Tesla : dans les coulisses des livraisons énigmatiques des voitures électriques

 

Si la plupart des constructeurs automobiles livrent leurs véhicules au fil de l'eau, ce n'est pas le cas de Tesla. En effet, les dernières semaines de chaque trimestre sont celles où d'énormes vagues de livraison ont lieu. Nous allons revenir en détail sur ce phénomène et tentant d'expliquer pourquoi Tesla est encore contraint de procéder ainsi.

Les voitures sur le parking de la Gigafactory de Shanghai qui attendent d’être transportés dans le monde

En 2022, Tesla a livré plus de 1 300 000 véhicules électriques, mais à y regarder plus en détail, les mois se suivent et ne se ressemblent pas. Certains mois, il n’y a d’ailleurs quasiment aucune immatriculation en Europe de Tesla Model 3 et Model Y, tandis que ces deux voitures branchées cartonnent à d’autres périodes.

Ce n’est pas une volonté de Tesla de ne pas livrer pendant un certain temps, mais bel et bien une contrainte subie par la firme d’Elon Musk, due à différents facteurs. Entre pression des résultats financiers trimestriels, casse-tête logistique et ajustements tarifaires, voyons ensemble ce qui fait la saisonnalité de Tesla.

La pression boursière

C’est un exercice bien connu de toutes les grosses entreprises côtées en bourse, mais les résultats financiers trimestriels sont bel et bien la première raison de l’affolement de Tesla pour les fins de trimestres. En effet, les analystes comme les actionnaires attendent de pied ferme les résultats de chaque trimestre pour définir leur stratégie d’investissement et revoir les objectifs à la hausse ou à la baisse.

C’est pourquoi l’activité boursière de Tesla se concentre autour des fins de trimestres, avec de l’agitation quelques jours avant, et possiblement du mouvement quelques jours après si les résultats ne sont pas exactement ceux qui étaient attendus. Par exemple, la toute fin d’année 2022 clôturait le quatrième trimestre fiscal de Tesla, et lors de la publication des résultats, le constructeur a révélé qu’il avait trop produit par rapport aux véhicules qui ont été achetés. Le cours de l’action avait drastiquement chuté jusqu’à la fin du mois de décembre en prévision des mauvais résultats.

Elon Musk not stonks // Source : Memedroid

En pratique, ce sont donc 34 000 Tesla qui ont été produites sans avoir été livrées, marquant le plus grand décalage de l’histoire de la marque entre son volume de production et son volume de vente. Certains ont donc commencé à voir une baisse de la demande pour les véhicules de l’entreprise texane, là où d’autres considéraient tout simplement les prix de l’époque comme trop élevés. Ces derniers ont eu raison, puisque dans l’écrasante majorité des pays du monde, les prix ont drastiquement chuté au début de l’année 2023.

Si la pression exercée par la bourse est bien réelle — c’est d’ailleurs ce qui avait poussé Elon Musk à vouloir retirer Tesla de la bourse — ce n’est pas la seule contrainte avec laquelle Tesla doit composer et qui l’oblige à livrer ses véhicules à la fin de chaque trimestre. Un casse-tête logistique est bel et bien présent, rendant difficile les livraisons au fil de l’eau.

Une production délocalisée

À l’époque où Tesla ne vendait que ses véhicules aux États-Unis, les fins de trimestres étaient déjà chaotiques. Ce n’est donc pas un phénomène qui est apparu récemment, cependant compte tenu de l’accroissement exponentiel de la capacité de production du constructeur, il s’accentue fortement depuis quelques années.

En pratique, la méthode appliquée aux États-Unis depuis le début a été copiée dans les autres usines de Tesla, et cela devient un problème comme le reconnaissait encore Elon Musk en octobre 2022. Les raisons logistiques de la livraison de beaucoup de véhicules en fin de trimestre sont simples à appréhender : les véhicules doivent parcourir des milliers de kilomètres en bateau, train ou camion avant d’être livrées aux clients finaux.

Tesla Model Y
Source : Tesla

En effet, si nous reprenons l’exemple américain, à l’époque où tous les véhicules étaient fabriqués à l’usine de Fremont en Californie, les six premières semaines de chaque trimestre étaient consacrées à la production de voitures pour l’export, tandis que les six autres semaines étaient dédiées à la production de véhicules pour le marché local.

Une fois que les six premières semaines du trimestres sont passées, les véhicules produits pour l’Europe ou l’Asie sont acheminés par bateau, puis par camion ou train jusqu’à leur destination finale où les clients pourront en prendre livraison. Si l’on considère que le voyage dure autour de trois à quatre semaines, cela signifie qu’il ne reste que trois semaines au maximum à Tesla pour livrer la majorité de ses véhicules en Europe ou en Asie avant la fin du trimestre.

Nous connaissons bien ce phénomène de « fin de trimestre » en France, puisque la quasi-totalité des véhicules livrés dans l’hexagone vient de Chine ou des États-Unis. Des véhicules produits en janvier 2023 ne sont livrables en France qu’à la fin du mois de mars, et pour Tesla, il est primordial d’arriver à les livrer avant le 31 mars, sans quoi ce seront des ventes qui ne compteront que pour le second trimestre.

