
La mondialisation industrielle a profondément transformé le secteur automobile. Autrefois centrées autour de leurs pays d’origine, les grandes marques organisent désormais leur production à l’échelle mondiale. La conception, la fabrication des pièces et l’assemblage final d’un véhicule se déroulent souvent sur plusieurs continents.
Cette fragmentation de la chaîne de valeur permet aux constructeurs de tirer parti des avantages économiques de chaque région, que ce soit pour réduire les coûts de main-d’œuvre, accéder à de nouvelles technologies ou se rapprocher de leurs marchés.
Des exemples, nous en avons des dizaines, voire des centaines. Prenons le cas de Toyota, sans doute l’un des champions de la mondialisation. Bien que japonais, le constructeur produit ses véhicules sur presque tous les continents. En Europe, il assemble certains modèles en France par exemple, en l’occurrence le duo Yaris et Yaris Cross au sein de l’usine de Valenciennes, tandis qu’en Amérique du Nord, des usines aux États-Unis et au Mexique alimentent le marché local avec des produits pas forcément commercialisé ailleurs, comme c’est le cas du Sequoia, sorte de grand SUV taillé pour les larges autoroutes du pays.
Cette stratégie dite « glocale » (penser global, agir local) permet de mieux répondre aux besoins spécifiques des clients tout en limitant les coûts liés au transport ou aux droits de douane.
L’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi fonctionne selon une logique similaire, même si l’Alliance a du plomb dans l’aile depuis quelques mois maintenant. La Dacia Sandero, par exemple, est conçue en France, produite en Roumanie ou au Maroc, puis exportée dans de nombreux pays sous différentes marques. De son côté, Tesla a implanté des Gigafactories en Chine et en Allemagne pour produire localement ses modèles phares.
Une stratégie qui est arrivée à ses limites ?
Cependant, cette organisation mondiale n’est pas sans failles, et l’actualité de ces dernières années nous le prouve plutôt bien. Les crises récentes, comme la pandémie de COVID-19 ou la guerre en Ukraine, ont mis en avant la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement trop éclatées.
Pour ne rien arranger à l’histoire, la transition écologique impose de repenser la production : produire une voiture à bas coût ne suffit plus, elle doit aussi être fabriquée de manière responsable. Autant d’éléments qui nous laissent à penser que la mondialisation à l’échelle de l’industrie automobile entre aujourd’hui dans une nouvelle phase, où l’enjeu n’est plus seulement économique, mais aussi environnemental et géopolitique.

Certains sont même allés encore plus loin. Il y a vingt ans, Ford présentait sa stratégie « One Ford », imaginée par son ancien PDG Alan Mulally. L’objectif ? Unifier sa gamme de véhicules à l’échelle planétaire, en éliminant les différences entre les modèles proposés sur les divers marchés. Une stratégie taillée pour la mondialisation du début des années 2000, où l’on croyait encore que les clients américains, européens, chinois ou japonais aspiraient à des voitures similaires. Mais ce monde n’existe plus.
Puisque nous sommes chez Ford, restons avec Ford. Aujourd’hui, le constructeur à l’ovale bleu a changé de cap. « Nous sommes encouragés par le niveau de collaboration que nous avons avec les décideurs politiques aux États-Unis », a déclaré Jim Farley, l’actuel PDG de Ford, lors de la présentation des résultats du premier trimestre 2025. « Ils veulent voir une entreprise comme Ford, profondément enracinée en Amérique, triompher dans cette nouvelle ère où l’automobile devient une affaire de politique régionale. »
Les clients ne veulent pas la même chose
Mais pourquoi cette évolution et pourquoi aussi rapidement ? Les droits de douane en sont la première cause. Autrefois faibles entre les États-Unis, l’Europe et d’autres grands marchés, ils sont aujourd’hui redevenus des armes politiques. Les constructeurs « nationaux » bénéficient de plus en plus d’avantages compétitifs face aux marques étrangères.
Nous assistons à une sorte de retour en arrière et chaque grande région du monde veut aujourd’hui protéger ses intérêts, souvent au détriment du libre-échange.


