Pourquoi les objets connectés de sport sont un cadeau empoisonné pour Noël

 

De plus en plus d'objets connectés de sport ou de santé nécessitent de payer un abonnement mensuel pour accéder à l'ensemble des données mesurées… ou même pour fonctionner.

Le bracelet connecté Whoop
Le bracelet connecté Whoop // Source : Whoop

Il y a dix ans, pour utiliser un bracelet connecté, la procédure était relativement simple. Par exemple, pour un bracelet connecté Fitbit Flex, il vous suffisait de payer 99 euros en une fois, puis vous pouviez utiliser le bracelet aussi longtemps que vous le souhaitiez, tout en profitant de l’intégralité des fonctions proposées.

En 2023, si vous achetez un bracelet connecté Whoop sans écran, il vous faudra payer 30 euros… puis un abonnement de 264 euros par an. Et si un jour, vous décidez de ne plus payer cet abonnement, le bracelet connecté se transforme en simple bandeau en tissu, plastique et métal. Sans abonnement, vous ne pourrez plus accéder au suivi du sommeil, au décompte du nombre de pas ou au suivi de la fréquence cardiaque du bracelet… bref, aux fonctionnalités qui font du Whoop un bracelet connecté.

Entre ces deux extrêmes, il existe une large plage de produits ou d’applications avec plus ou moins de contraintes. Mais le secteur des applications de sport et des objets liés à la santé s’est trouvé une nouvelle vigueur avec les abonnements. On en trouve désormais aussi bien chez Apple que chez Strava, Withings, Oura, Whoop, Fitbit et même chez le constructeur chinois de montres connectées Mobvoi, pour le suivi avancé du sommeil.

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Des fonctions supplémentaires disponibles derrière des paywalls

Ces abonnements pour les produits de santé, de sport ou de bien-être ont progressivement émergé depuis cinq ans, notamment avec l’impulsion de Fitbit aux États-Unis. La marque, rachetée entre-temps par Google, lançait alors son abonnement « Fitbit Premium ». L’abonnement permet, pour un coût de 9 euros par mois, de profiter de certaines fonctionnalités plus avancées avec un score d’aptitude quotidienne, des suggestions d’exercice, un profil de dormeur avec un score détaillé du sommeil ou un rapport bien-être.

Un des menus accessibles avec l’abonnement Fitbit Premium propose des historiques (7 jours, 30 jours et 90 jours) de certains indicateurs clés de santé

Concrètement, les fonctionnalités proposées par Fitbit Premium viennent s’ajouter à celles qui étaient présentes dans l’application de base, sans abonnement, avant que Fitbit Premium ne soit lancé. Surtout, l’abonnement est un plus et n’est pas indispensable pour profiter d’un bracelet Fitbit Charge 6, d’une montre Fitbit Sense 2 ou d’une Google Pixel Watch 2. Ici, l’objectif de Fitbit est simplement de proposer davantage si vous êtes prêt à payer un peu plus, comme nous l’a indiqué le constructeur : « Fitbit Premium offre aux utilisateurs un service plus complet pour aller plus loin avec des analyses plus avancées et des mesures de santé plus approfondies ».

C’est la même philosophie que l’on va également retrouver chez Withings qui a lancé, cette année, son propre abonnement Withings+. Ici, le paiement mensuel va donner accès à des programmes d’entraînement sportif ou à des plans nutritionnels avec des recettes, des fonctions qui n’étaient jusqu’à présent pas proposées par l’application Withings. Et là encore, il n’a pas été question, pour Fitbit, de faire passer derrière un paywall des fonctions proposées gratuitement — ou tout du moins avec le simple achat d’une montre — par le passé. Même sans abonnement Withings+, les utilisateurs ont accès à leur historique d’électrocardiogramme, au nombre de pas parcourus dans la journée ou à leur historique de fréquence cardiaque, comme nous l’a expliqué le constructeur français :

L’application Withings conserve son ADN des premiers jours : centraliser, fournir des tendances et rendre intelligibles toutes les données de santé mesurées par nos dispositifs de santé. Notre offre de service [NDLR : l’abonnement Withings+] est basée sur l’accompagnement de nos utilisateurs dans leur progression vers une meilleure santé et qui requiert une autre expertise que celle que nous possédions déjà après 15 ans dans le domaine.

L’état d’esprit semble similaire du côté de Mobvoi. Le constructeur chinois derrière les montres connectées TicWatch a lancé, il y a un an, son propre service d’abonnement pour le suivi du sommeil : Mobvoi VIP. Là encore, l’idée est de conserver les fonctions de santé de base existantes pour les utilisateurs non abonnés, mais d’ajouter des fonctions d’aide au sommeil (analyse précise des phases, chansons pour s’endormir, recommandations basées sur l’IA) aux utilisateurs payant un abonnement de 5 dollars par mois.