Centre de livraison Tesla à Saint-Jacques-de-la-Lande (Rennes)

L’exemple de l’usine américaine est le même pour l’usine la plus prolifique de Tesla, la Gigafactory de Shanghai. Les premières semaines de chaque trimestre sont produites des voitures à destination de l’Europe, et la seconde partie du trimestre est dédiée au marché local. De cette manière, les véhicules sortants d’usine en toute fin de trimestre peuvent être livrés très rapidement, parfois même directement à l’usine.

Il est aisé de comprendre qu’avec un tel système de livraison, le moindre retard peut avoir des conséquences colossales, et que la marge d’erreur entre les véhicules produits et les véhicules achetés par des clients doit être réduite au maximum, sans quoi des milliers de voitures se retrouveraient sans propriétaire, à des milliers de kilomètres de l’usine, l’espace de quelques semaines.

Des mois sans aucune immatriculation

Il arrive régulièrement que Tesla n’apparaisse pas dans un Top 10 des immatriculations les premiers mois d’un trimestre. Vous l’aurez compris, il s’agit là de la démonstration de la méthode de production et livraison de Tesla, qui ne permet pas de livrer au fil de l’eau les véhicules qui sont produits sur d’autres continents.

Ci-dessus, vous pouvez voir un graphique représentant l’effet de vagues de livraisons de Tesla en Europe. Concrètement, les livraisons durant le premier mois de chaque trimestre ne représentes que 5 à 10 % des livraisons du trimestre, quand celles du troisième mois en représentent parfois jusqu’à 80 %.

Tesla est ainsi contraint de proposer des solutions pour livrer des milliers de véhicules en très peu de temps, parfois dans de mauvaises conditions, à la chaîne. Le constructeur n’a pour le moment pas de solution à ce souci, tant qu’il n’acceptera pas de lisser les exportations.

Il existe pourtant une lueur d’espoir lorsque l’on se tourne vers le futur, puisque la montée en régime des nouvelles Gigafactory de Tesla pourrait être une solution partielle.

Un futur moins contrasté

Tesla a démarré avec une usine en Californie, mais elle dispose désormais de multiples giga-usines sur différents continents. La Gigafactory de Shanghai a été la première à dépasser les frontières américaines, et elle est aujourd’hui l’usine la plus prolifique de la firme, avec une capacité de production annuelle dépassant le million de véhicules.

En Europe, la Gigafactory de Berlin est désormais bien capable de produire 5 000 véhicules par semaine, soit autour de 250 000 par an, et continue sa montée en régime. Depuis, la Gigafactory d’Austin au Texas est sortie de terre, et produit, elle aussi, pour le marché local aux USA.

Récemment, Tesla a confirmé l’implantation future d’une nouvelle usine au Mexique, ce qui portera prochainement le nombre d’usines en fonctionnement pour la fabrication des véhicules à cinq. Et chaque usine aura pour but d’absorber en grande partie les livraisons locales, pour que les Tesla Model Y livrées en France ne viennent plus de Shanghai en Chine ou de Fremont en Californie, mais bel et bien d’Europe.

C’est déjà le cas aujourd’hui pour les Tesla Model Y Performance et Grande Autonomie, cependant l’intégralité des Tesla Model 3 vendues en France sont encore produites à Shanghai, tout comme les Tesla Model Y Propulsion. Les Tesla Model S et Model X quant à elles restent produites à Fremont en Californie, et sont exportées partout dans le monde. Les volumes pour ces modèles étant bien plus bas que pour les Model 3 et Model Y, cela ne devrait pas changer dans un futur proche.

Toujours est-il que pour le moment, Tesla se doit d’écouler sa production avant la fin de chaque trimestre, et si le constructeur a exporté plus de véhicules que ce qu’il n’aurait dû, il doit actionner certains leviers pour tenter de faire craquer les indécis.

Des aubaines en fin de trimestre

Plus les volumes produits par Tesla augmentent, et plus le risque de se retrouver avec des invendus en fin de trimestre augmente. C’est pourquoi l’entreprise a régulièrement recours à des ajustements tarifaires en fin de trimestre, que nous relayons fréquemment. Certains connaisseurs font même volontairement le choix de ne pas commander de véhicule, et attendent le dernier moment pour dénicher la bonne affaire sur le site du constructeur.

En pratique, cela s’apparente tantôt à des options offertes (peinture, jantes, intérieur blanc, attelage ou encore Autopilot amélioré), et tantôt à des rabais sur le prix final. La toute fin d’année 2022 avait d’ailleurs permis à certains de récupérer une Tesla Model Y tout en bénéficiant du bonus écologique maximal, chose impossible avec les prix catalogue de l’époque.

Exemple avec des Model S récentes équipés de deux moteurs, il y a aussi des modèles Plaid

En plus de ces rabais ou options offertes, Tesla se permet parfois d’ajouter de la Supercharge gratuite, permettant de rouler quelques mois à l’œil pour celui qui prend livraison de sa voiture à la bonne période. Plus récemment, Tesla a même fait renaître de ses cendres le fameux programme de parrainage, en augmentant les récompenses offertes avant la toute fin du premier trimestre 2023.

Rien ne nous dit que les vagues de livraison de Tesla ne vont pas disparaîtres, mais pour le moment, il s’agit parfois de très bonnes affaires pour les clients finaux. Si le casse-tête logistique de Tesla est bien réel tant que chaque usine ne peut pas assouvir la demande locale, force est de constater que pour le client, cela peut se transformer en moyen facile de baisser le prix de sa nouvelle voiture électrique.