Avec la BYD Dolphin Surf, BYD secoue le marché de la voiture électrique. Disponible à partir de 19 990 €, cette citadine a une autonomie de 507 km et se recharge de 30 à 80 % en 22 minutes seulement !
Mais au-delà du contexte géopolitique, c’est aussi le client qui pousse à cette régionalisation. En Chine, la demande se porte sur des véhicules électriques ultra-technologiques avec des batteries offrant des autonomies records.

Aux États-Unis, ce sont toujours les pick-ups et SUV thermiques qui dominent. En Europe, les citadines électriques sont plébiscitées, à un coût réduit de préférence, tandis qu’au Japon, les microcars (la fameuse catégorie des « kei-cars ») ont toujours la cote à l’heure où l’électrification reste marginale.
La montée en puissance des véhicules électriques accentue encore ces différences. Là où l’Europe et la Chine n’envisagent plus que des modèles électrifiés, le marché américain est plus réticent, et encore plus depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.
Des frontières technologiques et commerciales
La rivalité commerciale sino-américaine rend les échanges encore plus complexes. Les véhicules chinois sont toujours aux abonnés absents des routes américaines, tandis qu’en Chine, les constructeurs locaux s’octroient désormais une large part du gâteau, causant de sacrés maux de tête aux constructeurs qui avaient largement misé sur la Chine, à commencer par les constructeur allemands pour qui l’image du « Made in Germany » ne brille plus dans l’Empire du Milieu, les constructeurs chinois étant capables de faire aussi bien, voire même mieux désormais, et à des prix plus doux.
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L’Occident, qui a longtemps partagé son savoir-faire avec Pékin via des coentreprises, constate aujourd’hui que la Chine s’est affranchie de son mentor. Et évidemment, ce bouleversement aussi rapide que brutal amène certains constructeurs à se recentrer.
Washington a répliqué avec des mesures drastiques : non seulement les droits de douane ont explosé, mais l’administration a même été encore plus loin en interdisant également l’usage de logiciels chinois dans les voitures.
L’Union européenne a emboîté le pas aux USA avec des taxes sur les voitures électriques importées de Chine, pouvant dépasser les 35 %, et menace aussi de riposter aux droits de douane américains.
Qui trinque dans cette histoire ?
Autrefois bastion de l’industrie automobile, l’Europe a décliné ces dernières années, au prix notamment d’une mondialisation qui s’est démocratisée, le tout encouragé par une main d’œuvre moins chère ailleurs.
Ces dernières années, le déclin de l’industrie automobile européen s’est même accéléré. La pandémie de COVID-19 a déclenché une crise sans précédent : les confinements ont provoqué un effondrement de la demande, la fermeture temporaire des usines a désorganisé les chaînes de production, et les constructeurs ont dû faire face à des ruptures d’approvisionnement.
En parallèle, la pénurie mondiale de semi-conducteurs, essentielle pour les véhicules modernes, a ralenti durablement la production, mettant en lumière la dépendance du secteur à ces composants technologiques, des composants venus principalement d’Asie évidemment.

Pour ne rien arranger à leurs histoires, la transition énergétique imposée par l’Union européenne exerce une pression considérable sur les constructeurs historiques. Les normes environnementales de plus en plus strictes, notamment le « Pacte Vert » et les futures interdictions des moteurs thermiques à l’horizon 2035, obligent l’industrie à accélérer son virage vers l’électrification.
Cette transformation nécessite des investissements colossaux, souvent au détriment de la rentabilité à court terme. La mutation ne se fait pas sans douleur, entre fortes tensions économiques et sociales, notamment au sein des sites de production traditionnels qui, dans le pire des cas, peuvent être amenés à fermer. Et on ne parle pas uniquement des constructeurs, les manufacturiers et sous-traitants trinquent également, avec plusieurs dizaines de milliers d’emplois supprimés à travers l’Europe.
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En parallèle, la concurrence mondiale s’intensifie. Les constructeurs chinois, comme BYD par exemple, investissent massivement le marché européen avec des véhicules électriques bon marché (il n’y a qu’à voir la nouvelle BYD Dolphin Surf que nous avons récemment découvert !), technologiquement avancés, et adaptés aux attentes actuelles.
Ces nouvelles marques menacent la domination des groupes européens en proposant une alternative séduisante dans un contexte où le rapport qualité/prix devient un critère décisif pour les clients, notamment en Europe.

