choix difficile à comprendre, des événements similaires la veille n’ayant activé qu’un Full Course Yellow, sacrifiant les Attack Mode en cours mais conservant l’écart entre chaque participant.

Le reste de la course sera cruel pour le Français, mis à mal par sa volonté d’être performant lorsqu’il était en tête, qui a creusé un déficit d’énergie – sans compter que les réglages « pluie » de la monoplace ont affecté ses performances en fin de course, sur piste sèche. Il finira 6°, deux places devant Max.

Vous l’aurez compris : vécu de l’intérieur, cet E-Prix de Monaco nous a permis de comprendre un peu mieux les ficelles de ces courses aussi tactiques que technologiques. Une chose est sûre : on a hâte de vivre une course lorsque la Gen4 sera en piste. Rendez-vous en 2026 !


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