Les objets connectés qui nécessitent forcément un abonnement

Jusqu’à récemment, les services « Premium », « Plus » ou « VIP » mis en avant par les constructeurs conservaient une part de raisonnable. Certes, il fallait payer chaque mois pour accéder à certaines fonctionnalités d’un produit pourtant acheté, mais, même sans abonnement, l’essentiel des fonctionnalités restait accessible.

Les entraînements Peloton nécessitent un abonnement mensuel
Les entraînements Peloton nécessitent un abonnement mensuel // Source : Peloton

Il y a cependant un domaine dans lequel, dès les tout débuts, le modèle a été conçu avec l’abonnement en tête : celui des home trainers, des vélos d’appartement et des tapis roulants. Aux États-Unis, la marque Peloton s’est lancée en 2012 avec un modèle économique précis : proposer un vélo d’appartement connecté avec un écran et des cours dédiés. Si le vélo est déjà proposé à un tarif élevé de plus de 1000 euros, les fonctions connectées sont en plus soumises à un abonnement Peloton All Access de 40 euros par mois.

Derrière Peloton, on a vu apparaître d’autres produits orientés sport et santé qui nécessitent un abonnement pour fonctionner. En 2015, la marque Zwift — qui propose un jeu pour vélo d’intérieur et des accessoires à fixer au guidon pour interagir — nécessite elle aussi un abonnement pour accéder à son service. Comme nous l’a souligné l’éditeur, « il a toujours été indiqué que l’intention était de proposer le jeu comme service payant », même s’il est possible de résilier son abonnement « sans rien perdre de sa progression dans le jeu ».

Vendues 99 euros, les commandes Zwift Play ne pourront être utilisées que tant que vous continuez à payer un abonnement
Vendues 99 euros, les commandes Zwift Play ne pourront être utilisées que tant que vous continuez à payer un abonnement // Source : Zwift

C’est le cas également du pionnier des bagues connectées de santé : Oura. Après avoir acheté une bague connectée Oura de 330 à 600 euros, les utilisateurs doivent continuer de débourser, chaque mois, un abonnement de six euros. Sans cet abonnement, la bague mesure toujours la fréquence cardiaque ou à suivre votre sommeil, mais les utilisateurs ne peuvent pas accéder à ces données précises. Seuls les trois scores (activité, préparation et sommeil) sont consultables, sans possibilité d’accéder à des données plus précises.

La Oura Ring 3 pour illustration
La Oura Ring 3 pour illustration // Source : Oura

C’est sans doute avec la marque Whoop que la logique de l’abonnement a atteint son paroxysme. Le constructeur américain propose des bracelets connectés en tissus et sans écran, avec un capteur de fréquence cardiaque intégré dans une boucle. L’idée est ainsi de fournir un appareil qui ne soit pas aussi invasif qu’une montre, avec une meilleure autonomie et, surtout, des recommandations accessibles sur le smartphone.

Le bracelet connecté Whoop
Le bracelet connecté Whoop // Source : Whoop

Pour le Whoop 4.0, avec un premier prix de 30 euros, on pourrait se dire qu’on a affaire à un bracelet connecté vraiment pas cher. Le souci, c’est que pour accéder aux données mesurées, il vous faudra, encore une fois, payer un abonnement de 30 euros chaque mois. En fait, on ne paie pas le produit, mais bel et bien l’abonnement. Certes, ça coûte 30 euros le premier mois, mais chaque mois, le prix du bracelet va grimper. En deux ans d’utilisation, et avec l’abonnement 24 mois, on aura déjà payé 444 euros. Et au bout de six ans d’utilisation, la facture sera montée à 1332 euros.

Si on ne conserve pas l’abonnement, alors l’application ne sera plus accessible, le compte Whoop sera fermé et le bracelet ne sera plus qu’un bout de tissus et de plastique. Dans les faits, on est davantage dans un système de location que d’achat avec abonnement supplémentaire.

Les applications aussi se mettent aux abonnements

Forcément, pourquoi s’arrêter aux produits quand les abonnements peuvent aussi exister dans les applications pour smartphone ? Il faut dire que ce modèle économique a su émerger pour le streaming de musique ou la sVOD. C’est donc logiquement que les développeurs l’ont adapté à leurs applications de sport et de santé, même sans appareils liés.

Les fonctions proposées avec l'abonnement Strava
Les fonctions proposées avec l’abonnement Strava // Source : Strava

Là aussi, tous les abonnements ne se valent pas. Prenons l’exemple de Strava, le réseau social leader dans le suivi des entraînements de course à pied lancé en 2009. Neuf ans plus tard, en 2018, Strava lançait Summit, son abonnement mensuel pour les utilisateurs. Les fonctions principales du réseau social restent en place, mais le forfait mensuel permet depuis, pour 5 euros par mois, de profiter de fonctions supplémentaires comme l’historique d’entraînement, la courbe de fitness ou la création d’itinéraires.

