Le problème de Volkswagen a mis en lumière la révolution qui se trame en coulisse de l’industrie auto

 
Un cauchemar à concevoir mais une potentielle poule aux œufs d’or : voici comment nous pourrions définir l’importance des logiciels dans les voitures modernes. Comment le logiciel est-il devenu la pierre angulaire de l’avenir des marques automobiles ? Qui s’en sort le mieux ? Et d’ailleurs, c’est quoi un véhicule défini par logiciel ? Voici ce qu’il faut savoir.
Tesla Model S // Source : Tesla

Autrefois considérées comme de simples machines mécaniques, nos voitures modernes sont en train de devenir de véritables ordinateurs sur roues.

Même si cette évolution peut paraître peu palpable pour les clients, surtout en Europe, cette transformation est bien plus profonde qu’il n’y paraît pour les constructeurs. Les véhicules ne sont plus simplement assemblés dans les usines, ils sont désormais « définis par les logiciels ».

Aujourd’hui, les voitures (électriques pour la plupart) les plus avancées embarquent des centaines de millions de lignes de code, pilotant tout, du freinage d’urgence à la climatisation en passant par les aides à la conduite. C’est l’avènement de la voiture définie par logiciel (ou SDV pour Software-Defined Vehicle en anglais).

Concrètement, cela signifie que nombre de fonctionnalités, qui étaient autrefois figées à l’achat, peuvent désormais être activées, modifiées ou mises à jour à distance, souvent sans passer par un garage.

Tesla a ouvert la voie avec ses mises à jour à distance (OTA pour over-the-air) qui permettent, par exemple, d’améliorer l’autonomie de la batterie ou d’ajouter de nouvelles applications à bord. D’autres constructeurs comme Mercedes, BMW ou Volvo emboîtent désormais le pas, misant sur des architectures centralisées capables de recevoir des améliorations continues tout au long de la vie du véhicule, rallongeant ainsi le cycle de vie de l’auto en question.

Résultat : votre voiture peut s’adapter à vos besoins, même longtemps après sa sortie d’usine. Vous voulez activer l’aide au stationnement automatique ou des sièges chauffants ? Un clic suffit.

Qu’est-ce qu’un véhicule défini par logiciel ?

Comme énoncé plus haut, c’est Tesla qui a « inventé » le concept de SDV avec le lancement de la Model S il y a plus de dix ans maintenant. Ce n’est pas la première voiture de l’histoire a intégré une batterie de logiciels, mais l’approche de Tesla était différente.

Dans l’ère « pré-Tesla », des unités de contrôle électronique (ECU), contenant des logiciels fournis par des tiers, géraient des groupes de fonctions ou des modules individuels. Par exemple, nous avions une ECU pour le système de climatisation, une autre pour l’éclairage, etc. Ces ordinateurs communiquaient entre eux via un réseau à faible bande passante. Autrement dit, toutes les fonctions étaient gérées indépendamment et c’était, globalement, un sacré travail en amont pour que tout fonctionne de concert.

Tesla Model S

Les mises à jour logicielles se faisaient également en concession et coûtaient relativement cher. Les constructeurs les évitaient sauf en cas d’absolue nécessité (sécurité, fiabilité, etc.). Cela imposait de valider entièrement le logiciel avant la mise en production de la voiture, une sorte de « pas le droit à l’erreur ».

Tesla a bouleversé tout ce petit monde. La Model S a été conçue dès le départ pour recevoir des mises à jour à distance, et la marque a contourné les fournisseurs traditionnels en réduisant drastiquement le nombre d’ECU. Un ordinateur central gérait la majorité des fonctions, à l’exception des systèmes dédiés à la sécurité. Cela simplifiait d’abord tout le câblage en réduisant drastiquement le nombre de fils, cela permettait aussi de réduire les coûts de production, tout en améliorant la voiture dans le temps. Car oui, pour qu’une voiture soit encore à la page plus de dix ans après sa sortie, il aura fallu quelques mises à jour.