La situation s’est aussi aggravée par une forte inflation et une hausse généralisée des coûts de production. Le prix des matières premières (à l’exception de celles utilisées pour les batteries) ne cesse d’augmenter. À cela s’ajoutent des coûts de main-d’œuvre et d’énergie en hausse, qui rendent la fabrication automobile plus coûteuse. Cette inflation est en partie répercutée sur les prix de vente, ce qui freine la demande, en particulier pour les ménages les plus modestes. Ce n’est pas nous qui extrapolons, c’est tout simplement la réalité des chiffres aujourd’hui.
En outre, les comportements des clients évoluent. Les jeunes générations manifestent un intérêt décroissant pour la possession d’une voiture, préférant les solutions de mobilité partagée ou douce. Dans les grandes villes, les restrictions de circulation et les politiques anti-voiture renforcent cette tendance. Les constructeurs doivent ainsi adapter leur offre à une clientèle urbaine de plus en plus soucieuse de l’environnement et des coûts liés à la mobilité.
Tout n’est pas si noir !
Le tableau dressé ici est malheureusement bien sombre, mais il y a quand même quelques arguments pour se réjouir. Malgré les secousses qui ébranlent l’industrie automobile européenne, plusieurs signes positifs laissent entrevoir une relance possible, fondée sur l’électrification et la souveraineté technologique.
L’une des réponses réside dans la création d’une filière européenne de production de batteries. Face à la domination asiatique dans ce domaine, l’Union européenne et les États membres ont initié un vaste mouvement de réindustrialisation verte. En France, cette ambition prend forme dans les Hauts-de-France, au sein de la « Vallée de la batterie » où se concentrent plusieurs projets de gigafactories.

Des usines de batteries sont en construction à Billy-Berclau, Douai, Dunkerque et Douvrin. Portés par des géants industriels comme Stellantis, TotalEnergies, Renault ou encore le taïwanais ProLogium, ces projets visent à produire localement les cellules indispensables aux voitures électriques de demain. À la clé : des milliers d’emplois directs et indirects, mais aussi une revitalisation d’un territoire longtemps frappé par la désindustrialisation depuis des décennies.
Bref, vous l’aurez compris, le paysage automobile mondial est en train d’être redessiné non pas mondialement, mais localement. Les États-Unis miseront sur les constructeurs capables de produire localement en respectant les normes et la demande nationale.
La Chine est bien partie pour devenir le royaume de ses « nouveaux » champions locaux, les marques historiques, même de luxe comme Porsche, perdant peu à peu d’attrait aux yeux des clients chinois.
Et la flexibilité du pays est en train d’être prouvée : en réponse aux frais de douane sur les voitures électriques produites en Chine, plusieurs usines sont en fabrication en Europe. Celle de BYD, par exemple, sera opérationnelle fin 2025, avant des projets de MG en Espagne.

Et en ce qui concerne les clients, cela pourrait donner un avenir un peu moins large en termes de choix, avec moins de concurrence et, qui dit moins de choix, dit aussi une qualité qui peut en pâtir même si, en Europe, la qualité a globalement été l’un des principaux arguments d’achat d’une auto, en particulier pour ce qui est de l’industrie allemande.
Dans un sens, face à l’urgence climatique, avoir moins de choix et avoir moins de voitures produites à l’autre bout du monde, est-ce que cela ne va pas dans le sens pris par le législateur écologiquement parlant ?
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