Dans le cas d’une application comme Strava — sans publicité — cet abonnement constitue le seul modèle économique proposé. On ne peut y voir donc qu’un avantage pour les utilisateurs qui souhaiteraient accéder à des fonctions plus poussées, au-delà de l’aspect social de l’application.

Fitness+ sur l’Apple TV // Source : Frandroid

Bien évidemment, les géants des technologies ne sont pas en reste, à commencer par Apple. Après ses services de musique (Apple Music) ou de sVOD (Apple TV+), le constructeur a prolongé son immersion dans les offres de services avec Apple Fitness+, lancé en 2020. Là aussi, l’application est loin d’être indispensable pour profiter pleinement des données de sport ou de santé des montres Apple Watch. Néanmoins, elle va permettre de bénéficier de fonctionnalités supplémentaires, notamment via des cours ou des entraînements en vidéo, pour un prix de 10 euros par mois.

Des abonnements qui rassurent les constructeurs

Au bout du compte, ces différents forfaits et abonnements finissent par s’accumuler. Surtout qu’il s’agit rarement des seuls services auxquels les utilisateurs souscrivent avec un paiement mensuel. Sans parler de l’abonnement téléphonique, on peut notamment citer les abonnements de musique en streaming ou les offres de sVOD.

Pourtant, pour les constructeurs, ces abonnements mensuels représentent un intérêt de taille : celui de la sécurité financière.

Le problème avec les appareils électroniques, surtout pour ceux qui sont conçus pour durer, c’est qu’après leur vente, les constructeurs ne touchent plus d’argent. Or, pour un secteur où le taux de renouvellement des appareils est relativement faible et où les utilisateurs continuent à profiter des fonctionnalités des mois, voire des années durant, l’abonnement prend tout son sens.

Une fois vendue, une Huawei Watch GT 4 ne rapporte plus d'argent au constructeur
Une fois vendue, une Huawei Watch GT 4 ne rapporte plus d’argent au constructeur // Source : Chloé Pertuis – Frandroid

Avec ces souscriptions, les constructeurs peuvent profiter d’une entrée d’argent non seulement régulière, mais également prévisible. C’est là le nerf de la guerre. Pas besoin d’espérer vendre 5 millions d’exemplaires du prochain modèle de montre afin d’assurer la pérennité de l’entreprise, puisqu’on sait que 20 millions de clients actuels vont déjà payer chacun un total de 120 euros par an. Comme l’indiquait l’homme d’affaires Jouko Ahvenainen sur Medium en janvier 2022 :

Les investisseurs (en particulier ceux derrière Whoop et Oura) adorent l’idée. Les investisseurs et l’ensemble de la Silicon Valley adorent les revenus récurrents mensuels (MRR). Certains disent que les investisseurs ont un fétichisme des MRR. Un MRR est la meilleure façon pour une entreprise d’être hautement valorisée.

Pour Withings, cet abonnement a également permis de mettre en place des équipes supplémentaires au sein de l’entreprise française, et donc de se développer. De quoi justifier le fait que Withings+ soit une offre payante : « Tout comme le hardware, ceci nous a demandé de créer une tout autre branche où tout était à construire, et donc d’agrandir et de dédier une équipe ainsi que de faire appel à des experts santé ».

Un modèle plus traditionnel chez les gros acteurs

Face à ces données ou programmes disponibles par abonnement, d’autres marques proposent un modèle économique différent, plus traditionnel dans le secteur de la vente : une fois le produit vendu, l’utilisateur pourra accéder à l’ensemble des fonctionnalités. Sans surprise, c’est le modèle adopté par les gros constructeurs qui ont dépassé depuis longtemps le statut de startup — et qui ont donc les reins suffisamment solides pour ne pas nécessiter d’investissements — qu’il s’agisse de Garmin, de Samsung ou de Huawei.

C’est ce que m’a confié Frédéric Saint-Étienne, responsable communication de Garmin France : « C’est un autre modèle économique de leur côté, un peu comme les Nespresso : on te fait payer la cafetière à un faible tarif, mais tu paies les capsules au prix fort. Chez Garmin, les capsules sont gratuites ».