Tesla Model Y (2025) // Source : Tesla

Autre exemple, toujours chez Tesla : à la sortie de la Model 3, plusieurs clients ont révélé des distances de freinage trop longues à cause d’un mauvais calibrage de l’ABS. Tesla a corrigé ce défaut via une mise à jour logicielle à distance, ce qu’aucun autre constructeur ne pouvait faire à l’époque pour un système de freinage. Impressionnant, certes, mais inquiétant. En effet, le système n’avait-il pas été correctement testé avant livraison ?

C’est là tout le paradoxe du SDV : plus flexible, mais qui peut encourager une approche du type « on corrigera plus tard » avec des logiciels pas aboutis. Et c’est ce qu’on a pu observer ces dernières années avec de nombreuses voitures sorties à la va-vite, pas terminées et avec de nombreux bugs.

Le grand n’importe quoi des débuts

Vous pensiez l’exemple de la Tesla Model 3 cité plus haut isolé ? Pas du tout, bien au contraire. Les exemples abondent même. À mesure que les constructeurs introduisent des plateformes électriques plus avancées, ils peinent à livrer des logiciels stables et aboutis dans les délais.

En Europe, l’exemple le plus connu est celui de Volkswagen et du véritable chaos de son entrée en matière dans l’univers du véhicule défini par logiciel. Sous la pression de la concurrence et de l’électrification du parc roulant, avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête en Europe via les normes CO2, le groupe allemand a sorti plusieurs voitures qui n’étaient tout simplement pas finies.

Le constructeur avait parié gros sur sa filiale logicielle Cariad. Malgré de lourds investissements, Cariad est aujourd’hui un cuisant échec. Volkswagen a tenté plusieurs réorganisations, en vain. Aujourd’hui, le constructeur externalise des tâches clés à Mobileye, à des partenaires chinois et à l’américain Rivian qui, à défaut de lancer ses voitures électriques en Europe, permet au groupe Volkswagen de sortir la tête de l’eau au niveau des logiciels, et la petite ID.1 à moins de 20 000 euros sera la première à embarquer une architecture logicielle « Made in Rivian » à sa sortie en 2027.

Le partenariat avec Rivian permettra à Volkswagen d’implémenter une « architecture zonale », une nouvelle manière plus efficace d’agencer les circuits dans un SDV. Mais à long terme, la dépendance à d’autres n’est pas forcément une solution durable.

Ça ne va pas mieux ailleurs, notamment aux États-Unis. General Motors et ses plateformes VIP (Vehicle Intelligence Platform) puis Ultium rencontrent une ribambelle de problèmes logiciels, qui ont notamment gâché le lancement du Hummer électrique, de la Cadillac Lyriq et de la Chevrolet Blazer électrique. Tous ont souffert de bugs, certains allant même jusqu’à immobiliser la voiture.

Volvo EX90

Volvo aussi a connu des déboires. Le constructeur vante son EX90 et son EX30 comme de vrais SDV avec architecture centralisée, système simplifié et logiciel évolutif. Mais la mise en production a été cauchemardesque : retards, bugs, fonctionnalités manquantes. L’EX90, qui est pourtant le haut de gamme chez Volvo, a tout simplement été lancé pas terminé.

Certains se montrent encore très prudents avec les SDV

Globalement, tous les constructeurs dits « traditionnels » sont encore à quelques années d’un véritable SDV. Stellantis avance prudemment, mais développe activement son projet STLA Brain. BMW promet un bond technologique avec sa gamme Neue Klasse, tandis que Mercedes lancera sa plateforme SDV sur la future CLA cette année, qui repose d’ailleurs sur une toute nouvelle plateforme modulaire qui servira aux futures Mercedes « compactes », le tout avec une architecture 800 volts pour des recharges éclair sur les versions 100 % électriques.

Mercedes-Benz CLA

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les constructeurs japonais et coréens sont aussi en retard. Hyundai et Kia évoluent vers des véhicules plus axés sur le logiciel, mais leurs produits actuels ont une génération, voire deux de retard sur Tesla. Effectivement, les dernières productions des deux marques reposent sur des systèmes plutôt anciens, mais encore loin d’être désuets. Le premier véritable « SDV » du groupe coréen sera le Kia PV5, un utilitaire électrique, qui sortira fin 2025.