La frise de données de la Garmin Forerunner 965
La frise de données de la Garmin Forerunner 965 // Source : Chloé Pertuis – Frandroid

Certes, les montres Garmin sont généralement vendues au prix cher, mais le constructeur américain fournit pléthore de données dans son application Garmin Connect et même des programmes d’entraînement. Le tout sans que l’utilisateur ait à débourser le moindre centime supplémentaire :

Les montres sont un peu plus chères parce qu’il y a beaucoup de données mesurées, de recherche et développement, des boîtiers robustes… c’est un peu un contrat avec le client : acheter une Garmin permet de bénéficier des services qui y sont associés. Chez Garmin, même à moyen ou long terme, il n’y a pas de projet de mettre en place de fonction payante sur Garmin Connect.

Il en va de même chez Huawei, qui propose même des sessions d’entraînement animées directement consultables depuis ses montres connectées. Samsung, enfin, ne propose pas de plan d’entraînement spécifique, mais s’est allié depuis quelques années à plusieurs fournisseurs de programmes comme Blesslife, Keep, 300Fit, Bodybuilding ou Skimble. « Samsung ne soumet pas l’utilisation de ses produits et l’accès aux données de santé à un abonnement pour permettre aux possesseurs de produits Galaxy de profiter pleinement de l’expérience connectée Galaxy », nous a indiqué le constructeur :

L’idée est d’offrir l’expérience la plus simple et la plus intuitive à nos utilisateurs. L’application Samsung Health est notamment disponible par défaut sur nos produits Galaxy (Smartphone, Watch, Tablettes) pour permettre d’accompagner ce suivi santé et bien-être.

Qu’advient-il des produits une fois l’abonnement résilié ?

Au-delà du fait de devoir payer chaque mois, un autre problème de ce modèle par abonnement réside dans le devenir des appareils. Que ce soit chez Whoop, chez Oura ou chez Zwift, on l’a vu, ces dispositifs sportifs vont perdre tout ou (grande) partie de leurs fonctionnalités une fois l’abonnement résilié. Restera donc à l’utilisateur un bout de plastique, de tissu ou de métal qui ne lui servira plus à grand-chose.

Un utilisateur Oura sans abonnement n'aura plus accès qu'à trois scores
Un utilisateur Oura sans abonnement n’aura plus accès qu’à trois scores // Source : Oura

Chez Oura par exemple, sans abonnement, l’utilisateur n’aura accès qu’à trois scores, sans données détaillées ni conseils. Chez Whoop, l’application devient inaccessible. Et chez Zwift, le module de cyclisme reste accessible pour l’utilisateur, comme un vélo d’appartement traditionnel, mais sans possibilité d’accéder aux différentes fonctions du jeu.

Sur des montres ou des bracelets connectés classiques, il n’est pas rare que les utilisateurs se lassent passé un certain temps. Qu’ils ne les utilisent pas plus que ça et finissent par oublier de les recharger puis par les abandonner dans un tiroir. C’est déjà un problème en soi. Si on ajoute la contrainte de devoir payer chaque mois pour continuer à profiter de son appareil, le risque d’abandon est alors plus élevé encore.

Sans abonnement, un Whoop n'est plus qu'un bracelet en tissu au lourd bilan carbone
Sans abonnement, un Whoop n’est plus qu’un bracelet en tissu au lourd bilan carbone // Source : Whoop

Au-delà même du gaspillage économique, cette problématique n’est pas sans impact écologique. Un bracelet Whoop est conçu pour mesurer la fréquence cardiaque. À ce titre, il est doté d’un cardiofréquencemètre avec des éléments électroniques et son bilan carbone est bien plus élevé qu’un simple bracelet en tissu. Dès lors, ne pas fournir de service de retour ou de solution de recyclage une fois l’abonnement résilié vient ajouter un enjeu écologique à la question économique de l’utilisateur. Surtout que ni Oura, ni Zwift, ni Whoop ne proposent d’abonnement « à vie » où l’utilisateur viendrait à payer en une seule fois pour accéder au service durant cinq, dix ou vingt ans — un véritable abonnement à vie serait illusoire, puisque le service peut être amené à fermer dans le futur. À défaut, on se contentera donc de la possibilité proposée par ces constructeurs de renvoyer les appareils sous trente jours après leur achat.

Enfin, s’investir dans un tel écosystème, en versant des centaines d’euros par abonnement chaque année, vient également enfermer les consommateurs dans un écosystème. Un utilisateur de bracelet Whoop qui l’aura utilisé durant deux ans, pour un prix de 444 euros, aura stocké autant de données dans l’application et aura donc logiquement plus de mal à passer à un autre écosystème, chez Garmin, Coros, Suunto ou Polar par exemple. Et peu importe si celle-ci ne coûte que la moitié du prix total payé chez Whoop.

Certes, ces services de sport ou de forfait par abonnement sont particulièrement rentables et sécurisants pour les constructeurs. Mais pour les consommateurs, ça ressemble à s’y méprendre à une prison dorée de laquelle il sera de plus en plus compliqué, mois après mois, versement après versement, de s’échapper.


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