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De son côté, Toyota a rapatrié ses équipes logicielles aux États-Unis, mais n’a pas encore de vrai SDV. Le groupe, qui continue d’afficher des résultats solides un peu partout dans le monde grâce à une technologie hybride ultra-maîtrisée, doit aussi composer avec un certain retard vis-à-vis du 100 % électrique, une énergie longtemps mise de côté par le constructeur. Honda reste très traditionnel, mais promet une plateforme SDV avec IA et assistant intelligent (Asimo) pour ses futurs véhicules de la série 0, qui arriveront en 2026.

Tous ces futurs modèles auront sans doute aussi leur lot de soucis de jeunesse. Car même avec des moyens financiers importants, cette transformation est complexe, mais aujourd’hui indispensable si les constructeurs veulent proposer des véhicules électriques abordables, évolutifs et offrants une meilleure expérience client.

Rivian R3

Tesla, Rivian et les marques chinoises en sont la preuve l’ont bien compris et comptent bien profiter de cette avance dans ce domaine pour asseoir leur avantage sur la concurrence, mais aussi proposer leurs technologies aux autres constructeurs. Un bon moyen de générer des revenus, surtout pour certains jeunes constructeurs, comme Rivian, pour qui la commercialisation d’une gamme de voitures ne suffit pas (encore) à être rentable.

Une équation encore bien difficile à résoudre

Les constructeurs ont mis les petits plats dans les grands pour le développement de leur partie logiciel. Ils ont recruté à foison des ingénieurs de chez Apple, Tesla ou encore Google, investi des milliards, et ont des décennies d’expérience avec les logiciels embarqués.

Mais sur le terrain, c’est beaucoup plus difficile que prévu. Il ne s’agit pas seulement de coder, c’est toute l’organisation autour du logiciel qui est à redéfinir.

Le logiciel était vu comme un problème à résoudre, pas comme une expérience à concevoir pour de nombreux constructeurs. Et peut-être même encore plus avec l’avènement de la voiture électrique, où la majorité de l’argent investi l’était vers les batteries et les moteurs.

Système Super Cruise // Source : Cadillac

Aujourd’hui, les constructeurs doivent aller plus loin. Il leur faut créer des applications attrayantes, des technologies modernes et des architectures électriques inédites, sans l’appui de leurs fournisseurs habituels. Ils doivent proposer la flexibilité de Tesla sans pour autant livrer des produits inachevés, tout en assurant une cybersécurité d’un niveau quasi militaire.

Pour ne rien arranger au problème, le ralentissement de la progression des ventes de voitures électriques oblige certains constructeurs à concevoir des systèmes compatibles avec des véhicules thermiques. Or, un véhicule électrique peut alimenter ses composants électroniques en continu grâce à sa grosse batterie, facilitant ainsi les mises à jour. Ce n’est pas le cas d’une voiture dotée d’un moteur thermique et sa modeste batterie 12 volts.

Avec tout cela, il faut aussi conjuguer avec les griefs des différents marchés. En Chine par exemple, on adore l’infodivertissement et les nouvelles technologies. Une voiture sans technologies, aussi futile soit-elle, fera d’elle un objet déjà désuet à sa sortie.

Denza Z9 GT

C’est d’ailleurs pour cette raison que les marques locales cartonnent en Chine : elles proposent des voitures pas chères et technologiques, chose que les constructeurs européens ne proposent pas. D’où des pertes considérables sur le marché chinois, qui obligent les constructeurs à réagir, comme le groupe Volkswagen par exemple, ou d’autres à quasiment délaisser ce marché, comme Stellantis.

En Europe, la voiture définie par logiciel n’est pas encore une priorité. Globalement, la demande et les besoins des clients en matière de technologies ne sont pas aussi exacerbés qu’en Chine. Pour le client européen, ces technologies et cette pluralité d’aides à la conduite sont vues comme les causes des prix trop élevés des voitures neuves aujourd’hui.


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